A la “porte de Fatima”, ce dignitaire chiite observe aux
jumelles l’autre côté de la frontière.
LIEU DE PÈLERINAGE
Après la marée humaine qui y a déferlé
du jeudi 25 au dimanche 28 mai, la circulation est fluide en ce début
de semaine. Partis tôt le matin de Beyrouth vers Naqoura, nous avons
sillonné durant près de dix heures de temps “l’ex-zone de
sécurité” devenue, pour les Sudistes en particulier et pour
tout Libanais, un lieu de pèlerinage avec deux temps forts: “la
porte de Fatima” à Kfarkila et la prison de Khyam.
De Tyr à Naqoura, la côte est de toute beauté,
propre, à l’état naturel, bien découpée et,
surtout, non encore galvaudée, ni défigurée par le
béton. Combien de temps pourra-t-on la préserver d’un urbanisme
sauvage qui envahit le reste du Liban?
A l’entrée de la zone libérée, un barrage des
Forces de Sécurité intérieure filtre les visiteurs.
Car passés les moments d’euphorie, l’Etat a adopté une mesure
sage pour mettre un terme à tout débordement et aux fauteurs
de troubles qui, par des actes irresponsables ou provocateurs, pourraient
amener “Tsahal” à bombarder le Liban où à l’envahir
de nouveau. Seuls, désormais, les fils de la zone frontalière
pourront s’y rendre. Toute autre personne aura besoin d’un laisser-passer.
![]() Des vêtements abandonnés sur les barbelés qui séparent le Liban d’Israël. |
![]() L’ancien Q.G. israélien à Bint Jbeil connu sous le nom de “poste 17”. |
AVEC LA FINUL, NAQOURA A PROSPÉRÉ
Petit village paisible du bord de mer, Naqoura est devenu internationalement
connu avec l’arrivée de la FINUL en 1978. Ses habitants ont su profiter
de la conjoncture pour développer des activités commerciales
ou culinaires. Au fil des années, des baraques ont poussé
tout au long de la route face aux Q.G. français, italien, suédois
et autres. Le spectacle est surréaliste. L’une de ces boutiques
de fortune propose un matériel électronique sophistiqué, à
la pointe de la technologie et à des prix imbattables. “Nous travaillons
grâce à la présence de la FINUL, nous dit son propriétaire
et nous espérons que leurs effectifs vont être renforcés,
surtout par des nordiques qui sont nos meilleurs clients. Avec leurs salaires
mensuels de cinq à six mille dollars, ils peuvent se permettre de
faire de bons achats.”
Mon interlocuteur affirme que le matériel provient de Beyrouth.
Avec des prix si bas, on est en droit d’en douter!
![]() Des baraques ont poussé au fil des années dans ce village côtier à l’ambiance surréaliste. |
![]() L’affluence des premiers jours à la frontière libano-israélienne. |
BICOQUES - RESTAURANTS
Quant aux bicoques transformées en restaurants de fortune, elles
portent des noms très “inn”: “Hard Rock”, “Flamenco”, etc. Ils servent
le mezzé et, surtout, du poisson et des fruits de mer dont des cigales
fraîchement pêchées.
A la sortie de Naqoura, en direction de la frontière, un barrage
des F.S.I. marque la fin du parcours. Un groupe de reporters et de
Sudistes attendent un éventuel retour des familles et des miliciens
réfugiés en Israël. Au moment où “Tsahal” a évacué
le territoire libanais et que l’ALS s’est désintégrée,
près de 6000 personnes, dont un millier de miliciens lahdistes ont
fui vers Israël. Malgré les appels des officiels et de leurs
proches, le retour est encore très timide. Il est assuré
par la Croix-Rouge internationale. Ceux qui reviennent sont surtout des
chiites et des druzes. Les familles réintègrent les villages
et les miliciens se rendent aux autorités légales. Les chrétiens
ne se sentent toujours pas rassurés et ne le seront que lorsque
l’armée libanaise sera déployée le long de la frontière.
![]() L’intérieur de la maison du général Antoine Lahd à Marjeyoun et sa bibliothèque. |
![]() Un portrait déchiré du chef de l’ALS. |
PROXIMITÉ INCROYABLE AVEC ISRAËL
Alma Chaëb, village chrétien, est calme, un peu trop calme
même. Une partie de la population a trouvé refuge en Israël
et les maisons entourées de petits jardins fleuris, attendent le
retour des familles.
Nous poursuivons notre périple vers Dhaïré, Yarine
et Ramieh, circulant sur une route qui longe, carrément le territoire
israélien délimité, uniquement, par des barbelés,
qui marquent la frontière. On réalise à quel point
cette incroyable proximité peut faire craindre des débordements;
d’où la nécessité de prendre des mesures sécuritaires.
Il suffit d’enjamber les barbelés pour se retrouver en territoire
israélien. Les kibboutz de Shlomi, Hanita, Zareth, avec leurs maisons
aux toits en tuile rouge, lotis au milieu de la verdure, sont tout proches
à quelques mètres. Et on passe à côté
des “portes de passage” de ce qui fut “la bonne frontière”.
