PRIVATISATION DE SECTEURS PUBLICS
LE GRAND DÉFI!

Plus qu’une option, un état de fait. La privatisation, partie intégrante de la mondialisation, fait tache d’huile. Aucun continent n’y échappe. Comment aborder ce phénomène mondial au Liban?
S’y opposer farouchement?
S’y impliquer, aveuglément, au risque de brader des institutions publiques?
Ou bien atteindre cette maturité politique capable de règlementer le processus, de gérer les risques et de bénéficier des avantages, le tout, dans une perspective de développement national?
 
Docteur en droit (Paris I), L.L. M. (Harvard), avocat à la Cour, chargé de cours à l’USJ et professeur à la LAU, Walid Kassir a participé à l’organisation d’un séminaire sur “Les privatisations” organisé à l’USJ par le CEDROMA (Centre d’Etudes des Droits du Monde Arabe) le 12 mars 1999.

La privatisation nous est-elle “imposée”? Plutôt “suggérée”, demande Walid Kassir (juriste international), par les chefs d’orchestre internationaux, tels que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International qui encouragent les pays endettés (en quête de conseils ou d’aides financières) à opter pour la privatisation.
Toutefois, cette “option” ne semble guère enchanter tous les spécialistes. Des voix s’élèvent exprimant leur appréhension de voir le pays glisser dans les mains des investisseurs étrangers. Crainte d’autant plus justifiée, que le secteur privé libanais compte très peu d’investisseurs stratégiques porteurs de capitaux importants et forts d’une expérience technique poussée dans les domaines à privatiser. De plus, il pourrait s’avérer difficile, lors de la vente d’actions, d’imposer des quotas favorisant les Libanais et de les faire respecter.
Au lieu de privatiser ses institutions, l’Etat devrait, aux dires de certains, réduire le gaspillage et assurer une meilleure gestion. Solution, utopique, objecte Kamal Shéhadé (économiste): l’expérience mondiale a, plus d’une fois, prouvé que le secteur public n’a jamais pu s’adapter, facilement, aux progrès technologiques et aux nouveaux besoins de consommation. Son manque de flexibilité l’empêche d’intégrer ce domaine concurrentiel. A défaut, l’Etat, animé par certains intérêts politiques, se protège en établissant le monopole de droit. Seule, la privatisation déclenchera la libéralisation des marchés, leur ouverture à la concurrence et, par le fait même, le développement de l’économie nationale.
Les opposants à la privatisation avancent une autre solution: corporatiser les entreprises publiques, autrement dit, les gérer à la façon des sociétés privées et leur en donner la structure. Peine perdue, rétorque Joe Issa-el-Khoury (financier), la MEA, l’Intra et le Casino du Liban représentent trois exemples vivants de l’échec d’une telle initiative. L’interférence des politiciens dans ces trois institutions, possédées en majorité par l’Etat, en diminue le rendement. Selon ses dires, pour justifier la privatisation d’un secteur, il suffit de se poser la question suivante: l’Etat peut-il offrir aux consommateurs un excellent service, à prix réduit, tout en renflouant ses caisses? Si la réponse à l’une de ces trois composantes est négative, alors la privatisation s’impose.
 

Docteur en économie politique (Harvard et Colombia), Kamal Shéhadé effectue des consultations en matière de stratégie sectorielle, privatisation et régulation.

