Editorial



Par MELHEM KARAM 

DUALITÉ PARTOUT... ET NOUS TROUVONS ABUSIF LE DROIT D’EXPECTATIVE POUR LE LIBAN?

Cohabitation ou dualité? Combien nous en ont-ils fait grief! Bien que tout le monde vit l’état de dualité, sauf les pays totalitaires. Là-bas, c’est une seule voix, une seule opinion et une seule décision. Tout cela est permis sous l’apparence de la concertation, de la discussion et de la dialectique. Sans le contrôle mondial sur ce qui se passe sur le globe terrestre, le “moi” aurait consommé tout ce qui est sec et vert... Et Louis XIV avec “l’Etat, c’est moi” aurait été l’exemple et le modèle.
La dualité partout où elle se manifeste. En Amérique, c’est une dualité technique. Une technologie avec le langage de ce temps. La dualité du Microsoft l’imposante institution que l’Amérique n’a pu supporter en tant qu’unité forte. Elle l’a partagée en deux, se contentant de cela. Elle ne l’a pas divisée en trente entreprises, ainsi qu’elle l’a fait avec “Standard Oil” de John Rockefeller en 1911. Elle l’avait partagée, alors, en trente parties pour devenir sujette à l’intégration.
La dualité existe en France. Le président de la République de la cohabitation parle un langage et le chef du gouvernement de la cohabitation en parle un autre. Dans les paroles du président de la République et du chef du gouvernement, on sent un souci de faire parler à la France un “langage unique” et de faire entendre une “seule voix”. Pourtant, la dualité en France a été consacrée par la Constitution, car ses textes permettent au Premier ministre d’émettre une opinion dans les grandes affaires, celles de la Défense et des Affaires étrangères, les décisions de la présidence dans ces affaires, supposant avoir la signature du chef du gouvernement pour devenir exécutoires.
Pour cette raison, la question suivante a été posée: La Vème République était-elle à la dimension de la France et du général De Gaulle? Il est vrai que le Général s’expose, aujourd’hui, à bien des paroles négatives, plus grandes que celles de Zagdansky. Jean François Revel, auteur de l’ouvrage: “Ainsi prennent fin les démocraties” et éditorialiste de la revue “Le Point”, est descendu dans l’arène de la controverse. Il s’est assis dans le rang des critiqueurs et prend à partie le Général. Nous n’exagérons pas en écrivant cela. Au point de dire que les propos du Général étaient criards jusqu’à éblouir et vides jusqu’à induire en erreur. Mais le Général peut se défendre lui-même dans son “Appel”, dans les “Mémoires” et les livres des jeunes, comme le livre intitulé: “Sur le fil de l’épée”. Il reste grand parmi les rares grands, surtout quand il dit que l’Europe n’est pas possible, dans les entretiens des gens d’aujourd’hui, sans Helmut Kohl, en dépit de ce qu’il lui a été attribué, ainsi qu’à François Mitterrand. Si on revenait en arrière, nous aurions entendu dire que l’Europe n’est pas possible en l’absence de Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.
La dualité de Paris pardonne la contradiction des propos français. A travers ses paroles et son comportement, Jacques Chirac prépare la bataille de 2002. Parce que De Gaulle a gouverné pendant dix ans et François Mitterrand durant quatorze ans. Est-ce trop pour Chirac de se maintenir durant deux mandats, d’autant que les Français n’ont pas trouvé abusive la durée du mandat de Mitterrand, alors qu’ils ont jugé longues les dix années passées par De Gaulle au Pouvoir?
Ils ont dit à Valéry Giscard d’Estaing quand il a voulu renouveler son mandat en 1981: La France a dit à De Gaulle: “Dix ans... ça suffit!” Et le chef du gouvernement, à travers ses paroles et son comportement, surtout à travers la réconciliation des socialistes mitterrandiens, Jack Lang et Laurent Fabius, comme le président de la République à réconcilier Philippe Séguin et Edouard Balladur, prépare, lui aussi, la bataille de 2002 face à Chirac. Pour que la dualité française persiste, une fois sous le nom de “cohabitation” et une fois sous celui de “participation”. Etant entendu que De Gaulle a voulu partir, dit-on, pour n’avoir pu définir la teneur d’un terme prononcé à une heure déterminée: la participation. Comme s’il s’était contenté des dix années, incitant les Français, par référendum, à y mettre fin.