On arrive à Aïta Chaab à l’heure où les élèves
rentrent de l’école. Sans les calicots, les portraits et les fanions
du “Hezbollah” et de “Amal” on pourrait croire que la vie y a toujours
été normale.
![]() Le Hezbollah a placé son emblème sur ce char abandonné par l’ALS. |
![]() L’église imposante de Aïn-Ebel. La localité sudiste est presque vide, tout comme Rmeiche et Kléia. |
RMEICHE: UN INCIDENT CIRCONSCRIT
A l’entrée de Rmeiche, les F.S.I. montent la garde. Dimanche
un incident fâcheux, mais à caractère individuel vite
circonscrit, a eu lieu, provoquant la mort d’un des fils de la localité.
Les esprits ne se sont pas échauffés, heureusement, mais
la crainte persiste dans ce gros bourg chrétien dont le tiers de
la population de 5000 habitants a quitté vers Israël avec les
miliciens. “Les gens sont partis, par peur, en voyant affluer les éléments
armés”, affirme un habitant. “Les déclarations faites par
le leader du “Hezbollah”, cheikh Hassan Nasrallah, peu de jours avant le
retrait israélien, ont contribué à créer un
vif sentiment de crainte. Il y a eu de même beaucoup de désinformation.
Evidemment, la visite à Rmeiche du chef de l’Etat, le jour même
où le dernier soldat israélien quittait le territoire libanais,
a largement contribué à apaiser les esprits. Mais ses fils
affirment qu’ils ne se sentiront en securité que le jour où
l’armée libanaise se déploiera au Sud”.
Aïn Ebel, autre village chrétien fort pittoresque avec
des maisons en pierre et une belle église imposante. En y arrivant,
on éprouve la même sensation de vide qu’à Rmeiche.
“La moitié des habitants sont partis en Israël”, affirment
les personnes interrogées. On vit dans l’incertitude du lendemain.
Que peuvent faire les effectifs limités des F.S.I. pour protéger
le village? Oseraient-ils faire face aux éléments armés
qui circulent à leur guise? Nous sommes laissés à
nous-mêmes”.
Aïn Ebel ne compte que 1000 à 1500 habitants, beaucoup
de ses fils ayant émigré au Canada, en Australie ou en Afrique...
![]() Dans ce mirador israélien face à la “porte de Fatima”, une sentinelle observe derrière la fenêtre, cachée par les rideaux. |
![]() Un autre emblème du Hezbollah “décore” une pièce d’artillerie de l’ALS. |
![]() indique la fin du trajet, côté libanais. |
SÉANCE PARLEMENTAIRE HISTORIQUE
Bint-Jbeil est animée. La ville pavoise aux couleurs du “Hezbollah”
et de “Amal” qui semblent faire bon ménage en prévision des
législatives. En ce chef-lieu du caza de même nom, cheikh
Hassan Nasrallah a tenu un meeting monstre affirmant que “la sécurité
au Sud doit passer aux mains de la Légalité”. C’est à
Bint-Jbeil, aussi, que la Chambre des députés, à l’initiative
de son président Nabih Berri a tenu, le mercredi 31 mai une séance
historique, pour se pencher sur les problèmes économiques
et sociaux qui se posent au Sud après la libération et examiner
le plan gouvernemental de développement.
On s’arrête pour prendre des photos d’un des célèbres
Q.G. israéliens le “poste 17” et d’un char de “Tsahal” abandonné
sur place.
Meiss el-Jabal et Houla, Adaïssé, des noms comme tant d’autres
qu’une bonne majorité de Libanais ne connaissent que par les médias.
On longe à nouveau les barbelés qui nous séparent
d’Israël et on voit les Kibboutz, tout proches, mais qui semblent
vides, sans âmes. Les habitants les auraient-ils désertés
par peur?
![]() Un Kibboutz israélien vu de la “porte de Fatima”. |
![]() “Merci au Hezbollah”... Une pancarte sur la route vers Naqoura. |
LA “PORTE DE FATIMA”
Nous voilà à Kfarkila, devant la “porte de Fatima”, désormais,
célèbre. L’afflux des visiteurs se poursuit, mais à
un rythme beaucoup plus lent. Quelques jeunes surexcités croient
de leur devoir de lancer des pierres sur le mirador israélien d’en
face où les soldats ont pris soin de rester à l’intérieur
et d’observer ce qui se passe. La provocation est infantile et risque de
coûter cher au Liban. Les F.S.I feraient bien de fermer ce passage
aux visiteurs. Tout dérapage est dangereux. Puis, que vient faire
le drapeau palestinien au haut d’un blockhaus? Seuls le drapeau libanais
et les fanions des partis locaux devraient être admis. Les Palestiniens
ont intérêt à comprendre que le Liban a déjà
payé trop cher pour défendre leur cause.
![]() Du côté israélien de la frontière, les drapeaux ennemis voisinent. |
![]() Nos correspondantes, Nelly Hélou et Rania el-Hachem devant la “porte de Fatima”. |
AFFLUENCE À KHYAM
La prison de Khyam est, désormais, un haut lieu de pèlerinage.
