UNE PAGE DE L’HISTOIRE DU PROCHE-ORIENT EST TOURNÉE
LES DÉFIS DE LA SUCCESSION

Durant trois décennies, il a dirigé la Syrie en maître absolu, la plaçant au premier plan de la scène régionale et lui assurant une stabilité qu’elle n’avait pas connue depuis son indépendance. Durant trois décennies, Hafez Assad s’est posé en ultime champion et défenseur de la cause arabe, en interlocuteur incontournable au Proche-Orient.
Profondément affecté, le peuple lui a fait des adieux impressionnants. En trente ans de Pouvoir, Assad s’était fait des alliés et des adversaires mais devant la mort “les jugements sont adoucis” et le monde entier lui a rendu hommage, saluant en lui “une grande figure politique”, “un homme d’Etat”, “un interlocuteur coriace et perspicace”, un “leader arabe ayant fait un “choix stratégique pour la paix”.
Dès l’annonce de son décès, une question était sur toutes les lèvres: Que va-t-il advenir de la Syrie et du processus de paix après Assad? Son fils cadet et dauphin, Bachar, jeune médecin de 35 ans parviendra-t-il à asseoir son pouvoir, à acheminer son pays vers la modernité et “la génération du Web”, tel qu’il le souhaite? Assad est mort sans avoir signé la paix avec Israël laissant cette lourde responsabilité à son héritier. La tâche n’est pas aisée, d’autant plus que le processus est bloqué depuis des mois, laissant planer une incertitude sur l’avenir. Mais la marche de l’Histoire doit se poursuivre. Une page est tournée, une autre s’ouvre pour apporter avec elle paix et stabilité pour la région... Du moins le souhaite-t-on.

Samedi 10 juin 2000. En fin d’après-midi, le présentateur de la télévision syrienne apparaît le visage fermé pour annoncer, sur un ton grave: le président Hafez Assad, 69 ans, est mort, ce matin. De son côté, le chef du parlement, Abdel-Kader Kaddoura, annonçait devant le Conseil du peuple (parlement), la mort du président syrien, le qualifiant “d’homme d’Etat illustre ayant personnifié les espoirs, les douleurs et le courage de la nation.”
L’annonce du décès de celui qu’on avait surnommé le “vieux Lion de Damas”, plonge la Syrie dans la consternation et la douleur, prenant, en quelque sorte, le monde de court, même si on savait déjà depuis un certain temps que la santé du président Assad était déclinante. Il souffrait, semble-t-il, d’un diabète arrivé à un stade avancé et d’une leucémie chronique. Mais les causes du décès n’ont pas été précisées. L’ambassadeur de Syrie en Iran, Ahmad el-Hassan a, toutefois, indiqué qu’Assad était mort des suites d’une attaque cérébrale, alors qu’une source médicale à Beyrouth a parlé d’une crise cardiaque.
Quoiqu’il en soit, avec la mort du président Assad, une page de l’Histoire du Proche-Orient est tournée. Après la mort du roi Hussein de Jordanie et du roi Hassan II du Maroc, c’est une génération des grands dirigeants du monde arabe qui disparaît.

Le SCÉNARIO DE LA SUCCESSION VITE ENCLENCHÉ
Le premier souci d’un parlement en deuil et profondément attristé, sera d’assurer la succession conformément aux désirs du défunt qui avait propulsé ces dernières années son fils Bachar, au niveau des affaires intérieures syriennes et au plan international. A peine la nouvelle du décès connue, le Conseil du peuple siège en séance extraordinaire pour amender l’article 83 de la Constitution, abaissant l’âge du candidat à la présidence de la République de 40 à 34 ans, (l’âge du Dr Bachar Assad). En moins de 24 heures, cet amendement est suivi d’une deuxième étape décisive: Bachar est officiellement désigné commandant en chef de l’armée et le parti Baas pose sa candidature à la présidence de la République. Cette candidature sera examinée le 25 juin par le parlement qui soumettra, ensuite, son choix au peuple par référendum, tel que le stipule la Constitution. La succession est donc assurée, la vice-présidence assurant l’intérim. Tout semble pour le moment sous contrôle.
Le peuple, lui, laisse exploser sa douleur. Dès l’annonce du décès, les Syriens par milliers envahissent les rues de Damas, d’Alep, de Lattaquieh, pleurant ce leader incontesté qui a assuré à son pays une véritable stabilité. Un deuil officiel de 40 jours est décrété.
Tout est fermé. Les voitures sont drapées de noir. Les gens défilent dans les rues, sans arrêt, criant leur tristesse, arborant des portraits du président défunt mais, aussi de son successeur Bachar, unanimement acclamé et plébiscité.