Pourtant, De Gaulle n’a pas accaparé la vérité, la justesse et l’infaillibilité. Il s’est trompé en appelant à un référendum. Et dans sa bataille avec Bourguiba en 1961, il s’est trompé en disant à ceux qui ont attiré son attention sur le fait que beaucoup de sang a coulé, la pire réflexion de sa vie: “Le sang sèche vite”. Depuis le jour où le Général s’est rendu auprès du général Massu à Baden Baden, après avoir été ébranlé par les événements du 5 mai 1968 menés par Cohn Bendit, depuis cette date s’écrit l’histoire de l’après-gaullisme, pour entendre du commandant de l’Armée des paroles dures pour lui: Votre place est à Paris. Revenez à Paris.
Tout cela, n’est-ce pas de la dualité? Tout ce monde vit la dualité. Le machiavélisme... Comme si Machiavel n’est pas venu pour dénoncer, mais pour compléter. Ou comme s’il est venu non pour créer un fait, mais pour enregistrer un fait existant gravé dans l’existence. L’Amérique protectrice des libertés et des droits de l’homme, dit ce qui devait être dit dans les événements de Tien An Men. Ni dans des événements chinois pareils à ceux des années 80, parce que la Chine est un grand Etat... Plutôt un Etat appelé à devenir une grande puissance.
L’Amérique et l’Europe sont enclines à la souplesse avec la Russie de Poutine, comme si ce qui se passe en Tchétchénie est un souci qui affecte les seuls angoissés. Aussi, est-il traité par des paroles audibles, afin que les paroles de la réalité soient proférées dans les sérails, entre les détenteurs des armes nucléaires. L’Amérique est ainsi et l’Europe. Pourtant, l’Europe voit dans son émergence une menace de sa disparition. L’Europe des Quinze appelée à la croissance et à la bénédiction, assiste à une bataille que les gens se sont habitués à appeler “bataille des anciens et des rénovateurs”. Il en est ainsi dans les lettres et la politique.
En Israël, la dualité a atteint un tel degré qu’on se rappelle Benjamin Netanyahu en bien, surtout après que Ehud Barak s’est détourné du dossier syrien, pour se pencher sur le dossier palestinien. D’autant que les orthodoxes palestiniens ont commencé à s’éloigner de la scène, à l’exemple de Georges Habache. Le président Hafez Assad n’accepte pas, comme c’est connu, une demi-paix, une paix tronquée. Même si le président Clinton l’a invité à Genève pour lui dire, comme on le sait, que la concession syrienne aide Ehud Barak à surmonter ses crises intérieures. Comme si ces crises devaient devenir un fait syrien interne, ou comme si elles sont devenues un fait américain interne. On dirait que la crise avec la Syrie a cessé d’être la crise de Ehud Barak et l’obsession de Bill Clinton.
La dualité partout. Est-il permis et possible que le Liban en soit affranchi? Est-il permis au Liban de ne pas prendre son temps, ce qui diffère de l’hésitation, le jour où le climat tout entier change pour lui et, spécialement, chez lui? On l’avait présenté comme le premier pays arabe à signer la paix avec Israël. Il en était ainsi en 1948. Ben Gourion que Ehud Barak cherche à être dans sa ligne, ainsi que dans la ligne de Menahem Begin et Yizthak Rabin, était le quatrième grand gouvernant de l’Etat hébreu.
Helmut Kohl trouvait que Konrad Adenauer était resté longtemps au Pouvoir et lui-même s’est employé à s’y maintenir jusqu’à ce qu’il en fut extirpé.
En 1947, Ben Gourion parlait d’un allié naturel d’Israël sur ses frontières nord, en pensant aux chrétiens du Liban et les deux étaient dans l’erreur: ceux qui ont espéré voir le Liban signer le premier et ceux qui ont proposé le chrétien pour être le premier allié... Le retrait israélien du Liban-Sud a été, au contraire, le premier retrait israélien d’une terre arabe. Et le chrétien était très éloigné de la position du premier allié d’Israël.
Ni le premier, ni le second. Le chrétien est avec les premiers qui ont appelé au départ d’Israël des territoires arabes. Du Sud, de la Békaa ouest, du Golan, de Cisjordanie et de Jérusalem... pour que la paix soit véritable. Non seulement une trêve, la paix du vainqueur imposée au vaincu. Mais la paix des braves établissant un équilibre sain entre les antagonistes.
Voulons-nous après tout cela, que le Liban commence par l’expectative, alors qu’il est tiraillé par le monde entier au point de se croire dans un état de perdition? Le Liban a une opinion et une position à dire et à adopter. Ceci est imposé et non seulement supposé par la raison, la science et la grande politique. 

Photo Melhem Karam

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