GÉRER LES RISQUES
Non convaincus, les détracteurs de la privatisation relèvent les inconvénients d’un tel processus. Plus modéré, W. Kassir les analyse tout en avançant des solutions possibles.
Le premier grand risque est la formation de monopoles privés aboutissant à l’augmentation du coût des services offerts aux usagers.
La solution: favoriser la concurrence.
La privatisation d’un même secteur s’effectuera, alors, par le biais de plusieurs opérateurs concurrentiels. Si le secteur ne supporte qu’un seul opérateur, des mécanismes de contrôle efficaces devraient alors être mis en œuvre.
Autre inconvénient, l’augmentation du chômage dû aux licenciements souvent indispensables pour assurer la rentabilité des entreprises privatisées. Ce problème pourrait être atténué de plusieurs manières: favoriser les licenciements par tranches successives; éviter la privatisation simultanée des institutions publiques; avancer l’âge de la retraite avec compensa-tions; procéder au recyclage au sein même de l’institution, ou bien, assurer de nouvelles formations professionnelles aux licenciés pour leur permettre de jouer un rôle productif dans d’autres secteurs économiques du pays.
La survie, au sein de l’entreprise privatisée, de vieux réflexes (pratiques népotiques, pots-de-vin, conflits d’intérêts, poids de la routine...), diminue son efficacité. Pour que la privatisation réussisse, il faudrait, à tout prix, “dépolitiser” l’entreprise et la diriger selon les principes internationaux de gestion moderne.
On ne peut écarter le risque de voir nos secteurs économiques stratégiques tomber entre les mains d’entreprises étrangères, essentiellement, soucieuses de leurs propres intérêts et non du nôtre.
Ce risque peut être limité en octroyant à l’Etat une “Golden Share”. Bien que dégagé du capital, l’Etat détient, grâce à cette action symbolique, un droit de veto précis sur certaines décisions de la société privatisée ou sur la cession de paquets importants d’actions.
 

Ingénieur civil (AUB), diplômé de l’INSEAD (Fontainebleau), Joe Issa-el-Khoury est PDG de Investment House, société spécialisée dans le “Corporate Finance” et le “Real Estate Investment”.

PROFITER DES AVANTAGES ÉCONOMIQUES, FINANCIERS ET POLITIQUES
Pour les défenseurs de la privatisation, les appréhensions des opposants ne sauraient faire le contrepoids face aux avantages.
Selon K. Shéhadé, le citoyen bénéficiera d’une meilleure qualité de service, au moindre coût possible, grâce à la concurrence. Cette amélioration profitera, également, aux industriels et à la compétitivité de leur entreprise, aujourd’hui entravée par des services étatiques peu satisfaisants et relativement onéreux. Par effet domino, d’autres secteurs de l’économie libanaise profiteront de cette dynamique, ce qui assurera un marché de travail aux jeunes Libanais diplômés, capables et compétents. Cette amélioration, souligne W. Kassir, prédisposera l’infrastructure libanaise à relever les défis de la mondialisation, notamment dans le domaine des télécommunications, de l’énergie, de l’eau, des transports publics... Le pays recouvrera sa vocation première comme centre de services et destination touristique.
L’Etat, quant à lui, reprend K. Shéhadé, verra ses revenus augmenter lors de la vente d’institutions publiques ou de l’octroi de licences (droit d’investir dans un secteur et de le faire fonctionner pour un nombre d’années déterminé). En Turquie, par exemple, une troisième licence de GSM sur la fréquence DCS 1800 a été adjugée à 2 milliards et demi de dollars pour une durée de vingt ans. A la fin de cette période, de nouvelles licences seront adjugées selon les normes techniques du moment. En Grande-Bretagne, le gouvernement a pu récolter plus de 25 milliards de dollars dans l’octroi de cinq licences pour la troisième génération de téléphonie mobile (système UMTS). De plus, l’Etat tirera des revenus fiscaux intéressants en percevant des impôts sur le chiffre d’affaires et les dividendes des sociétés privatisées.
Tous les spécialistes s’accordent à dire que ces revenus substantiels à double provenance, permettent le remboursement partiel de la dette publique qui plafonne, actuellement, à environ 24 milliards de dollars. Par conséquent, souligne J. Issa-el-Khoury, une bonne partie des sommes destinées au paiement des intérêts (de la dette) sera épargnée et investie dans le rôle essentiel de l’Etat: législation, sécurité, système judiciaire, santé et éducation.

Les modalités d’application du contrat de BOT ont déclenché un conflit entre le gouvernement et les sociétés de
téléphonie mobile. Le passage du système de BOT à celui des licences serait-il la solution idéale? Pourparlers en cours.

