Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
LA RUÉE VERS LE SUD
Ne torrent de rhétorique que déversent nos responsables est entré en période de crue. Jamais abondance ne fut aussi impressionnante (abondance qu’on aurait souhaité voir régner dans les secteurs économique et social) et jamais arguments ne furent aussi intarissables et, aussi, peu convaincants. C’est à qui frappera le plus fort sur la table et à qui enverra le plus de postillons au nez d’un Roed-Larsen éperdu qui se demande, probablement, ce qu’il est venu faire dans cette galère.
En un mot, nous ne sommes pas disposés à envoyer l’armée au Sud. Comme si l’envoi de l’armée, dans la bande frontalière évacuée, signifiait ipso facto la consécration définitive de la frontière telle que prétendue par Israël.
Ce n’est pourtant pas de cet œil que le considère le reste du monde, ni 75% des Libanais non plus. Tous l’ont répété à l’envi: l’armée d’un pays est censée - entre autres - protéger ses frontières et la population qui y vit, non celles de l’ennemi d’en face. Ainsi, le comprennent les Nations Unies, ainsi le comprend la France qui vient de différer l’ordre de faire route au “Foch” transportant des Casques Bleus français pour renforcer les effectifs de la FINUL. Explication de Védrine: “Toutes les garanties - comprendre l’envoi de l’armée - ne sont pas réunies”. Le mot-clé est donc: “Envoyez l’armée”, faute de quoi, même le mandat de la FINUL risque de ne plus être renouvelé en juillet.
Il se peut qu’au moment où paraîtront ces lignes, l’envoi de la troupe soit chose faite. Pour le moment, le gouvernement tergiverse. A en croire certaines rumeurs, nos responsables auraient trouvé une échappatoire en projetant de faire appel à quatre mille conscrits. Est-ce possible? S’il existe un danger pour une armée de métier, formée de militaires aguerris, peut-on y exposer de jeunes recrues qui savent à peine manier un fusil et ne portent l’uniforme que parce que la loi les y oblige?
Leur présence serait-elle assez crédible pour rassurer la population et tenir en respect les fauteurs de troubles? D’autant plus que M. Nabih Berri, dit-on, propose que ces militaires soient cantonnés dans leurs casernes, sans barrages, ni fouille, ni vérification d’identité, ni contact avec l’habitant. Mieux encore, le Liban, raconte-t-on dans les cercles diplomatiques, serait réticent à l’envoi de huit mille Casques Bleus. Il paraît que c’est trop et trop c’est trop.
Dans ce cas, qui comblerait le vide menaçant laissé par le retrait précipité de l’occupant? Réponse: les gendarmes. Des gendarmes programmés pour faire les gros yeux aux vilains qui s’imagineraient pouvoir faire les zouaves. Cependant, malgré leur indiscutable bonne volonté, ces braves pandores n’ont pu empêcher des familles entières - qui n’avaient rien à voir avec l’ALS - d’aller, sous le coup de la peur, se réfugier en Israël. Ils n’ont pas pu empêcher non plus que deux miliciens, relâchés par le tribunal militaire pour raisons de santé, soient tabassés à mort par des “inconnus masqués”. Sans parler de persécutions, pillages et autres actes de vandalisme. Dieu merci, de tels méfaits n’ont jusqu’à présent été commis que sur une échelle individuelle.
Comment auraient-ils pu surtout, (les FSI, s’entend), arrêter le déferlement de plus de trois mille Palestiniens accourus à la rencontre d’amis et de parents arabes-israéliens, à travers les barbelés de “Tsahal”? Evidemment, les scènes vues à la télévision étaient plutôt bon enfant, voire attendrissantes. Mais c’était, aussi, de la publicité gratuite pour Israël, dont les soldats débonnaires et serviables jouaient volontiers les facteurs et les coursiers pour transmettre des uns aux autres, lettres, paquets, argent et même cellulaires. Et si, certains jours, ces soldats refusaient d’entrer dans le jeu, “nos” Palestiniens feraient pleuvoir sur eux des volées de pierres vengeresses. Ce qui a donné l’occasion à leurs généraux de proclamer bien haut que “Tsahal” avait reçu des ordres stricts pour ne pas riposter aux “provocations des Libanais”...
Jusqu’à quand feront-ils preuve de cette superbe “magnanimité”? N’est-il pas possible, vu la quantité de gens qui affluent vers le Sud, sans aucun contrôle, que se produise un dérapage aux conséquences tragiques? Conséquences dont Israël, qui a fait preuve de tant de “mansuétude” n’en sera pas tenu responsable. En fait, la situation qui prévaut, actuellement, dans la bande frontalière est comparable à une sorte de Tchernobyl distillant, dans une atmosphère déjà polluée, ses émanations toxiques, avec le risque d’une explosion généralisée.
C’est dans cette perspective que beaucoup de Libanais, qui ne sont pas à la solde d’Israël, réclament la présence de l’armée au Sud. A qui cela fait-il tort? Bien sûr, il y a le frère et l’allié syrien, mais l’envoi de l’armée porte-t-il préjudice au traité de “coopération et de coordination” qui nous lie à Damas? Dévie-t-il notre trajectoire de la “concomitance des volets syrien et libanais”?
Si tel est le cas, qu’on nous le dise, qu’on nous explique pourquoi et comment. Nous sommes, au Liban, un peuple raisonnable, sachant faire la part des choses. Preuve en est la quantité de couleuvres que nous avons dû avaler depuis Taëf. A moins que nos autorités aient fait cet aveu de Winston Churchill: “En temps de guerre, la vérité est si précieuse (ou spécieuse en l’occurrence) qu’elle a besoin d’être protégée par des mensonges”. 

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