WAJIH NAHLÉ... LE CRI DE LA COULEUR

Une exposition signée Wajih Nahlé est toujours synonyme de moments intenses, d’instants de délectation pure à la Galerie d’Art Sader.


La couleur, à la limite, flambe l’espace.
Voilà la palette rugissante de Nahlé.

 
Chacune des œuvres de cet artiste est un geste démultiplié en une succession de gestes au second degré transcendés par les deux coefficients d’improvisations et de vitesse portés à leur maximum d’intensité paroxystique.
La chorégraphie picturale jaillit du corps tout entier et substitue au temps-quantité, la notion du temps-jeu, de l’instantanéité.
Le geste de l’artiste prend, alors, possession de la toile où l’ensemble de ses articulations signifiantes détruit l’image pour en reconstituer l’essence à la surface.
La peinture possède une vie qui lui est propre et sa dimension particulière. Elle est la projection directe de l’artiste sur la toile, à travers sa propre technique, son rythme et son intensité.
La peinture de Nahlé est action, développant au maximum ses pouvoirs expressifs, pour incarner dans le geste, la totale intensité génératrice de sa pleine expression énergétique.
L’artiste ne veut avoir aucun ordre logique, aucun rationalisme dans sa démarche. Vitesse et spontanéité apparaissent comme les éléments de base d’une gestualité lyrique immédiate et fulgurante. Sa peinture s’exprime par un corps à corps violent avec l’œuvre, une prise de possession totale de l’espace.
 

Wajih Nahlé a dépassé la calligraphie, 
qui l’a transcendé pour en faire une 
écriture toute personnelle.

Nahlé a créé une spatialité nouvelle, 
une danse des formes: ce n’est guère 
le fait d’une fantaisie désordonnée..

Ce calligraphe des temps modernes a pourtant voulu créer une certaine distance séparant son travail de cet art traditionnel qui n’est pas automatisme pur, mais méditation.
Wajih Nahlé a réussi à introduire dans sa gestuelle un contrôle, non du geste qui doit demeurer impulsif, mais de son contenu expressif.
Brisant l’écriture, l’exaspérant, la dépassant, Nahlé part du principe que la liberté ne sert qu’aux libérations, mais elle ne vaut que si la libération des formes et des signes élaborent un autre langage.
Aujourd’hui, à la galerie Sader, nous admirons encore une fois les compositions d’un homme qui a su faire entrer la vitesse et le risque dans l’art, a mobilisé ses forces en une fête suprême: celle de la création qui a quitté la solitude de l’atelier pour le dialogue direct avec le spectateur. Oui, il n’y a pas d’art sans liberté, qu’on nous pardonne ce truisme, en raison de son actualité. La peinture contemporaine est devenue enfin libre, voire “sauvage”.
Aujourd’hui, les artistes n’ont plus besoin de justification pour déployer toute la furie de leur dessin et toute la violence des couleurs.
A preuve ces magnifiques toiles d’une rare intensité, où le mouvement de la main et même du bras n’est jamais interrompu dans son élan.
Des compositions captant toute la lumière du monde, qui font chanter la couleur, où les coups de brosse nerveux creusent des sillons laissant réapparaître en stries, la couche inférieure d’une autre teinte.
La palette de Wajih Nahlé est d’une puissance certaine.
Il y a, certes, l’emploi intensif des primaires, le rouge, le jaune. Et, surtout, ce bleu exceptionnel, un bleu avec des profondeurs mal définis, le bleu, maelström où viennent s’engloutir d’autres tonalités...
Son choix apparemment arbitraire des valeurs chromatiques les plus crues, les plus violentes, n’est guère le fait d’une fantaisie désordonnée. Wajih Nahlé construit et organise solidement sa toile, selon des rythmes simples ou brutaux, mais toujours expressifs. La couleur seule suggère l’espace, la lumière des volumes par leur intensité.
Les couleurs deviennent comme le disait Derain “des cartouches de dynamite...”
Elles flambent presque l’espace pictural. Créent une spatialité nouvelle. Il vous faut visiter cette exposition. Les spectateurs et les compositions se trouveront irrémédiablement liés par un contact affectif, voire charnel, qui ne laissera aucun d’eux insensible à cet art, où la couleur est un cri.

Par SONIA NIGOLIAN

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