Les choses commencent, alors, à prendre une signification particulière
et la situation se dégrade. Les reproches et les critiques acerbes
pleuvent, le mari n’est qu’un paresseux, la femme ne travaille pas, le
couple est grevé de dettes et ce lit est tout ce qu’il leur reste...
Roula Hamadé, merveilleuse dans le rôle de l’épouse,
lui confère toute son ampleur et passe avec facilité - grâce
à une parfaite maîtrise de son corps élastique et de
son expression mouvante - du rire aux larmes, du comique au tragique, de
la plus grande légèreté apparente, ironique, aux questions
les plus existentielles. C’est sur le lit qu’on naît, qu’on vit,
qu’on meurt; il accompagne l’homme du berceau à la mort. Ce
lit, elle y est attachée comme à la vie; c’est tout ce qui
lui reste depuis que la maison a été vidée par les
créanciers, tout en le haïssant parfois: ses grincements, sa
vétusté, ce rappel de la vie à deux qui devient une
routine exécrable.
A côté du lit, des livres qui s’entassent: “Je lis pour
fuir la réalité”, affirme l’épouse déçue
par l’amour, par son mari, par sa vie de couple sans enfants. Mais ce mari
elle l’aime, par-dessus tout, elle l’adore et le lui dit dans un instant
d’abandon. Dans le rôle du mari, Raymond Hosni est si naturel et
si vrai, que le spectateur est entraîné à réagir
à son égard comme sa femme. Il est si apathique, semble si
soumis aux coups du sort qu’une fois réveillé, on le trouve
faible, insignifiant; même sa colère trahit sa faiblesse et
quand, au bout de la pièce, nous sortons avec ce goût d’insatisfaction,
de défaite, nous réalisons qu’il a gagné son pari,
puisqu’il a réussi à nous faire participer à son échec:
celui des gens pour qui tout semble aller de travers, même les efforts,
comme un acharnement du destin. Mais que seul l’amour peut sauver!
Et ce lit que le couple craint tant qu’on lui enlève va être,
à son tour, menacé; les deux acteurs vont, alors, donner
le meilleur d’eux-mêmes dans cette scène finale où
tout est remis en question, où la vie - passé, présent
et avenir s’il y en a encore - défile comme un film poignant, avec
ses instants de bonheur, ses journées de détresse... avec
Tarek Bacha, ce huissier de dernière minute qui déclenche
la superbe envolée finale. Une pièce écrite et mise
en scène par Joe Kodeih, dans un décor d’Elisa Kodeih, dans
le respect des règles du théâtre classique d’unité
de temps, de lieu et d’action; sur ce lit devenu le témoin, sinon
l’espion, de toute une vie.