Editorial



Par MELHEM KARAM 

AU SUD... AU NOM DE TOUT LE LIBAN!

Le “Bloc national” n’a pu sortir de quelque chose de libanais résident: le classicisme des références. Le “amid” est mort, vive le “amid”. Et le “amid” est aujourd’hui, Carlos Pierre Eddé. Cela devait être pour que les membres du B.N. restent solidaires et unis. Etant entendu qu’ils n’étaient plus ainsi depuis quelque temps. Même du vivant de Raymond Eddé.
Les partis libanais sont tous ainsi. Les Kataëb ont tenté de sortir de la tradition de la référence, en envisageant de transposer le parti de l’ère du fondateur à celle de l’institution, nul ne réalisant de quel destin il a été atteint. La question de la députation d’Amine Gemayel au début des années soixante-dix, relate l’histoire tout entière. Maurice Gemayel venait de mourir et le député de l’ombre était le chef du régional dans la structure du parti, appelé à succéder au député décédé. Le chef du régional du Metn était, alors, Mounir Hajj, actuel leader des Kataëb, mais le choix s’est fixé sur Amine Gemayel, lequel était, à l’époque, en concurrence avec Fouad Nassib Lahoud. Le parti n’a pas manqué d’expliquer ce choix, en disant aux gens en toute simplicité et clarté: Les électeurs s’enthousiasment davantage et vont aux urnes, si “le fils de Gemayel est dans le coup”. Cela était vrai. Ce jour-là, Camille Chamoun a appuyé Amine Gemayel, malgré son alliance traditionnelle avec l’aile des Lahoud représentée par “Abou Salim”, c’est-à-dire par Nassib Lahoud le plus grand de ses frères. Et Abou-Salim avait de l’admiration pour son frère Emile Lahoud, le grand homme, si bien que lorsqu’on l’a blâmé, il a dit: “Emile a plus de prestance”.
Le parti au Liban, n’est pas un parti. Il est géré par un esprit partisan. Ainsi, le Bloc constitutionnel (Destour) ne peut durer sans la famille Béchara el-Khoury. Et le Bloc national (les deux partis ayant engendré le yazbakisme et le joumblattisme, ces derniers ayant engendré Al-Kayssiah et Al-Yamania), ne peut exister sans la famille Eddé. Le parti socialiste progressiste ne peut être sans la famille Joumblatt. Les Joumblatt de Moukhtara, non ceux de Bramieh, ni ceux de Ain Kani, naturellement. Et les “Nationaux libéraux” ne peuvent être sans la famille Chamoun. Même le Parti social national syrien et le parti communiste n’ont pu l’emporter sur la tradition des références. Je n’oublie pas comment certains membres du PSNS se sont formalisés de propos que j’ai tenus sur le legs d’Antoun Saadé, le jour où les ailes des “Urgences” et du “Conseil supérieur” se sont unifiées. J’avais dit: Si Antoun Saadé avait une branche et un legs, ce qui s’est produit au sein du parti n’aurait pas eu lieu, à savoir qu’il s’est scindé en trois partis ou trois branches qui ne se rencontraient pas.
C’est que pour être, le parti doit, en plus de l’idéologie, reconnaître une direction et la confier à une personne.
Faute de quoi, il se transforme en un salon pour les idées, les recherches et les théories. Ceux qui tentent, aujourd’hui, d’agir doivent accepter de nous ces paroles, qu’il s’agisse de courants, de mouvements ou de ligues. Sans la cession de la direction, le parti ne peut survivre, les directions collégiales étant un nom portant en son sein la proclamation d’un chef à l’unanimité ou à la majorité; ceci reflétant la cession de la base. Si le parti est sans base, que peut-il être?
Il s’agit de choses libanaises et même non libanaises. A ceux qui ont vu une démocratie en Grèce, on a dit: Pas de démocratie tant que l’Eglise et l’Etat forment une unité. Des choses libanaises doivent être dites telles qu’elles sont, car quiconque veut soigner, diagnostique le mal avant de prescrire le remède. Et ce, dans le plus élémentaire de la simple logique, sinon le mal emporte le malade. De là, notre propos sur les chutes ayant fait tomber les Libanais dans leurs labyrinthes, les chutes des derniers événements, celles du confessionnalisme, de l’assassinat sur la carte d’identité, des remblais et des lignes de démarcation. Les chutes ayant résulté du fait d’avoir pris la patrie à la légère, au point de l’imaginer, dans une mentalité illusoire, comme deux patries. Si nous nions cela, serons-nous, effectivement, désireux d’obtenir le salut ou bien serons-nous, avec les autres, victimes du jeu du camouflage?