Un autre aspect financier, non moins important, s’impose. J. Issa - el-Khoury insiste sur la réactivation de la bourse grâce aux sociétés privatisées qui y seront listées.
Pour W. Kassir, la dynamisation de nos marchés financiers est capitale, d’autant plus que notre pays est destiné à jouer un rôle financier régional. Il faudra aussi encourager les citoyens et les entreprises libanaises à investir dans les actions émises par les sociétés privatisées.
J. Issa - el-Khoury revient sur l’aspect économique pour souligner l’importance de l’élément motivation dans le secteur privé où aucun effort n’est épargné afin de réaliser une bonne performance.
Le gérant d’une société privatisée aura des comptes à rendre à ses actionnaires qui le récompenseront, financièrement, en cas de réussite. La motivation des employés d’une telle société joue, également, un grand rôle, précise W. Kassir: augmentation de salaire en fonction du mérite, bonus, vente d’actions à prix préférentiels ou même distribution d’actions gratuites. Ces pratiques accentuent leur intérêt au rendement de l’entreprise. On remplacerait, ainsi, une mentalité statique de fonctionnaire basée sur des intéressements illicites (pots-de-vin) par une mentalité dynamique où l’intéressement est assaini en étant institutionnalisé et subordonné à l’intérêt de l’entreprise.
Du point de vue politique, précisent K. Shéhadé et J. Issa - el-Khoury, la privatisation ouvre la voie à la réforme administrative aujourd’hui entravée par des considérations politico-confessionnelles.
Les politiques sont nombreux à utiliser les institutions publiques pour caser leurs partisans. Résultat: ces dernières ploient sous le poids d’une pléthore de fonctionnaires. En privatisant, le gouvernement épargnera des sommes colossales dilapidées, actuellement, dans la rétribution de nombreux ronds-de-cuir improductifs.
Selon J. Issa - el-Khoury et W. Kassir, la privatisation permet au gouvernement de mieux se concentrer sur des activités plus utiles à la collectivité. Pourquoi consacrer tant de temps et d’argent (qui se révèlent être d’ailleurs toujours insuffisants) à la gestion d’activités pouvant être plus efficacement menées par le secteur privé?

CONDITIONS DE RÉUSSITE D’UNE PRIVATISATION
Le processus de privatisation des secteurs publics devrait s’accompagner de mesures complémentaires garantissant son bon déroulement.
Les spécialistes relèvent, à l’unanimité, la nécessité de créer une autorité de régulation indépendante reconnue pour la compétence professionnelle de ses membres. Disposant de moyens efficaces de supervision, elle se chargera de faire respecter les lois et stratégies définies par le gouvernement afin de mettre un frein aux abus. C’est l’occasion, d’ailleurs, souligne K. Shéhadé, de repenser le rôle de l’Etat dans l’économie libanaise. Aujourd’hui, explique J. Issa - el-Khoury, l’Etat joue le rôle de législateur, opérateur et de facto régulateur. En privatisant, sa tâche consistera uniquement à légiférer. Une société privée (ou opérateur) se chargera de faire fonctionner le secteur et une commission de contrôle, de le réguler.
 

L’électricité du Liban souffre, essentiellement, d’un problème de collecte plutôt que d’un problème de productivité ou de technicité. 52% seulement des abonnés s’acquittent de leur dû envers l’Etat. Ce problème, par exemple, ne se pose pas à Zahlé où la collecte est gérée par une société privée.

L’autorité de régulation, reprend K. Shéhadé, exercera un contrôle sur les sociétés privatisées pour éviter un abus du pouvoir de marché.
Il insiste sur l’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement. Cette indépendance lui permet de prendre les mesures nécessaires afin de garantir le bon fonctionnement du marché et de promouvoir la concurrence lors des opérations, organisées par elle, telles que l’octroi de licences. Une autorité indépendante à l’abri des ingérences politiques gagnera également la confiance et la crédibilité des investisseurs. Sinon, le coût de leur capital (relatif aux risques encourus et aux taux d’intérêts correspondants) augmentera et, pour le récupérer, ils hausseront les tarifs des services. Résultat: les consommateurs devront payer pour les bavures politiques.
Mais peut-on vraiment maintenir l’autorité de régulation indépendante du gouvernement? Sûrement, affirme J. Issa - el-Khoury, nous avons déjà à notre actif une expérience semblable très réussie: la commission de contrôle des banques. Cet organe supervise le travail du secteur bancaire et demeure à égale distance des différents protagonistes. Les membres  de l’autorité de régulation sont généralement nommés par le gouvernement, jouissent d’un mandat fixe (ne peuvent être licenciés par lui) et sont rétribués par les opérateurs privés. Leur juteuse rémunération les soustrait à toute influence douteuse.
 


