tribune
LA “SÉCURITÉ” OU LA PAIX?
DEUX APPROCHES ENCORE OPPOSÉES
M. Clinton l’a dit lors de sa réunion, à Genève, avec M. Hafez Assad: il faut aider M. Barak. Il ne s’agit plus de signer une paix conforme aux principes de Madrid, mais du sauvetage de M. Barak.
Est-ce que cela revient au même? Est-ce que le sauvetage de l’un conduit nécessairement à l’autre objectif? Ou l’inverse? Rien n’est moins sûr.

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Or, quel est le problème de M. Barak? La fragilité de sa situation politique interne. En qualité de chef du Parti travailliste, il réussissait déjà mal à s’imposer. Plutôt que de s’appuyer sur la fraction libérale lors de la formation de son gouvernement, il a préféré composer une large coalition, dont il espérait une sorte de “catharsis”, selon sa propre expression, pour dissiper les divergences sur le processus de paix. Le résultat, on le constate maintenant: au lieu de faire naître chez tous ses partenaires une tendance favorable à la paix, une “culture de la paix”, ses tergiversations n’ont fait que développer les tiraillements au sein de son gouvernement et dans l’opinion israélienne. Il ne se sent plus en situation d’accepter les concessions sans lesquelles la paix est impossible. Aussi bien avec les Syriens qu’avec les Palestiniens. Tout se passe, désormais, comme s’il cherchait à isoler la Syrie en pariant sur un changement de régime à Damas. Il joue avec le feu.
On le voit, dès lors, se rabattre sur une stratégie qui donne la priorité à la notion de sécurité, plutôt qu’aux conditions de la paix qui suppose des relations de confiance avec ses voisins et non pas de perpétuelle surveillance. C’est un retour à cette politique traditionnelle qui fait d’Israël une forteresse assiégée, un véritable ghetto. En dépit de tous les témoignages de bonne volonté qui lui ont été apportés par l’ensemble du monde arabe depuis la conférence de Madrid, l’opinion israélienne n’a pas encore saisi (et on ne l’aide pas dans ce sens) à quel point la stratégie de la paix est devenue pour tous les Etats arabes, la seule voie acceptée, à la seule condition que le plan convenu à Madrid soit respecté. On va répétant au peuple d’Israël qu’il possède la plus puissante force militaire du Proche-Orient et, en même temps, on lui fait peur à l’idée de céder quelques kilomètres carrés ou de renoncer à la confiscation des terres palestiniennes pour construire des colonies de peuplement.
M. Barak a échoué. Sa “catharsis” ne s’est pas produite. C’est lui qui fait le jeu de ses propres adversaires. Il n’y a qu’à entendre les discours guerriers de son ministre des Affaires étrangères, M. David Lévy, ou de son ministre de la Défense pendant que M. Ariel Sharon se frotte les mains dans la coulisse. Ils n’ont à la bouche que les mots de représailles et de sécurité pour Israël. En définitive, M. Barak n’a pas cherché à faire la paix, mais à être plus malin que son prédécesseur pour atteindre les mêmes objectifs.
C’est pourquoi, M. Clinton n’a rien eu d’autre à proposer à son interlocuteur syrien que de consentir des concessions pour consolider la position de M. Barak. Apparemment, il ne se soucie guère de la position du président syrien lui-même vis-à-vis de son peuple. C’est qu’aux yeux du président américain, il n’y a pas d’opinion publique arabe; il n’y a que des chefs d’Etat qui détiennent tous les pouvoirs. Si tel est le cas, on se trouve devant une analyse bien superficielle d’où peuvent résulter de dramatiques erreurs.
C’est à partir du même sentiment que le Premier ministre français, M. Jospin, s’est complu à faire l’éloge de la démocratie israélienne comme pour la comparer aux autres régimes des pays du Proche-Orient.

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Il s’agirait, maintenant, de sauver réellement ce qui devrait pouvoir encore être sauvé: la paix, avec du même coup M. Barak lui-même, s’il trouve le courage de faire face aux intrigues de ses adversaires, lui qui se flatte d’être “le général le plus décoré d’Israël”.
Mais il y a, par dessus tout ce monde, le “parrain”: M. Clinton. Qu’est-il censé faire? Quelle est sa vision de son rôle, du rôle des Etats-Unis, de leurs responsabilités vis-à-vis d’un monde arabe toujours frustré et souvent trahi, vis-à-vis de leurs propres alliés (Syriens, Egyptiens, Séoudites, etc...) qu’ils ont embarqués, contre une promesse de justice en Palestine, dans une guerre contre l’Irak qui n’en finit pas de décimer la population de ce pays?
De telles questions sont destinées à demeurer sans réponse. Elles donnent, en tout cas, la mesure de la confiance qu’on a mise dans cette Amérique-là et des incroyables inconséquences de sa direction politique laquelle, à l’instar de celle d’Israël, paraît dominée par les services de sécurité, les stratèges militaires et leurs priorités. 


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