DIRECTEUR GÉNÉRAL DU BUREAU DE CNN À BEYROUTH, BRENT SADLER:
“JE SUIS UN JOURNALISTE. JE DIS LES CHOSES TELLES QU’ELLES SONT”

Brent Sadler est un homme de terrain. Spécialiste du Moyen-Orient et plus précisément du Liban, il est aujourd’hui directeur général du bureau libanais de CNN international. Sa carrière dans le domaine du journalisme audiovisuel débute à l’âge de 25 ans, à la Southern Television, en Angleterre. En 1981, il rejoint la chaîne britannique ITN (Independent Television News) en tant que correspondant de guerre, où il couvre entre autres: le Tchad, la Libye, le Liban, l’Iran, l’Irak… ainsi que des événements aussi historiques que la chute du Communisme en Europe de l’Est. La carrière de Brent Sadler sur CNN débute en 1991. En mai 1997, le bureau de CNN au Liban rouvre, douze années après sa fermeture forcée, due au kidnapping de son directeur. A 47 ans, ce citoyen britannique a été maintes fois récompensé pour son travail méritoire. A deux reprises – lors de son affectation au Liban, en 1983 et 1984 – l’équipe de Sadler fut blessée. Il fut lui-même atteint d’une balle au bras. CNN célèbre ses vingt années d’existence, Brent Sadler fête l’événement à sa manière: il poursuit son travail. C’est un homme simple, détendu et professionnel, qui nous reçoit.

CNN applique une politique de diversification avec ses “éditions locales” en langues maternelles (espagnol, italien, portugais et plus récemment chinois). Va-t-on voir une édition arabe de CNN ?
Notre président, Ted Turner a toujours eu ces mots: “All networks all channels all languages”: tous les réseaux, tous les canaux, toutes les langues. Notre intention est, effectivement, de pouvoir communiquer avec tous les gens dans toutes les langues possibles.

Vous connaissez bien le Liban, à quand remonte votre première visite?
Je viens ici depuis vingt ans, je suis venu pour la première fois en 1980.
Je suis à CNN depuis dix ans, la plupart de mon temps a été consacré aux problèmes du Moyen-Orient et principalement au Liban.

Estimez-vous que le siège social de CNN à Atlanta couvre assez la région? Car la couverture médiatique est plus souvent axée sur les événements en Israël.
Nous avons des bureaux au Caire, à Bagdad, Amman et en Israël. Lorsque je suis venu ici, j’avais estimé que CNN devait faire plus dans la région et particulièrement avec les pays n’ayant toujours pas signé la paix avec Israël. C’est ce qui a fait qu’en accord avec les directeurs à Atlanta nous avons décidé de revenir ici. Notre attention se focalise actuellement sur le Liban et la Syrie où je me rendrai prochainement. Nous disposons d’un nouveau matériel: un véhicule totalement équipé pour la transmission des données avec une antenne satellite d’un mètre, qui peut fonctionner partout dans le pays et en Syrie. C’est la première fois que nous utilisons au Liban un tel matériel de pointe, ce qui nous permet de faire plus de reportages pour un coût moindre et d’une façon vraiment novatrice. Nous avons réclamé au président Lahoud et au gouvernement de permettre d’ajuster les lois au Liban, ce qui constituerait un nouveau décret et permettrait ainsi non seulement à CNN mais à tous les diffuseurs internationaux d’utiliser un matériel récent, afin de mieux rapporter les nouvelles. C’est très important d’être équitable, de pouvoir donner autant de qualité que de quantité.

Comment avez-vous réagi lors des manifestations estudiantines anti-CNN, mettant en cause votre objectivité ?
Les gens ont le droit de protester. Il est malheureux que la majeure partie de ces protestations – et j’ai rencontré la délégation estudiantine à ce moment-là – visaient CNN.com, notre service interactif, dont je ne suis pas directement responsable. Mais j’ai pris cette plainte en considération et j’ai prévenu notre bureau à Atlanta qui l’a prise au sérieux. J’essaie de vérifier les données et les textes à propos du Liban et de la Syrie, afin de savoir si nous avons raison; nous essayons de faire toujours mieux, nous ne sommes pas parfaits. En ce qui concerne ces manifestations, les gens en avaient assez que les choses n’avancent pas suffisamment vite et avaient besoin d’évacuer cette pression, ils l’ont évacuée sur CNN et d’autres entreprises américaines. J’ai alors estimé que nous n’étions pas respectés ici et qu’ils ne reconnaissent pas, à ce stade, les efforts que nous déployions ; ce n’est pas leur faute, mais c’est notre travail d’expliquer ce qui se passe.

Le Liban est considéré aux Etats-Unis comme un Etat terroriste, c’est l’image qu’en donnent les médias occidentaux. On peut même voir sur Internet le Liban classé parmi les destinations les plus dangereuses du monde. En tant que directeur du bureau libanais de CNN, essayez-vous de changer cette image ?
Je travaille pour CNN et non pour le gouvernement libanais, je suis un journaliste et je dis les choses telles qu’elles sont.

Pourquoi ne pas montrer les aspects positifs du Liban? Il y en a.
Il est un fait: nous vivons dans la région, nous n’avons pas été parachutés au Liban. Je vis ici, je vis et respire l’actualité; par conséquent, je dois, j’espère savoir ce dont je parle… Il est de ma responsabilité de faire en sorte que notre “network” le comprenne. Vous savez, CNN c’est la diffusion des nouvelles en permanence et c’est ainsi, qu’en “éduquant” les gens, on les aide à mieux comprendre. Nous parlons de ces différents aspects, nous parlons d’économie, de tourisme, de toutes sortes de choses, mais notre travail c’est de relater ce qui se passe aussi au Sud. Nous travaillons en ce moment sur la reconstruction, ou encore sur le festival folklorique; c’est ce que nous faisons maintenant: montrer les différents aspects de la vie ici. Si on parle souvent du Sud et du processus de paix, c’est parce qu’il s’agit d’un point qui domine nos vies ici au Liban.

On accuse souvent CNN d’être la voix de la Maison-Blanche, que répondez-vous à cela ?
Nous sommes un réseau américain. La BBC est accusée d’être pro-britannique, CNN, pro-américain et ainsi de suite pour chaque pays; cela fait partie de la nature même de notre profession, mais ceci dit, nous sommes une fenêtre américaine et nous essayons sur le plan international de toucher tout le monde, mais cela dépend aussi de l’ouverture que nous accordent les différents gouvernements…

Ce que l’on appelle l’Infotainment, (contraction d’information et entertainment) que l’on voit également sur CNN, ne décrédibilise-t-il pas le journalisme ?
Ce domaine concerne l’édition nationale de CNN, on n’en voit pas tellement sur CNNi (international) qui se focalise sur des sujets d’actualité. Nous essayons d’expliquer les sujets de notre mieux; en termes d’“entertainment”, nous sommes plus détendus, nous avons des émissions variées: arts, voyages… mais nous donnons cependant la priorité aux nouvelles.

On critique, également, CNN à cause de son nombrilisme, les infos sont très américaines, au détriment de l’international, à certaines occasions (Lewinsky, John Kennedy Jr…)
C’est quelque chose de commun; parfois la couverture d’un événement local peut primer sur l’international, cela réduit le temps d’antenne dont nous disposons pour l’étranger, mais nous essayons d’équilibrer.

SAËR KARAM

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