tribune
UNE POLÉMIQUE À HAUT RISQUE
Cette unité nationale que nous chantons sur tous les tons depuis une quinzaine de jours et qui a eu le mérite, selon tous les orateurs sans exception, de renforcer la résistance et d’assurer son succès, poussant l’armée israélienne à évacuer, précipitamment, le territoire libanais, cette unité nationale serait-elle déjà menacée?
Il ne faut pas se faire d’illusion: l’opinion est, actuellement, divisée entre, d’une part, partisans d’une présence immédiate de l’Armée au Sud et, d’autre part, un gouvernement qui soutient qu’il n’y est pas tenue et, qu’en tout cas, il n’y a pas urgence.
Sur cette divergence d’opinions, viennent se greffer des pressions extérieures en faveur du recours à l’Armée. Ces pressions sont clairement exprimées à Paris comme à Washington. D’autres, opposées, existent peut-être mais ne sont pas publiques.
Malgré les nombreuses explications de M. Salim Hoss pour justifier son refus d’une présence militaire au Sud, l’argumentation officielle demeure peu convaincante. On a entendu l’autre jour sur une chaîne de télévision locale, M. Ghassan Salamé, de Paris, avouer que, sur cette question, il éprouve les plus grandes difficultés à soutenir la position officielle libanaise auprès de ses interlocuteurs français.
Le patriarche maronite, dans sa dernière homélie dominicale, a apporté sa caution aux partisans d’une présence militaire seulement dans les villages du Sud en vue de rassurer les populations, mais pas pour garder les frontières, a-t-il tenu à préciser comme pour prévenir les objections relatives à des garanties qui seraient données à Israël.
Au point où en sont les choses, il n’est pas besoin d’être grand prophète pour prévoir que, sur ce sujet, le risque d’une grave crise nationale existe; et cela devrait être évité à tout prix. Sur le rôle de l’Armée au Liban, il y a eu périodiquement des divergences entraînant de dramatiques conséquences. Qu’on se souvienne des débats de 1952 et des précédents de 1958 et de 1975.

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Le gouvernement de M. Salim Hoss assume, à cet égard, une responsabilité majeure. Il tient entre ses mains le sort de ce mouvement exceptionnel d’union nationale qui a accompagné et forcé la libération du territoire.
S’il est réellement convaincu qu’il n’a pas besoin d’une présence de l’Armée pour assurer l’ordre et la sécurité des gens dans le Sud, il devrait s’en expliquer mieux qu’il ne l’a fait jusqu’ici. Nous n’écrivons pas qu’il n’a pas raison; on demande seulement de connaître ses raisons, ses vraies raisons pour pouvoir s’y rallier.
Craint-il d’exposer l’Armée à des affrontements de nature à ébranler la cohésion nationale? Des affrontements contre quelles forces?
Ceux qui réclament l’Armée redoutent les vendettas et les dérapages. Que redoute, de son côté, le gouvernement?
On a vu, en de multiples circonstances, le gouvernement faire appel à l’Armée pour épauler les forces de sécurité intérieure. Des postes militaires sont visibles un peu partout, même à Beyrouth. Pourquoi pas aussi au Liban-Sud?
Il ne s’agit pas de garantir la sécurité d’Israël, comme on l’a si souvent soutenu, mais de rassurer les populations libanaises sur leur propre sécurité.
Quant à l’argument sur les diverses phases de l’application des résolutions 425 et 426 du Conseil de Sécurité de l’ONU, il est difficile de le prendre au sérieux. 

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A s’obstiner dans ce refus de recourir aux moyens les plus efficaces (l’Armée) pour remplir son rôle d’Etat souverain, le risque n’est pas seulement d’ébranler la confiance et l’unité nationale retrouvée dans un moment historique, mais aussi de perdre le bénéfice de la bonne opinion produite sur le plan international par la façon dont le Liban tout entier avait fait face, jusqu’ici, aux conséquences du retrait israélien.
Enfin, tout en faisant la part des préoccupations électorales qui marquent les manifestations populaires et les interminables surenchères verbales de ces derniers jours, il faut prendre garde à ne pas perdre le sens des réalités et des responsabilités. Il appartient à l’Etat de maîtriser, dans tous ses aspects, la gestion des problèmes des territoires récupérés.
M. Salim Hoss s’est toujours distingué par son sens de la mesure et par sa rigueur morale. Le défi qu’il lui faut, maintenant relever, exige aussi une très grande lucidité. Elle ne peut pas lui manquer.
 

Les Faits du Jour de “L’Orient”
1957: Le tournant
par René Aggiouri
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