tribune
EN MARGE D’UN ANNIVERSAIRE
Israël célèbre, ces jours-ci, l’anniversaire de sa création en tant qu’Etat. Pour les Juifs, c’est une fête. Pour les Palestiniens, c’est le rappel de leur spoliation. Pour les Arabes en général, c’est le souvenir de leur première humiliation sur le champ de bataille depuis 1918 (victoire anglo-arabe sur les Ottomans).
Plus d’un demi-siècle est passé sur ces événements. Quel est le constat qu’on peut faire aujourd’hui, de l’état des rapports d’Israël avec son environnement arabe?
De leur côté, les dirigeants arabes ont fait un pas de géant pour donner la main aux dirigeants juifs. Mais les responsables israéliens continuent de tergiverser. On n’a pas encore oublié cette image sur la pelouse de la Maison-Blanche d’un Arafat tendant la main à Yitzhak Rabin pour consacrer “la paix des braves” et Rabin hésitant à serrer cette main. Ce n’est pas fini. On assiste depuis des mois à la danse du tango de M. Ehud Barak, un pas en avant, deux pas en arrière.
M. Rabin, il faut le reconnaître, avait été assez loin dans la voie de la paix. C’est pourquoi, il a été assassiné. Son successeur n’a pas le courage de la paix ou il est trop faible pour l’oser.

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Ce qui domine toujours les rapports d’Israël avec le monde arabe, les rapports aussi bien conflictuels naturellement, que pacifiques et c’est moins compréhensibles, c’est la méfiance. Une méfiance que les dirigeants d’Israël n’ont jamais tenté de surmonter ou d’aider le peuple juif à surmonter.
Malgré tous les témoignages de bonne volonté des Arabes, malgré la visite de Sadate à Jérusalem (où l’accueil qu’il a reçu n’a pas été à la hauteur de son geste audacieux), malgré les traités de paix signés avec l’Egypte et la Jordanie, malgré Madrid et Oslo, malgré les innombrables et humiliantes concessions d’Arafat pour récupérer une partie des territoires palestiniens promis par la résolution 242 de l’ONU, malgré les assurances répétées de Damas et de Beyrouth de leur volonté de conclure la paix, malgré les relations économiques établies par divers Etats du Golfe et d’Afrique du Nord, malgré tout, enfin, les dirigeants israéliens se montrent incapables de surmonter leur méfiance à l’égard des Arabes. A la main tendue, Israël continue d’opposer une politique d’exclusion. Il multiplie les exigences de sécurité, les confiscations de terres, les mesures de contrôle sur les déplacements des personnes (aéroport et port de Gaza, routes reliant les colonies de peuplement en Cisjordanie), sur les eaux, sur les frontières, sur tout...
Il réclame de tout le monde des garanties de sécurité et n’entend rien céder en retour pour établir un climat de confiance.
Tout se passe, en somme, comme si l’Etat juif ne recherche pas vraiment la paix, mais uniquement une protection contre un retour d’hostilité du monde arabe. C’est qu’au fond, il redoute que ne lui soient jamais pardonnées l’expulsion des Palestiniens de leurs terres et la confiscation de leur pays. N’y a-t-il pas là comme un aveu implicite de culpabilité?
Au lieu de jouer des airs de tango comme le réclame M. Barak, Israël ne fait que battre le tambour de la guerre. Le Liban en est le témoin et la victime. Et c’est du Liban qu’aujourd’hui, il réclame des garanties de sécurité. Pour soutenir cette revendication, il vient de redécouvrir l’existence de l’Organisation des Nations Unies.
Israël, qui n’a jamais reconnu à l’ONU une compétence quelconque dans le traitement du conflit de Palestine, qui a systématiquement rejeté toutes ces résolutions, qui a toujours refusé sa médiation pour une solution négociée, qui a même assassiné autrefois son représentant (le comte Bernadotte) parce qu’il préconisait un plan de paix, Israël maintenant croit pouvoir trouver dans les procédures de l’ONU, un moyen de rejeter sur le gouvernement libanais la responsabilité de la sécurité de ses frontières (qu’il entoure d’une barrière électrifiée).

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Dans les années 50, on avait entendu M. Nahum Goldmann, président de l’Agence juive, affirmer “L’assimilation, voilà le danger!” Il posait ainsi le principe fondateur de l’Etat juif dans le refus de toute politique de paix et d’intégration de cet Etat dans son environnement oriental. Le juif, selon M. Goldmann, pour rester Juif, doit s’isoler de ses voisins. Il s’agirait donc de réinventer le Ghetto, mais à l’échelon des rapports inter-Etats. D’où cette exigence, aujourd’hui, de garanties de sécurité plutôt que de paix véritable.
Tant que cet état d’esprit n’aura pas été modifié profondément, il n’y a rien à espérer. Le peuple israélien a été marqué par le sentiment d’un peuple assiégé. L’assassinat de Rabin a révélé combien ce sentiment de peur continue d’être entretenu. Que le “siège” ait été depuis longtemps levé par les Etats arabes, que ces Etats soient aujourd’hui divisés et largement désarmés, qu’ils soient tous ralliés aux Etats-Unis unique puissance tutélaire, qu’ils aient accepté de négocier, de signer la paix, de normaliser leurs rapports avec Israël, qu’aucun ne se livre plus à une propagande de guerre et de “libération”, rien n’y fait... Israël a peur. Le pays qui possède la plus forte puissance militaire du Proche-Orient et bénéficie de la protection de la plus grande puissance du monde qui ne lui refuse ni les armes les plus modernes, ni les subsides financiers, ce pays cultive un sentiment de peur et de méfiance à l’égard de ses voisins.
C’est un cas caractéristique de maladie à l’échelle nationale, qui réclame une thérapie de la paix. Qui peut la lui administrer? 


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