Une photo d’archives du président défunt, son épouse et ses enfants.

FIGURE INCONTOURNABLE DU PROCESSUS DE PAIX
Si la mort du président Assad a eu un tel retentissement à l’échelle internationale, c’est que durant trente ans il s’était identifié à la Syrie et vice-versa. D’ailleurs, ne disait-on pas couramment “Souriya el-Assad” ou la “Syrie d’Assad”, pour signifier que le pays et son chef ne formaient qu’un? Il a donné à la Syrie une stabilité politique qu’elle n’avait pas connue auparavant, l’amenant à jouer un rôle prépondérant sur la scène régionale, auquel sa géographie et sa dimension sociologique ne la prédestinaient pas a priori. Pour cela, ses adversaires, autant que ses amis ou alliés, sont unanimes à reconnaître qu’Assad était un grand homme politique devenu, au fil des années, une figure incontournable du monde arabe et du processus de paix.
Qui était Hafez Assad?
Il est né le 6 octobre 1930 à Kordaha, petit village près de Lattaquieh, à 300 km de Damas, dans une modeste famille alaouite. Ses études terminées, il entre à l’académie militaire de Homs et passe le concours de l’école de l’air à Alep.
Très jeune, il adhère, en 1946, au parti Baas, l’année même où la Syrie accède à l’indépendance. En 1955, il est envoyé en Egypte et forme le comité militaire baassiste. Ecarté de l’armée en 1961, il la réintègre en 1963 à la faveur d’un coup d’Etat baassiste et gravit les échelons, créant même ses propres services de renseignements.
A partir du milieu des années soixante, son étoile commence à monter. En 1966, il est nommé ministre de la Défense. En habile tacticien, ayant un sens aigu du rapport des forces, il s’entoure d’hommes sûrs et attend son heure. La guerre des six jours en juin 1967, où il commandait l’armée de l’air et l’occupation du Golan par Israël, le propulsent au-devant de la scène. Son influence grandit au sein du parti Baas et le 13 novembre 1970, alors qu’il a tout juste quarante ans, il s’empare du Pouvoir par un coup d’Etat de velours.
Le 12 mars 1971, il se fait élire président de la République au suffrage universel, devenant le premier chef d’Etat syrien se réclamant de la communauté alaouite, qui ne représente que 12% de l’ensemble de la population syrienne à majorité sunnite avec deux autres minorités, chrétienne et druze. La Syrie compte, aujourd’hui, 15 millions d’habitants et connaît une croissance démographique des plus élevées au monde de 3,4% par an.

Des différends, mais un engagement 
mutuel pour la paix.

Pour les dirigeants du Golfe, Assad a 
toujours servi les intérêts de la Nation arabe.