Diplômé en technologie de l’information 
de l’Université de Technologie de Compiègne 
(France),Ayman Haddad est directeur 
régional de Price Water House Coopers 
et responsable du secteur banque-assurance.

Diplômé de l’ESSEC (Ecole Supérieure des 
Sciences Economiques) et MBA de Cornell 
University, Joe Saddi est partenaire chez 
Booz Allen, société de conseil en stratégie. 
Il est spécialiste en télécommunication, 
pétrole et gaz naturel.

W. Kassir estime que d’autres mesures sont nécessaires pour le bon fonctionnement des privatisations: une bonne législation-cadre inspirée de l’expérience internationale; la transparence, tout au long du processus (règlementation, lancement des opérations, contrôle de gestion des sociétés privées) et des mécanismes de résolution des litiges adaptés à chaque secteur en particulier.
Il serait, notamment, utile de créer des juridictions spécialisées comprenant des magistrats compétents et bien rétribués. Et ce, sans négliger certaines modifications légales parallèles, telle que la réforme du droit commercial libanais, notamment celui des sociétés anonymes - l’entreprise privatisée devant, généralement, prendre la forme d’une SAL. Le droit libanais dans ce domaine a vieilli et ne favorise pas, dans sa forme actuelle, l’ouverture du capital de ces sociétés hors du cadre familial. Les nécessités du développement et les impératifs de la mondialisation exigent donc la modification de leur régime.
Il est, également, impératif que le pays se dote d’une législation financière moderne portant sur les fonds d’investissements, la création d’un organisme supervisant ces marchés financiers, la titrisation (transformation d’une créance-contrat en titre), l’introduction de nouveaux produits financiers.
On pourrait, aussi, prévoir une plus grande coopération avec les marchés financiers arabes. Ainsi, le Liban, grâce à sa vocation financière régionale, pourrait un jour lancer à son tour des émissions financières pour des sociétés arabes dans le cadre d’opérations de privatisation.


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UNE MÉTHODE DE PRIVATISATION ADAPTÉE AU PAYS
Il n’existe pas de formule standard de privatisation. Tout dépend du secteur et de la stratégie adoptée (voir encadré). Selon Ayman Haddad (consultant en management), il est souvent recommandé de restructurer un secteur afin de le réévaluer avant sa privatisation. Autrement dit et pour reprendre l’expression des Anglais: “You have to make the bride beautiful” (Il faut embellir la mariée). Cela peut s’effectuer de deux manières: l’Etat investit lui-même, améliore le secteur pour, ensuite, le lister en bourse ou bien favorise l’accès des investisseurs à son capital. Toutefois, K. Shéhadé souligne que dans certains cas, cette méthode ne réussit pas, en évoquant l’expérience malheureuse de la Pologne. En 1994, l’Etat polonais décide de prendre en main la restructuration du secteur des télécommunications avant de le privatiser. Cinq ans plus tard, catastrophe: le secteur perd encore plus de sa valeur. Raison: l’Etat est mauvais gérant et incapable de s’adapter aux évolutions rapides des technologies modernes. A. Haddad suggère une autre option:  l’Etat fait intervenir des investisseurs stratégiques qui achètent une partie des actions et se chargent, financièrement, tout comme techniquement de relever l’institution.
Une fois la transformation réalisée, il leur sera possible d’élargir leur participation, à moins que l’Etat décide de mettre le restant des actions à la portée des particuliers. Il serait souhaitable, ajoute W. Kassir, que l’Etat reste actionnaire dans la phase qui suit immédiatement la privatisation. Il peut obtenir des dividendes d’autant plus substantiels, que l’activité s’avère florissante. Une fois la gestion rationnalisée et le projet réussi, il peut céder un nouveau paquet d’actions au prix fort. Cette technique a été utilisée dans de nombreux pays étrangers afin d’accroître la rentabilité de l’Etat.
Joe Saddi (consultant en management), évoque deux méthodes de privatisation très usitées. L’Initial Public Offering (IPO) est l’introduction en bourse de l’institution, par le biais de banques désignées par l’Etat. Son avantage: ouvrir la voie à tout un chacun en vue d’acquérir des actions et donner, par conséquent, un coup de fouet au marché boursier local. Plutôt que de vendre des actions à “Monsieur tout le monde”, une autre méthode consiste à céder des paquets d’actions à des groupes d’investisseurs privés, forts de leur compétence industrielle et de leur pouvoir financier. Le secteur, ainsi privatisé, n’appartient plus à l’Etat. Cette privatisation peut s’effectuer par tranches, l’Etat conservant une partie des actions.
 
