RAYMOND EDDÉ, LA “CONSCIENCE DU LIBAN”,
N’A PAS PU ATTENDRE LA LIBÉRATION DE SON PAYS POUR Y RETOURNER

Il avait juré “qu’il ne reviendra que quand le dernier soldat étranger aura quitté le territoire libanais. Il aura en quelque sorte, tenu parole.

Homme de principes, exemple de patriotisme, son nom était devenu synonyme d’honnêteté, de probité et de droiture. Il ne savait pas transiger quand il s’agissait des intérêts de son pays. Pour lui, le Liban devait, à juste titre, rester en dehors de tout compromis.
Raymond Eddé, que les Libanais et ses partisans appelaient, tendrement, le “Amid”, a quitté la France après vingt-cinq ans d’exil, pour reprendre le chemin de sa terre natale. Elle lui a rouvert les bras dès l’atterrissage de sa dépouille mortelle à l’AIB et lui a réservé l’accueil des grands hommes, une branche de cèdre, symbole d’éternité, pour couronne de laurier, le drapeau libanais pour ultime couverture. Il aura prouvé que seule la volonté populaire légitime et consacre les situations et les personnes et que dans son cœur, chacun élit le chef d’Etat qu’il désire.

FIDÈLE À SES CONVICTIONS
Même ses ennemis politiques étaient là, conscients, que le Amid avait fait fi de toutes les considérations pour rester fidèle à ses convictions purement libanaises. Jbeil son fief natal est en deuil.
Portée à bout de bras par les membres du Bloc national, la dépouille est saluée par une salve d’applaudissements et des cris éplorés de la foule nombreuse brandissant des banderoles et des photos du grand disparu.
Aussi, entame-t-on, un tour à pied avant que le cortège prenne la direction de la Galerie Semaan, en passant par Badaro, Chiyah et jusqu’à Sanayeh où, à nouveau, la dépouille est portée sur plusieurs centaines de mètres jusqu’au domicile du défunt, rue Emile Eddé.
Tout le monde réalise, soudain, même ses détracteurs qui l’avaient dépeint comme ayant lâchement fui le Liban et la violence, que si le “Amid” avait choisi la France, ce n’était pas pour abandonner le Liban, mais pour éviter de se salir les mains, de les tremper dans le sang d’une guerre fratricide qu’il ne pouvait que refuser.
 

Le président Emile Lahoud présentant 
ses condoléances à Carlos Pierre Eddé.

A la cathédrale St-Georges, au premeir 
rang de l’assistance: MM. Nabih Berri et Salim Hoss.

À SANAYEH, ÉMOI ET EXPECTATIVE
A l’annonce de la triste nouvelle (mercredi, après-midi), la résidence des Eddé à Sanayeh regorge de monde. Vendredi, c’est l’expectative. Raymond Eddé retrouve sa terre natale et sa maison, en plein deuil, qui a attendu, en vain, pendant un quart de siècle durant le retour de son propriétaire, ses rêves réalisés: l’occupation israélienne terminée et la raison de la présence syrienne annulée. Là, une foule affluant des quatre coins du Liban est venue accueillir, dans la douleur, celui qui fut le fervent défenseur de la démocratie, de la liberté, de l’indépendance et des droits de l’homme.
Plusieurs centaines des partisans et membres du Bloc National, ainsi que de citoyens, venant pour la plupart de caza de Jbeil, fief de Raymond Eddé, sont présents. Le drapeau libanais et celui du parti, ainsi que des dizaines de couronnes funéraires sont placés devant la grande entrée de la résidence. Vers 17h30, la foule se fait plus dense. A l’arrivée du convoi, c’est le délire. Le cercueil est porté par de jeunes gens. Des cris de douleur s’élèvent, surtout quand la dépouille mortelle franchit la porte principale. Elle est placée dans le salon attenant au jardin, celui que préf´´rait le Amid, gardée par quatre membres du BN. Le défilé des personnalités, des partisans et des amis venus s’incliner devant le leader national et lui rendre l’hommage qui lui est dû, s’est poursuivi jusqu’au soir; samedi, de même. Les condoléances sont reçues par MM. Michel Eddé, Carlos Pierre Eddé, nouveau “Amid”, les responsables du parti et les membres de la famille Eddé, dans le grand hall décoré d’une peinture représentant St-Georges terrassant le dragon.
 

M. Nabih Berri déposant, au nom 
du chef de l’Etat, sur le cercueil, les 
insignes du grand officier de l’Ordre 
national du Cèdre.