LA STABILITÉ DE LA SYRIE
Hafez Assad sera reconduit quatre fois successives à la tête de l’Etat pour des mandats de sept ans, recueillant à chaque référendum des 98 et 99% des suffrages. Pour cela, il incarnait en sa personne, l’image de la stabilité d’un pays qui, avant son accession au Pouvoir, n’avait connu depuis son indépendance en 1946, jusqu’en 1970, qu’une succession de coups d’Etat.
En même temps que la stabilité interne, Assad va jouer la carte du nationalisme arabe prônant une politique intransigeante envers Israël. En 1973, lors de la guerre de Kipour, s’il n’arrive pas à récupérer le Golan par les armes, “en fin stratège doté d’une intelligence de premier ordre”, tel que dit de lui Henri Kissinger, Assad parvient à conclure le 31 mai 74, avec le secrétaire d’Etat américain, un accord de désengagement dans le Golan. Une force des Nations Unies (la FNUOD) s’y déploie et, depuis lors, il n’y a jamais eu un seul coup de feu sur ce haut plateau.

L’IMPLICATION AU LIBAN
Dès 1975, le président Assad s’implique, directement, dans le conflit libanais, se faisant des alliés mais beaucoup d’adversaires. Il y envoie son armée, n’hésite pas à frapper durement ceux qui s’opposaient à son action.
Les accords de Camp David signés en 1978 entre Le Caire et Israël, qu’il dénonce vivement, lui laissent encore plus les coudées franches au Liban et il se pose en ultime défenseur de la cause arabe.
En 1982, lors de l’opération israélienne “paix pour la Galilée”, les troupes syriennes stationnées au Liban subissent un sérieux revers. Qu’à cela ne tienne. Assad grâce à l’aide soviétique reconstitue son arsenal militaire, met en échec l’accord du 17 mai qui devait être conclu entre le Liban et Israël, alimente la guerre de la Montagne et revient en force en 1985 sur la scène libanaise d’où “Tsahal” s’est retiré pour ne garder qu’une bande frontalière de 800 km2, dite “zone de sécurité”.
La nouvelle carte maîtresse d’Assad sera la résistance islamique au Liban qu’il appuie face à Israël. En octobre 1989, la signature de l’accord de Taëf consacre davantage encore l’hégémonie syrienne sur le Liban, dont les troupes délogent de force le 13 octobre 1990, le général Michel Aoun du palais présidentiel de Baabda.
Le retrait unilatéral de “Tsahal” du Liban-Sud en date du 24 mai 2000, va priver Assad d’une carte maîtresse face à Israël. Il n’a pas eu le temps de reconsidérer ses positions. La mort l’a devancé.

IL N’HÉSITE PAS À CHANGER DE CAP
Le pragmatisme de Hafez Assad l’a mené à faire une lecture intelligente des changements de la conjoncture politique sur le plan international. Longtemps ami et allié des Soviets, il n’hésite pas à changer de cap en août 1990, avec la guerre du Golfe, la Syrie se rangeant aux côtés de la communauté internationale contre l’Irak.
Le 30 octobre 1991, la Syrie participe à la conférence de paix de Madrid et accepte le principe des négociations de paix avec Israël. Mais Assad restera intransigeant jusqu’au bout, exigeant la restitution de la totalité du Golan en échange de la paix. Il est mort sans avoir réussi à signer cette paix avec Israël lui qui, pourtant, voulait léguer à son fils et dauphin Bachar, un pays stable et en paix avec tous ses voisins. L’Histoire jugera s’il a eu tort ou raison.
Inflexible à l’extérieur, Assad l’a été aussi dans son pays, n’hésitant pas à mater ses adversaires par la force. L’insurrection des “frères musulmans” à Hama en 1982, se termine dans le sang: la ville est bombardée, on compte dix mille morts. En 1983, son frère, Rifaat Assad qui avait tenté de prendre le Pouvoir au moment où le président a des ennuis de santé, est écarté du Pouvoir. Mais le régime de Hafez Assad tient bon grâce à un véritable culte de la personnalité.