LES SECTEURS PRIVATISABLES
Voici une liste des vingt-neuf secteurs privatisables au Liban, communiquée par Joe Issa - el-Khoury. Selon ses dires, les services “Santé” et “Education” devraient rester entre les mains de l’Etat qui fera profiter, gratuitement, tous les citoyens sans exception. Seule leur “gestion” pourrait faire l’objet d’une privatisation.
1. Loto, Loterie.
2. Casino du Liban.
3. Intra.
4. MEA.
5. Régie des Tabacs.
6. Sécurité sociale.
7. Média.
- Télé Liban (tout sauf le Journal télévisé, si le gouvernement le souhaite).
- Radio Liban.
- Agence Nationale d’Information.
8. Téléphone fixe (PSTN) (Liban Telecom).
9. Téléphone mobile (GSM).
10. Electricité (EDL) (sauf la transmission qui, vu son aspect stratégique, fait généralement l’objet d’une coopération avec les pays limitrophes).
- Production.
- Distribution.
- Collecte.
11. Eau.
12. Bourse de Beyrouth/Midclear (endroit où la compensation a lieu).
13. Poste.
14. Aéroports de Beyrouth/Kleiat.
15. Hippodrome de Beyrouth.
16. Raffineries de pétrole: Tripoli, Zahrani.
17. Transports publics (Bus).
18. Autoroutes.
19. Chemins de Fer.
20. Terrains (immobilier) “non-stratégiques”.
21. Banque de l’Habitat.
22. Autres banques spécialisées: industrielle, touristique...
23. Collecte des ordures - Travaux municipaux divers.
24. Gestion des hôpitaux publics.
25. Gestion des écoles publiques.
26. Gestion des prisons.
27. Gestion des sites archéologiques.
28. Silos de grains.
29. Zones industrielles. 

LE SYSTÈME BOT ET LES LICENCES
Les spécialistes s’accordent à dire que le BOT (Build, Operate and Transfer) ne peut être considéré comme une vraie privatisation. K. Shéhadé explique le concept. Un groupe privé investit dans un secteur public, construit ses réseaux, l’opère et le gère durant 10, 15 ou 20 ans. Une fois cette période échue, le groupe remet à l’Etat ce secteur dont les équipements auront été complètement amortis et, surtout, dépassés par les nouvelles technologies de pointe.
De plus, un contrat de BOT, mal conçu, risque de transférer le monopole de l’Etat à un monopole privé, souligne J. Issa - el-Khoury. C’est le cas de Cellis et LibanCell, ces deux sociétés privées de télécommunication mobile ayant formé une sorte de duopole. Dans le contrat de BOT, explique K. Shéhadé, le gouvernement précédent avait fixé un seuil aux tarifs, bloquant ainsi toute concurrence entre les deux sociétés.
Un autre mauvais exemple de privatisation, celui de Liban Post. Cette société canadienne détient un contrat de gestion qui lui concède le pouvoir de régulariser le secteur, chose inadmissible, aux dires de K. Shéhadé.
 

Pour un retraité, l’indemnité de fin de service, versée actuellement par la Caisse de Sécurité Sociale, assure à peine sa subsistance pour un court terme. Quelle garantie pour l’avenir du retraité quand l’espérance de vie est, actuellement, de 10 à 15 ans supplémentaires. Selon les spécialistes, la privatisation de la sécurité sociale lui garantira, pour le restant de sa vie, assurance médicale et rentrées mensuelles.

Cet économiste préfère un autre type de privatisation: le système de licence à durée limitée, proposé actuellement dans le projet de loi relatif aux télécommunications. Il s’agit de vendre à des opérateurs privés, pour une durée limitée (15 ou 20 ans), le droit d’investir dans un secteur et de le faire fructifier. Au terme de cette période, une nouvelle adjudication est opérée afin de renouveler les équipements. La réussite d’une telle formule dépend du mécanisme par lequel une licence est adjugée. Une présélection technique s’assure du sérieux et de la compétence des opérateurs. Une sélection financière accorde, ensuite, la priorité aux plus offrants.


