LE PLUS INCORRUPTIBLE DES LEADERS LIBANAIS
RAYMOND EDDÉ: UNE PERSONNALITÉ
TRANSCENDANTE AU LIBANISME SANS TACHE

Il est mort, comme il a vécu, dans un combat perpétuel en faveur de la mère-patrie, dont il s’était exilé, volontairement depuis près d’un quart de siècle, tout en maintenant le contact avec elle à des milliers de kilomètres de distance.

Il y a à peine deux semaines, il nous avait adressé un fax pour dénoncer une anomalie d’ordre politique et préconiser la solution qu’il jugeait la plus adéquate pour y mettre fin...
Nous ne pouvions imaginer le perdre aussi brusquement, alors que l’un de ses rêves - le retrait israélien - est sur le point de se réaliser!
Le Liban officiel, politique et populaire lui a rendu un vibrant hommage, mettant l’accent sur sa probité proverbiale et sur son indéfectible attachement aux principes et valeurs pour lesquels il a milité de son vivant.
De fait, c’était un homme intègre et incorruptible, ayant consacré sa vie et ses efforts à défendre sa conception d’un Liban libre, souverain et indépendant. Il était opposé à toutes les compromissions et en a payé cher le prix politique. Il a même failli être victime de plus d’un attentat, ce qui l’a décidé à s’établir en France à la fin de 1976 pour mieux poursuivre la lutte.
Il se distinguait par son franc-parler, ce qui lui valut bien des inimitiés au sein de la classe politique libanaise et à l’étranger.
Foncièrement démocrate attaché aux libertés publiques et au respect de la Constitution, son nom restera lié à la loi sur le secret bancaire, clé de voûte du système financier libanais qu’il avait fait ratifier par la Chambre dans les années cinquante.
Il est né le 15 mars 1913 à Alexandrie, en Egypte où sa famille, originaire du village de Eddé (caza de Jbeil), s’était établie pour fuir le régime ottoman, parce qu’étant de tendance francophile. Aussi, son père condamné à mort par les autorités ottomanes s’était-il réfugié sur les bords du Nil avec son épouse Laudy, née Sursock.
Rentré au pays natal, Raymond Eddé fait ses classes chez les Pères Jésuites et ses études de droit à la Faculté de l’USJ où il obtient sa licence en 1934.
Deux années plus tard, son père Emile Eddé était élu président de la République et s’y maintiendra jusqu’en 1941. Les tragiques événements de novembre 43 l’avaient écarté de la scène politique et, à sa mort en 1949, son fils Raymond lui succède à la tête du Bloc national avec le titre de “amid”.
Celui-ci a été élu député de Jbeil pour la première fois en 1952 et devait se faire réélire sans interruption jusqu’en 1992, sauf en 1964, sa liste ayant été battue. Il devait récupérer son siège de député en 1965 lors d’élections partielles.
S’étant signalé par son anti-chéhabisme, il s’était opposé à l’ancien chef de l’Etat à qui il faisait grief de n’être pas intervenu, alors qu’il était commandant en chef de l’Armée, pour mettre fin au mouvement insurrectionnel de 1958.
Cependant, après les événements de 58, le président Chéhab fait appel à lui en formant un “Cabinet de quatre membres” au sein duquel le “Amid” prend en charge les portefeuilles de l’Intérieur, des Affaires sociales, du Travail et des PTT... Mais il devait démissionner une année plus tard, en signe de protestation contre les ingérences du Deuxième Bureau dans les élections législatives, comme dans les affaires administratives et politiques.
Son opposition au chéhabisme se poursuit sans répit et en 1968, il fonde avec le président Camille Chamoun et M. Pierre Gemayel une “alliance tripartite” (le “Helf”) dont les candidats aux législatives purent battre ceux du Pouvoir, même au Kesrouan.
Le “Amid” se signalait, à l’époque, en réclamant le déploiement d’une force internationale le long de la frontière méridionale.
De plus, il s’est opposé à l’accord du Caire (de 1969) permettant aux Palestiniens de porter les armes ce qui, à son avis, fournissait à Israël un prétexte pour attaquer le Liban-Sud et l’occuper. Aussi, n’a-t-il cessé de réclamer l’abrogation dudit accord, ce qui eut lieu plus de vingt années plus tard.
Durant les douloureux événements, Raymond Eddé se démarquera de la plupart des leaders chrétiens et dénoncera les plans de partition parce qu’allant à l’encontre des intérêts nationaux, surtout des chrétiens. Représentant un courant modéré, il prône la coexistence islamo-chrétienne, ce qui lui vaut une position privilégiée auprès de l’islam libanais et des forces palestino-progressistes. Enfin, il s’est opposé au déploiement des forces syriennes en territoire libanais et a soupçonné Damas de vouloir démembrer le Liban, avec la complicité de Kissinger, ancien chef du département US.
N’ayant pu empêcher le déploiement des troupes syriennes et ayant fait l’objet de trois attentats dans la région de Nahr Ibrahim et devant son domicile à Sanayeh, il quitte le pays le 22 décembre 1976 pour s’installer à Paris.
Favorable à une laïcisation de l’Etat, il a élaboré une proposition de loi instituant le mariage civil.