Nous nous innocentons nous-mêmes? Fort bien, mais pour accuser qui: l’étranger? C’est vrai. Mais l’étranger aurait-il eu droit de cité chez nous, si nous étions nous-mêmes unis? Même la catastrophe, même elle, ne nous a pas unis. Et le retour des déplacés, à la manière des soldats vaincus - et ils ne sont pas encore tous revenus - en est le meilleur témoin.
L’étranger s’est joué de nous, parce que nous autres avons ouvert à l’étranger la porte de la maison. Parce que nous autres - pourquoi se cacher derrière la feuille de figuier - nous ne sommes pas encore sortis de la mentalité des “protectorats”. Et parce que nous continuons à faire appel à l’étranger, non à l’Arabe et à l’ennemi, non au frère contre le fils de la maison. Car l’important pour nous est de triompher, divisés et rancuniers, non pour que la maison puisse vaincre par notre unité et notre affection. Elle serait, alors, sauvée et nous avec elle.
L’histoire du retrait israélien du Sud nous a-t-elle unis? La crise du Sud, dès le début et du temps de la “bonne frontière” ne nous a pas unis. Ce brave peuple, le nôtre, il n’est pas permis pour nous de lui parler par l’instinct, mais par la raison, la raison nationale lucide, en mettant l’accent sur sa responsabilité vis-à-vis des générations de l’Histoire.
Nous traversons, aujourd’hui, une étape délicate, très délicate, où il est interdit au frère de confronter son frère, mais de le soutenir, en appuyant son épaule sur la sienne et en oubliant qu’ils ont commis, un jour, une erreur commune. Le Sud doit nous faire oublier ce que Cana a failli nous faire oublier. Cana avec la chaleur des “grappes de la colère”, ne serait-ce que pour un temps.
Nul n’a désespéré du Liban. Au contraire, les chocs, en dépit de leur violence, ont accru notre espoir en lui et dans le peuple. Mais l’espoir est une flamme qui s’estompe, lorsqu’elle n’est pas entretenue par le feu aimant fait de pensée, de rationalité et de réalisme.
Depuis qu’il existe, le Sud libanais a été une crise et un problème, de la Syrie à l’Iran, à la France et à l’Amérique. Pourtant, Paris et Washington sont paralysés par la fièvre électorale. Jacques Chirac et, comme lui, Lionel Jospin, préparent la bataille de la présidence de 2002 et, avant elle, la bataille des législatives. Parce que la France a réalisé l’ampleur du tribut des crises de la “participation”.
Bill Clinton est noyé jusqu’à ses deux oreilles dans deux batailles: la bataille de son épouse à New York bien que son adversaire soit atteint du cancer et a décidé de suspendre, provisoirement, sa campagne.
Et la bataille de son vice-président Al-Gore, statique à tel point que l’action tout entière est laissée à sa femme.
Hafez Assad, quant à lui, est occupé à reconsidérer les structures du “Baas” et, partant, celles du Pouvoir et du gouvernement, avec courage et une conscience de leader responsable. En réaffirmant, en permanence, que la paix est une stratégie dont il ne déviera pas. Et Mohamed Khatami est engagé dans une bataille qui ne finit pas opposant les conservateurs au nouveau régime iranien.
Le Sud doit être préservé et il est davantage prêt de cela que de redevenir un champ de confrontation, par air, par terre et par mer, en dépit de toutes les craintes. Et le retrait du Sud est un événement plus que ne l’était son occupation, car le retrait est prévisible depuis qu’a débuté l’occupation. Cela était connu. Ce qui ne l’était pas, c’était le timing. On sait maintenant que le timing était le 7 juillet. Aux Libanais de savoir par leur unité, une fois de plus, surtout par leur unité, comment atteindre l’échéance avec fermeté et confiance. C’est, peut-être, la première fois où nous faisons face à l’imposante échéance. L’indépendance était, sans doute, de cette ampleur. Pourtant, l’indépendance et le retrait sont tous deux l’acte des grands à l’origine. Et notre acte à nous, partant du fait que nous en faisons partie.
Le moment est venu pour nous de devenir la base et nous ne le serons pas, sauf si nous allons au rendez-vous sudiste au nom de tout le Liban. 

Photo Melhem Karam

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