AU THÉÂTRE MONNOT
“AL-TAKHT” OÙ LE LIT DEVIENT LE SYMBOLE DE TOUTE UNE VIE

Un lit de fortune, deux tables de nuit, un paravent, une chaise: le rideau s’ouvre, en effet, sur une chambre à coucher. Un couple y dort. Le réveil-matin sonne. L’épouse se lève, prépare le petit déjeuner, réveille son mari à maintes reprises mais, lui, dort. Elle fait ses exercices physiques quotidiens, tout en lui parlant, prend sa douche, alors qu’elle lui crie de se réveiller... mais il continue à dormir.

Les choses commencent, alors, à prendre une signification particulière et la situation se dégrade. Les reproches et les critiques acerbes pleuvent, le mari n’est qu’un paresseux, la femme ne travaille pas, le couple est grevé de dettes et ce lit est tout ce qu’il leur reste... Roula Hamadé, merveilleuse dans le rôle de l’épouse, lui confère toute son ampleur et passe avec facilité - grâce à une parfaite maîtrise de son corps élastique et de son expression mouvante - du rire aux larmes, du comique au tragique, de la plus grande légèreté apparente, ironique, aux questions les plus existentielles. C’est sur le lit qu’on naît, qu’on vit, qu’on meurt; il accompagne l’homme du berceau à la mort.  Ce lit, elle y est attachée comme à la vie; c’est tout ce qui lui reste depuis que la maison a été vidée par les créanciers, tout en le haïssant parfois: ses grincements, sa vétusté, ce rappel de la vie à deux qui devient une routine exécrable.
A côté du lit, des livres qui s’entassent: “Je lis pour fuir la réalité”, affirme l’épouse déçue par l’amour, par son mari, par sa vie de couple sans enfants. Mais ce mari elle l’aime, par-dessus tout, elle l’adore et le lui dit dans un instant d’abandon. Dans le rôle du mari, Raymond Hosni est si naturel et si vrai, que le spectateur est entraîné à réagir à son égard comme sa femme. Il est si apathique, semble si soumis aux coups du sort qu’une fois réveillé, on le trouve faible, insignifiant; même sa colère trahit sa faiblesse et quand, au bout de la pièce, nous sortons avec ce goût d’insatisfaction, de défaite, nous réalisons qu’il a gagné son pari, puisqu’il a réussi à nous faire participer à son échec: celui des gens pour qui tout semble aller de travers, même les efforts, comme un acharnement du destin. Mais que seul l’amour peut sauver!
Et ce lit que le couple craint tant qu’on lui enlève va être, à son tour, menacé; les deux acteurs vont, alors, donner le meilleur d’eux-mêmes dans cette scène finale où tout est remis en question, où la vie - passé, présent et avenir s’il y en a encore - défile comme un film poignant, avec ses instants de bonheur, ses journées de détresse... avec Tarek Bacha, ce huissier de dernière minute qui déclenche la superbe envolée finale. Une pièce écrite et mise en scène par Joe Kodeih, dans un décor d’Elisa Kodeih, dans le respect des règles du théâtre classique d’unité de temps, de lieu et d’action; sur ce lit devenu le témoin, sinon l’espion, de toute une vie.

N.EL-K.

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