***

L’absoute sera donnée dimanche à Beyrouth
Sa dépouille mortelle ayant été ramenée vendredi à Beyrouth, ses obsèques auront lieu dimanche à 12 heures, en la cathédrale maronite Saint-Georges, place des Martyrs. L’inhumation se fera dans le caveau familial, à Ras el-Nabeh.
Les condoléances seront reçues samedi 13, dimanche 14, lundi 15, mardi 16 et mercredi 16 mai en la résidence du “amid”, sise à la rue Emile Eddé à Sanayeh (Quartier des Arts et Métiers).
A la famille Eddé et à ses alliés, “La Revue du Liban” présente ses sincères condoléances et l’expression de sa sympathie émue.
 
LA “CONSCIENCE DE LA PATRIE” REVIENT AU BERCAIL

On connaît la double condition qu’il posait pour réintégrer la mère-patrie: que le territoire national soit débarrassé des Israéliens et de toutes les forces étrangères.

Il est parti quelques semaines avant le retrait de “Tsahal” - s’il devait se produire, on ne sait comment ou s’il s’agira d’un simple redéploiement, comme vient de l’insinuer le chef de l’ALS - et revient au “bled” (combien aimait-il répéter ce terme!) pour y reposer après une longue lutte qui a fini par avoir raison de sa combativité.
Car il n’a jamais baissé les bras durant le quart de siècle qu’il a vécu en “exil volontaire” sur les bords de la Seine, partageant, au jour le jour, les joies, les peines et les espoirs ou déceptions de ses compatriotes. De fait, il suivait de près les problèmes d’actualité et n’hésitait aucune fois à commenter un événement d’ordre public, ou une décision officielle qui lui paraissait inadéquate ou préjudiciable aux intérêts nationaux.
Il aurait pu passer du bon temps loin du pays des Cèdres et se désintéresser de ses problèmes sans se faire du souci, d’autant qu’il avançait en âge. Il n’a jamais voulu rompre le contact et tenait à rester à l’écoute des “battements de cœur de la mère-patrie”, comme il se plaisait à le répéter.
Ses amis, partisans et admirateurs voulaient tant le voir rentrer au bercail, mais son retour s’avérait difficile, surtout tant que sa double condition n’était pas satisfaite!
Il est quand même revenu à ce pays qu’il a tant aimé et pour lequel il a combattu avec autant de conviction que d’opiniâtreté! Aussi, des obsèques nationales lui seront-elles faites, après avoir reçu l’hommage posthume du Liban officiel et populaire.
Paix à son âme. 

Ed. B.

Home
Home