DES TÉMOIGNAGES DU MONDE ENTIER
Les messages de condoléance affluent du monde entier à Damas, le premier sera celui du chef de l’Etat libanais, le général Emile Lahoud qui a été la dernière personne à avoir parlé avec le président Assad. Dans son message de condoléance au fils et successeur du défunt, le président Lahoud révèle qu’il s’entretenait avec le président Assad au téléphone, vers midi, de l’avenir du Liban et de la Syrie quand celui-ci a succombé à une attaque cardiaque.
“Notre destin est de construire pour nos enfants un avenir qui les rassure et notre devoir est de leur donner un héritage meilleur que celui que nous avons eu”.
Telles furent ses dernières paroles.
Pays voisin, le Liban est le plus directement concerné par ce décès. Un deuil officiel de sept jours est décrété et mardi, jour des funérailles la fermeture est totale. Sur le million de travailleurs syriens résidant au Liban, certains décident de prendre le chemin de Damas pour partager le deuil avec leurs concitoyens; d’autres expriment leur douleur sur place. Quant aux responsables militaires syriens déployés au Liban, ils reçoivent les condoléances dans leurs quartiers généraux.
Par ailleurs, le chef de l’Etat accompagné des présidents Berri et Hoss se rendent à Damas pour présenter les condoléances au Dr Bachar Assad.

CLINTON: JE L’AI TOUJOURS RESPECTÉ
“Je suis attristé par la nouvelle de la mort du président Assad et je voudrais présenter mes condoléances à sa famille et au peuple syrien”, affirme le président Clinton, rappelant qu’au cours des sept dernières années, il l’avait rencontré à plusieurs reprises, “ce qui m’a permis de très bien le connaître. Nous avions nos différences, mais je l’ai toujours respecté. Tout au long de mes contacts avec lui, y compris notre dernière rencontre, il a toujours affirmé l’engagement de la Syrie sur le chemin de la paix”.
La dernière rencontre Assad-Clinton avait eu lieu le 26 mars à Genève, dans une nouvelle tentative de relancer le processus de paix en panne, sans résultat.
Le président français Jacques Chirac, seul chef d’Etat occidental à assister aux funérailles d’Assad, rend hommage “à son choix résolu et respecté d’engager son peuple sur le chemin de la paix. Il aura marqué l’Histoire pendant trois décennies”.
Paris et Damas entretiennent, depuis quelques années, de très bonnes relations, après avoir traversé une période noire dans les années 80. L’arrivée de Jacques Chirac au Pouvoir a constitué un grand tournant dans ces relations. Fin 1996, le chef d’Etat français visite Damas et parle de “dialogue renforcé” avec la Syrie. En juillet 98, Assad choisit Paris pour sa première visite officielle dans un pays occidental en vingt-deux ans.
Bachar Assad fera de même ses premiers pas sur la scène internationale en étant chaleureusement accueilli à l’Elysée. Signe du rôle que la France est déterminée à jouer au Proche-Orient.

LES RÉACTIONS DANS LE MONDE
A Jérusalem, un communiqué de la présidence du Conseil affirme: “Israël comprend la douleur du peuple syrien et souligne que l’Etat hébreu a œuvré dans le passé pour parvenir à un accord de paix avec la Syrie et continuera à œuvrer dans cette direction”.
Pour Moscou, le président syrien était “une grande figure politique et un ami de la Russie”. Les monarchies du Golfe, autant que les dirigeants du Proche-Orient saluent la mémoire d’Assad et déplorent la perte “d’une figure ayant œuvré toute sa vie pour servir les intérêts de la nation arabe”.
Pourtant, les relations de Hafez Assad avec les pays voisins n’ont pas été idylliques. De fait, il s’est querellé avec les Irakiens, les Jordaniens, les Turcs, les Palestiniens et les Libanais, sans parler de son intransigeance face à Israël.
Il a donné du fil à retordre aux grands de ce monde, concernant le processus de paix qu’il laisse en suspens. Les messages lui rendent hommage et tel que le dit un média occidental: “Combien la mort peut adoucir les jugements; celle de Hafez Assad n’a pas fait exception!”

Par NELLY HÉLOU

Home
Home