Les visiteurs y affluent toujours, mais à un rythme faible, comparé
avec l’affluence indescriptible et la frénésie des premiers
jours ayant suivi la libération.
Le jeudi 25 mai, nous avions mis plus de quatre heures de temps pour
franchir la distance de Nabatiyeh à Khyam, alors qu’en temps normal,
cela prend une heure au maximum.
En visitant les cellules de la prison, les chambres d’interrogatoire
et de torture, on a la nausée, certains prisonniers y ayant vécu
durant quinze ans dans des conditions inhumaines. Les visiteurs expriment
leur révolte et réclament le châtiment le plus sévère
aux “collabos”.
De l’esplanade de cette prison, autrefois un caravansérail,
sous le mandat français, on a une vue panoramique sur le mont Hermon
(Jabal el-Cheikh), le Golan, la plaine de Houla, les fermes de Chébaa,
les Kibboutz... Cette région connaîtra-t-elle la paix?
Si Khyam est animé, Kléia est en grande partie vide et
offre un visage triste en l’absence de ses habitants. Dans cette localité
chrétienne, le commandant Saad Haddad avait fondé en 1975-76
l’armée du Liban-Libre, devenue l’ALS par la suite, pour faire face
aux attaques des Palestiniens.
“Avec le retrait de “Tsahal” et la désintégration de
l’ALS, plus de 70% des habitants de Kléia, pris de panique ont quitté
en moins de quatre heures de temps vers Israël, me confie-t-on sur
place. Nous espérons qu’avec le déploiement de l’armée,
ils reviendront”.
UNE MULTITUDE D’IMAGES ET DE RÉFLEXIONS
Marjeyoun qui abritait le quartier général du général
Antoine Lahd, commandant de l’ALS, sera la dernière étape
de ce périple sudiste. Une belle ville avec des rues pavées
et des maisons en pierre qui méritent d’être restaurées.
Le parti populaire syrien et le mouvement “Amal” en partagent le contrôle,
en présence d’une vingtaine d’éléments des F.S.I.
Les “amalistes” montent la garde devant la maison de Lahd. Aux premières
heures de la libération, il y a eu de la casse et la propriétaire
qui est de Marjeyoun de la famille Bayout, a contacté en personne
M. Nabih Berri pour épargner sa maison. “Certains voulaient la brûler”,
nous confie un milicien. Le jardin fleuri est donc toujours bien entretenu
et, à l’intérieur, tout est resté en place: les meubles
du salon, les peintures, la salle à manger, le bar, avec dessus
un fond de bouteille de whisky Chivas Regal. La bibliothèque recèle
une collection de documents diplomatiques et consulaires de Adel Ismaïl,
des cassettes dont de la musique du Moyen Age, Zorba, Sabah Fakhri.
Sur le chemin de retour, via Nabatiyeh, on passe aux pieds du Beaufort
qui se dresse imposant au haut d’une falaise, dominant le secteur. Les
images de cette longue journée passée au Sud se superposent.
La région est belle avec ses collines arrondies, ses plaines vertes
et de vastes espaces non encore envahis par le béton. La zone possède
un riche potentiel économique et touristique qui mérite d’être
pris en charge, par l’Etat et le secteur privé. Le Sud n’offre pas,
en fait, l’image d’une zone sinistrée. On révèle la
présence de nouvelles constructions, de belles villas et les routes
ne sont pas en très mauvais état. Le Sudiste qui s’est adapté,
tant bien que mal, à vingt-deux années d’occupation, a besoin,
aujourd’hui, d’être pris en charge à part entière par
l’Etat libanais, de voir son infrastructure vitale (eau, électricité,
moyens de communications), réhabilitée; d’avoir de bonnes
institutions scolaires et d’hospitalisation. Mais la sécurité
prime tout. Tout au long de la journée, nous avons croisé
les jeeps de la FINUL qui sillonnaient la région pour établir
un rapport concernant l’application de la 425. Une nouvelle mission les
attend. Ceci facilitera le déploiement de l’armée libanaise
que les Sudistes réclament d’une même voix. Les Libanais qui
ont trouvé refuge en Israël, pourront, alors, réintégrer
leurs pénates en toute sécurité.
LA PRESSE AU LIBAN-SUD
Une délégation de journalistes s’est rendue au Liban-Sud le lendemain du retrait israélien, ayant à sa tête MM. Mohamed Baalbaki et Melhem Karam, présidents des Ordres de la Presse et des journalistes.
Ceux-ci ont engagé leurs confrères à suivre l’échéance nationale sous l’angle de l’exploit qui s’est réalisé sur le terrain et non sous l’angle de certains incidents individuels ou de la propagation d’un certain climat confessionnel allant à l’encontre de la nature du grand événement ayant provoqué une grande explosion de joie. MM. Baalbaki et Karam ont visité les localités libérées où ils ont pris l’engagement de soutenir les habitants sudistes et leurs revendications destinées à leur assurer de meilleures conditions de vie, au terme de vingt-deux années d’occupation. Ils ont fleuri la tombe de Bilal Fahs, premier martyr ayant opéré un attentat-suicide, en 1983, contre une unité israélienne, ouvrant ainsi la voie à une lutte acharnée contre l’occupant. |