La gérance du loto est accordée tous les six mois à une nouvelle société. Ce court terme décourage l’investissement technique de pointe. Résultat: mauvaise gestion et faibles profits pour l’Etat qui gagnerait à octroyer une licence à long terme et imposer 50 à 60% de taxe sur chaque billet vendu (à l’instar de la France).



En définitive, conclut K. Shéhadé, réussir une privatisation, c’est choisir une formule respectant les intérêts de l’Etat, des citoyens et des investisseurs. C’est, aussi, tabler sur un Etat fort de sa loi, de sa Constitution, de son système judiciaire et de ses autorités de régulation indépendantes. Un Etat qui ne “négocie” pas, à tort et à travers, ou effectue des concessions de gré à gré...
 
LES SOCIÉTÉS DE CONSULTANTS: GUIDER LE GOUVERNEMENT DANS SON PROJET DE PRIVATISATION
Nous avons contacté, dans le cadre de ce dossier, deux sociétés multinationales de conseil en stratégie, implantées au Liban. Elles offrent leurs services aux secteurs public et privé. Dans le domaine des privatisations, elles élaborent, pour le compte des gouvernements, études et planifications afin de les guider dans leur projet.
Joe Saddi, consultant d’entreprises chez Booz Allen, explique les trois étapes généralement suivies dans l’élaboration d’une privatisation:
La première phase consiste à définir la politique de privatisation:
• Les objectifs et motivations (pourquoi privatiser?).
• Les secteurs privatisables et ceux dont l’Etat pourrait garder le contrôle.
• Le programme proprement dit: choisir le secteur à privatiser, en priorité, pour servir de moteur à d’autres, définir la structure d’une autorité capable de gérer le processus de privatisation.
La deuxième phase vise la préparation de la privatisation: faut-il privatiser le secteur immédiatement ou le restructurer, au préalable, pour lui donner une plus-value? Quelle est la méthode de privatisation la plus adaptée et le profit que l’Etat pourrait en tirer?
La troisième phase équivaut à la transaction proprement dite ou à la mise en œuvre de la privatisation: préparation des formalités permettant l’introduction en bourse de la société, des “investment memorandum” (fascicule informant les investisseurs sur l’historique du secteur, sa privatisation)...
Selon J. Saddi, les sociétés de conseil en stratégie interviennent, parfois, à l’étape 1 (tout dépend du pays concerné) mais, surtout, à l’étape 2. L’étape 3 ne nécessite pas toujours leur concours, car la mise en œuvre de la privatisation relève, très souvent, du domaine des banques plus compétentes en la matière. Une collaboration entre elles et ces institutions bancaires pourrait, cependant, s’enclencher.
Ayman Haddad est le directeur régional de Price Water House Coopers, société de consultants ayant déjà effectué des études sur la privatisation de Télé Liban et des silos de Beyrouth. Il qualifie le problème de privatisation de “très complexe”. Pour lui, tout commence par le diagnostic et l’étude des options: faut-il privatiser ou privilégier d’autres formules de redressement? Si la première option est retenue, est-il recommandé de privatiser, entièrement ou partiellement? Le cas pourrait se poser, par exemple, pour l’électricité, privatisable à trois niveaux: production, distribution et collecte. Il faudrait, également, choisir l’investisseur ou l’opérateur idéal et déterminer le degré de sa participation qui peut varier entre 20 et 100%.
Les quatre départements que regroupe la société de consultants jouent un grand rôle dans le processus de privatisation. Le service conseil en management intervient pour doter le secteur public de moyens humains et technologiques lui permettant de fonctionner comme une entreprise privée, dans le cas où sa restructuration est décidée préalablement à sa privatisation.
Les services légaux et fiscaux se chargent de le transformer pour lui donner le statut d’une entreprise privée. Les auditeurs redressent la comptabilité et les finances. Les experts financiers font l’appel d’offre ou la levée de fonds pour capitaliser l’entreprise.
Aux dires de A. Haddad, la société de consultants joue, en définitive, le rôle d’intégrateur. Elle coordonne les travaux des différents intervenants et gère le processus du début jusqu’à la fin. 


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