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REPUS D’EAUX ET DE PAROLES
Le discours officiel et moins officiel n’a plus d’autre objet que Chébaa. Nous pouvons dire, tout respect gardé, que nous en sommes rassasiés. C’est, d’ailleurs, dit-on, le sens même du mot Chébaa: la rassasiée, la repue. On sait que c’est une région exceptionnellement riche en eaux. D’où, paraît-il, son nom. Et d’où certainement l’intérêt que les Israéliens lui portent.
En tout cas, le plus bouché des interlocuteurs du gouvernement libanais, à moins d’être de mauvaise foi, a déjà compris que ce territoire est bel et bien libanais. Au vu des documents produits par M. Salim Hoss, M. Annan devrait lui-même en convenir. Mais osera-t-il? Ne va-t-il pas se rappeler que s’il occupe son poste à la tête de l’ONU, c’est justement parce que son prédécesseur, M. Boutros Boutros Ghali, avait osé, lui, dire la vérité? Il avait rendu public le rapport d’enquête sur le massacre de Cana que Mme Albright voulait mettre sous le boisseau. C’est pourquoi, M. Ghali avait été proprement vidé.
M. Annan vient, enfin, d’opposer aux cartes produites par M. Hoss, des cartes d’origine syrienne. Ces différences cartographiques s’expliquent facilement dans le contexte de l’époque où elles ont été établies. Et c’est ce qui a justifié les négociations suivantes entre les deux pays à la suite desquelles la frontière était clairement fixée.
Le fait est que M. Annan n’a nulle envie de trancher et il peut s’abriter derrière les résolutions 242 et 425.
Ainsi, vont les choses à l’ONU. Contrairement à ce que s’obstinent à croire les Arabes depuis plus de cinquante ans, cette organisation n’est pas un véritable tribunal pour dire le Droit, pour instaurer une justice dans les rapports internationaux, mais un instrument pour traduire l’équilibre des forces sur le plan politique.
S’il en était autrement, le conflit de Palestine, qui empoisonne toujours le monde, aurait trouvé depuis longtemps sa solution. Car, en fait, personne, hors des communautés juives, ne nie le droit des Palestiniens sur leurs terres.

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Pour en revenir à Chébaa, on est amené à constater que l’Etat libanais vient un peu tard revendiquer son droit de souveraineté sur ce territoire. Mieux vaut tard que jamais, certes et il n’y a pas prescriptions en ce domaine. Mais enfin, que faisait-il cet Etat quand ce territoire avait été occupé, en 1967, par Israël et ensuite annexé avec le Golan?
Selon les documents produits par M. Salim Hoss, les accords syro-libanais sur le tracé des frontières dans cette région remontent à 1946 et ont été plusieurs fois confirmés par la suite. Si vraiment un poste syrien de gendarmerie s’y trouvait en 1967, comme le prétend le gouvernement israélien, ne doit-on pas supposer que cela résultait d’un arrangement entre Damas et Beyrouth pour le contrôle d’une frontière perméable à la contrebande que la Syrie plus que le Liban était intéressée à réprimer? De tels arrangements existent, par exemple, entre les Etats-Unis et le Canada ou entre la France et le canton de Genève: le contrôle frontalier est assuré par l’une des parties.
Cela dit, la négligence de l’Etat libanais à l’égard de la région de Chébaa est ancienne et impardonnable. Voilà une région riche en eaux, un site touristique, dont l’aménagement était réclamé depuis longtemps par les amateurs de sports d’hiver et les responsables officiels du tourisme. L’Etat ne s’en est jamais soucié. C’est, aussi, une position stratégique pour le partage des eaux qui faisait partie des plans élaborés en commun par la Syrie, la Jordanie et le Liban. Ces plans avaient reçu un commencement d’exécution longtemps avant la guerre de 1967. Israël avait tenté de les stopper par des bombardements aériens.
Tout contribuait donc à inciter l’Etat libanais à rester vigilant et à marquer sa présence dans cette région.
Enfin, ne fallait-il pas soutenir une revendication au moment de l’occupation israélienne de 1967 ou, plus tard, quand Israël et la Syrie se sont accordés après la guerre de 1973, pour accepter un contrôle de l’ONU sur la séparation des forces?

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Maintenant que le Conseil de Sécurité est saisi de cette situation que pourra-t-il décider?
Il ne peut nier l’appartenance de ce territoire au Liban. Mais il ne pourra pas, non plus, l’inclure dans l’exécution de la résolution 425 qui est postérieure de onze ans à son occupation par Israël. Or, en ce moment, il ne s’agit que de la 425.
Qu’Israël devra, tôt ou tard, évacuer cette région et la rendre à ses propriétaires légitimes, c’est le bon sens et le respect du droit international d’autant plus que le Liban n’avait pas pris part à la guerre de 1967.
Mais le bon sens et le Droit demeurent tributaires de la volonté des puissances dominantes. Jusqu’ici, depuis plus de cinquante ans, toutes leurs interventions dans les affaires du Proche-Orient, n’ont produit que l’instabilité et le trouble, souvent à leurs propres dépens.
En ont-elles tiré la leçon?
 

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