M. Carlos Eddé recevant M. Melhem Karam.

LES ADIEUX DU LIBAN AU “AMID”
Dimanche 14 mai, à 10h45, la séparation est encore plus pénible que les retrouvailles. Le cercueil est porté à bout de bras sous une pluie de fleurs et de riz. Des milliers de personnes (20.000 à 25.000 et plus d’après certaines sources officielles) accompagnent le “Amid” à sa dernière demeure, dans un cortège digne d’un homme de sa stature.
Sous un soleil de plomb, le cortège avance, conduit par des officiels, hauts responsables du parti, les anciens ministres Michel Eddé et Walid Joumblatt, venu à la tête d’une impressionnante délégation comprenant deux cents chefs religieux, geste symbolique de haute teneur, caractérisant la profonde amitié de Kamal Joumblatt et de Raymond Eddé et l’importance des relations historiques des maronites et des druzes.
Place de l’Etoile, l’émotion atteint son paroxysme. On fait danser le cercueil, les yeux sont embués de larmes, le “Amid” visite, pour la dernière fois, le parlement où il était l’“éternel opposant” et à qui on doit d’importants projets de lois qui ont marqué le Liban moderne.
C’est en la cathédrale St-Georges des maronites qu’a été célébré l’office funèbre du grand disparu en présence d’une foule de personnalités représentant tout le Liban, venues, unanimement, rendre hommage à son patriotisme et à son appartenance à une nation libanaise qu’il voulait loin de toutes les compromissions.
Là, il faut faire intervenir les forces de l’ordre pour permettre au cercueil de se frayer un passage, la foule refusant de s’éloigner.


Le cardinal Sfeir prononçant l’oraison funèbre.

LE CARDINAL SFEIR: “UNE FIGURE NATIONALE”
S.B. Mgr Nasrallah Sfeir prononce une oraison funèbre exprimant ce que pensent et ressentent les Libanais: “Raymond Eddé a passé sa vie à combattre le mensonge, à proclamer le droit, à faire éclater la vérité. C’est ce qui en a fait une figure nationale, un parlementaire éminent, un homme d’Etat de l’étoffe des présidents, capable de voir loin et juste. Il aurait, d’ailleurs, facilement accédé à la magistrature suprême, s’il avait modifié, ne serait-ce d’un iota, ses constantes; composé, fut-ce un instant sur ses principes, ou modifié, même éphémèrement, ses convictions”, a dit le patriarche maronite, avant de retracer l’histoire de Raymond Eddé, le rôle de son père, feu le président Emile Eddé et de la famille, évoquant l’art du bien commun du “Amid”. “Son style d’action était marqué par la franchise et la sincérité. Il ne disait que ce qu’il pensait. Il a prouvé que la politique n’est pas comme certains le pensent, ruse et mensonge... C’est par souci de servir la Nation que Raymond Eddé a cherché à occuper, un siège parlementaire... la députation ne fut jamais ni pour sa satisfaction personnelle, ni un moyen d’enrichissement aux dépens de l’intérêt public, ni un paravent pour des abus ou des entorses à la légalité... Il sut élever ses électeurs à ce niveau...”

LE PLUS GRAND PARMI NOS HOMMES
A l’issue de l’office funèbre, Me Antoine Klimos, ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats et membre du Bloc National, a pris la parole au nom du Conseil de l’Ordre de Beyrouth: ...“Le cœur d’un grand homme s’est arrêté de battre, celui de Raymond Eddé, fils de ce petit pays si grand, au sein duquel il retourne sans l’avoir jamais quitté, fidèle à sa terre...”
A son tour, Me Ibrahim Estephan s’est exprimé au nom du B.N.: “Vous avez été le premier des résistants, les tentatives d’attenter à votre vie se sont brisées à nos pieds et seize membres du parti ont péri en martyrs”.
Le Dr Sakhr Salem, médecin de Raymond Eddé, rappelle de manière émouvante les derniers jours du “Amid”, ses réflexions et ses répliques pertinentes, son courage, voire sa jubilation devant la mort “qui me permettra de revoir ma mère”. Mais l’intensité de la douleur devait empêcher M. Carlos Eddé, nouveau chef du B.N., de s’adresser à la foule. La voix étouffée par l’émotion, il a seulement pu remercier les personnalités, alors que M. Roger Khoury, secrétaire général de l’Ordre des avocats, donne lecture du mot du nouveau “Amid”: “Ma seule consolation est que le défunt reposera, désormais, auprès de ses parents, en terre libanaise et que ce moment était réservé à la contemplation, à la prière et à poursuivre le chemin, avec les amis et les hommes sincères”.
Raymond Eddé aura réunifié le Liban par sa mort. Plébiscité par le peuple libanais, il a non seulement gagné la bataille mais la guerre.

NICOLE EL-KAREH et CLAUDINE HARDANE

Home
Home