Il y a à peine deux semaines, il nous avait adressé un
fax pour dénoncer une anomalie d’ordre politique et préconiser
la solution qu’il jugeait la plus adéquate pour y mettre fin...
Nous ne pouvions imaginer le perdre aussi brusquement, alors que l’un
de ses rêves - le retrait israélien - est sur le point de
se réaliser!
Le Liban officiel, politique et populaire lui a rendu un vibrant hommage,
mettant l’accent sur sa probité proverbiale et sur son indéfectible
attachement aux principes et valeurs pour lesquels il a milité de
son vivant.
De fait, c’était un homme intègre et incorruptible, ayant
consacré sa vie et ses efforts à défendre sa conception
d’un Liban libre, souverain et indépendant. Il était opposé
à toutes les compromissions et en a payé cher le prix politique.
Il a même failli être victime de plus d’un attentat, ce qui
l’a décidé à s’établir en France à la
fin de 1976 pour mieux poursuivre la lutte.
Il se distinguait par son franc-parler, ce qui lui valut bien des inimitiés
au sein de la classe politique libanaise et à l’étranger.
Foncièrement démocrate attaché aux libertés
publiques et au respect de la Constitution, son nom restera lié
à la loi sur le secret bancaire, clé de voûte du système
financier libanais qu’il avait fait ratifier par la Chambre dans les années
cinquante.
Il est né le 15 mars 1913 à Alexandrie, en Egypte où
sa famille, originaire du village de Eddé (caza de Jbeil), s’était
établie pour fuir le régime ottoman, parce qu’étant
de tendance francophile. Aussi, son père condamné à
mort par les autorités ottomanes s’était-il réfugié
sur les bords du Nil avec son épouse Laudy, née Sursock.
Rentré au pays natal, Raymond Eddé fait ses classes chez
les Pères Jésuites et ses études de droit à
la Faculté de l’USJ où il obtient sa licence en 1934.
Deux années plus tard, son père Emile Eddé était
élu président de la République et s’y maintiendra
jusqu’en 1941. Les tragiques événements de novembre 43 l’avaient
écarté de la scène politique et, à sa mort
en 1949, son fils Raymond lui succède à la tête du
Bloc national avec le titre de “amid”.
Celui-ci a été élu député de Jbeil
pour la première fois en 1952 et devait se faire réélire
sans interruption jusqu’en 1992, sauf en 1964, sa liste ayant été
battue. Il devait récupérer son siège de député
en 1965 lors d’élections partielles.
S’étant signalé par son anti-chéhabisme, il s’était
opposé à l’ancien chef de l’Etat à qui il faisait
grief de n’être pas intervenu, alors qu’il était commandant
en chef de l’Armée, pour mettre fin au mouvement insurrectionnel
de 1958.
Cependant, après les événements de 58, le président
Chéhab fait appel à lui en formant un “Cabinet de quatre
membres” au sein duquel le “Amid” prend en charge les portefeuilles de
l’Intérieur, des Affaires sociales, du Travail et des PTT... Mais
il devait démissionner une année plus tard, en signe de protestation
contre les ingérences du Deuxième Bureau dans les élections
législatives, comme dans les affaires administratives et politiques.
Son opposition au chéhabisme se poursuit sans répit et
en 1968, il fonde avec le président Camille Chamoun et M. Pierre
Gemayel une “alliance tripartite” (le “Helf”) dont les candidats aux législatives
purent battre ceux du Pouvoir, même au Kesrouan.
Le “Amid” se signalait, à l’époque, en réclamant
le déploiement d’une force internationale le long de la frontière
méridionale.
De plus, il s’est opposé à l’accord du Caire (de 1969)
permettant aux Palestiniens de porter les armes ce qui, à son avis,
fournissait à Israël un prétexte pour attaquer le Liban-Sud
et l’occuper. Aussi, n’a-t-il cessé de réclamer l’abrogation
dudit accord, ce qui eut lieu plus de vingt années plus tard.
Durant les douloureux événements, Raymond Eddé
se démarquera de la plupart des leaders chrétiens et dénoncera
les plans de partition parce qu’allant à l’encontre des intérêts
nationaux, surtout des chrétiens. Représentant un courant
modéré, il prône la coexistence islamo-chrétienne,
ce qui lui vaut une position privilégiée auprès de
l’islam libanais et des forces palestino-progressistes. Enfin, il s’est
opposé au déploiement des forces syriennes en territoire
libanais et a soupçonné Damas de vouloir démembrer
le Liban, avec la complicité de Kissinger, ancien chef du département
US.
N’ayant pu empêcher le déploiement des troupes syriennes
et ayant fait l’objet de trois attentats dans la région de Nahr
Ibrahim et devant son domicile à Sanayeh, il quitte le pays le 22
décembre 1976 pour s’installer à Paris.
Favorable à une laïcisation de l’Etat, il a élaboré
une proposition de loi instituant le mariage civil.
***
LA “CONSCIENCE DE LA PATRIE” REVIENT AU BERCAIL
On connaît la double condition qu’il posait pour réintégrer la mère-patrie: que le territoire national soit débarrassé des Israéliens et de toutes les forces étrangères. Il est parti quelques semaines avant le retrait de “Tsahal” - s’il devait
se produire, on ne sait comment ou s’il s’agira d’un simple redéploiement,
comme vient de l’insinuer le chef de l’ALS - et revient au “bled” (combien
aimait-il répéter ce terme!) pour y reposer après
une longue lutte qui a fini par avoir raison de sa combativité.
|