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Samedi 10 juin 2000. En fin d’après-midi, le présentateur
de la télévision syrienne apparaît le visage fermé
pour annoncer, sur un ton grave: le président Hafez Assad, 69 ans,
est mort, ce matin. De son côté, le chef du parlement, Abdel-Kader
Kaddoura, annonçait devant le Conseil du peuple (parlement), la
mort du président syrien, le qualifiant “d’homme d’Etat illustre
ayant personnifié les espoirs, les douleurs et le courage de la
nation.”
L’annonce du décès de celui qu’on avait surnommé
le “vieux Lion de Damas”, plonge la Syrie dans la consternation et la douleur,
prenant, en quelque sorte, le monde de court, même si on savait déjà
depuis un certain temps que la santé du président Assad était
déclinante. Il souffrait, semble-t-il, d’un diabète arrivé
à un stade avancé et d’une leucémie chronique. Mais
les causes du décès n’ont pas été précisées.
L’ambassadeur de Syrie en Iran, Ahmad el-Hassan a, toutefois, indiqué
qu’Assad était mort des suites d’une attaque cérébrale,
alors qu’une source médicale à Beyrouth a parlé d’une
crise cardiaque.
Quoiqu’il en soit, avec la mort du président Assad, une page
de l’Histoire du Proche-Orient est tournée. Après la mort
du roi Hussein de Jordanie et du roi Hassan II du Maroc, c’est une génération
des grands dirigeants du monde arabe qui disparaît.
Le SCÉNARIO DE LA SUCCESSION VITE ENCLENCHÉ
Le premier souci d’un parlement en deuil et profondément attristé,
sera d’assurer la succession conformément aux désirs du défunt
qui avait propulsé ces dernières années son fils Bachar,
au niveau des affaires intérieures syriennes et au plan international.
A peine la nouvelle du décès connue, le Conseil du peuple
siège en séance extraordinaire pour amender l’article 83
de la Constitution, abaissant l’âge du candidat à la présidence
de la République de 40 à 34 ans, (l’âge du Dr Bachar
Assad). En moins de 24 heures, cet amendement est suivi d’une deuxième
étape décisive: Bachar est officiellement désigné
commandant en chef de l’armée et le parti Baas pose sa candidature
à la présidence de la République. Cette candidature
sera examinée le 25 juin par le parlement qui soumettra, ensuite,
son choix au peuple par référendum, tel que le stipule la
Constitution. La succession est donc assurée, la vice-présidence
assurant l’intérim. Tout semble pour le moment sous contrôle.
Le peuple, lui, laisse exploser sa douleur. Dès l’annonce du
décès, les Syriens par milliers envahissent les rues de Damas,
d’Alep, de Lattaquieh, pleurant ce leader incontesté qui a assuré
à son pays une véritable stabilité. Un deuil officiel
de 40 jours est décrété.
Tout est fermé. Les voitures sont drapées de noir. Les
gens défilent dans les rues, sans arrêt, criant leur tristesse,
arborant des portraits du président défunt mais, aussi de
son successeur Bachar, unanimement acclamé et plébiscité.
Une photo d’archives du président défunt,
son épouse et ses enfants.
FIGURE INCONTOURNABLE DU PROCESSUS DE PAIX
Si la mort du président Assad a eu un tel retentissement à
l’échelle internationale, c’est que durant trente ans il s’était
identifié à la Syrie et vice-versa. D’ailleurs, ne disait-on
pas couramment “Souriya el-Assad” ou la “Syrie d’Assad”, pour signifier
que le pays et son chef ne formaient qu’un? Il a donné à
la Syrie une stabilité politique qu’elle n’avait pas connue auparavant,
l’amenant à jouer un rôle prépondérant sur la
scène régionale, auquel sa géographie et sa dimension
sociologique ne la prédestinaient pas a priori. Pour cela, ses adversaires,
autant que ses amis ou alliés, sont unanimes à reconnaître
qu’Assad était un grand homme politique devenu, au fil des années,
une figure incontournable du monde arabe et du processus de paix.
Qui était Hafez Assad?
Il est né le 6 octobre 1930 à Kordaha, petit village
près de Lattaquieh, à 300 km de Damas, dans une modeste famille
alaouite. Ses études terminées, il entre à l’académie
militaire de Homs et passe le concours de l’école de l’air à
Alep.
Très jeune, il adhère, en 1946, au parti Baas, l’année
même où la Syrie accède à l’indépendance.
En 1955, il est envoyé en Egypte et forme le comité militaire
baassiste. Ecarté de l’armée en 1961, il la réintègre
en 1963 à la faveur d’un coup d’Etat baassiste et gravit les échelons,
créant même ses propres services de renseignements.
A partir du milieu des années soixante, son étoile commence
à monter. En 1966, il est nommé ministre de la Défense.
En habile tacticien, ayant un sens aigu du rapport des forces, il s’entoure
d’hommes sûrs et attend son heure. La guerre des six jours en juin
1967, où il commandait l’armée de l’air et l’occupation du
Golan par Israël, le propulsent au-devant de la scène. Son
influence grandit au sein du parti Baas et le 13 novembre 1970, alors qu’il
a tout juste quarante ans, il s’empare du Pouvoir par un coup d’Etat de
velours.
Le 12 mars 1971, il se fait élire président de la République
au suffrage universel, devenant le premier chef d’Etat syrien se réclamant
de la communauté alaouite, qui ne représente que 12% de l’ensemble
de la population syrienne à majorité sunnite avec deux autres
minorités, chrétienne et druze. La Syrie compte, aujourd’hui,
15 millions d’habitants et connaît une croissance démographique
des plus élevées au monde de 3,4% par an.
![]() Des différends, mais un engagement mutuel pour la paix. |
![]() Pour les dirigeants du Golfe, Assad a toujours servi les intérêts de la Nation arabe. |
LA STABILITÉ DE LA SYRIE
Hafez Assad sera reconduit quatre fois successives à la tête
de l’Etat pour des mandats de sept ans, recueillant à chaque référendum
des 98 et 99% des suffrages. Pour cela, il incarnait en sa personne, l’image
de la stabilité d’un pays qui, avant son accession au Pouvoir, n’avait
connu depuis son indépendance en 1946, jusqu’en 1970, qu’une succession
de coups d’Etat.
En même temps que la stabilité interne, Assad va jouer
la carte du nationalisme arabe prônant une politique intransigeante
envers Israël. En 1973, lors de la guerre de Kipour, s’il n’arrive
pas à récupérer le Golan par les armes, “en fin stratège
doté d’une intelligence de premier ordre”, tel que dit de lui Henri
Kissinger, Assad parvient à conclure le 31 mai 74, avec le secrétaire
d’Etat américain, un accord de désengagement dans le Golan.
Une force des Nations Unies (la FNUOD) s’y déploie et, depuis lors,
il n’y a jamais eu un seul coup de feu sur ce haut plateau.
L’IMPLICATION AU LIBAN
Dès 1975, le président Assad s’implique, directement,
dans le conflit libanais, se faisant des alliés mais beaucoup d’adversaires.
Il y envoie son armée, n’hésite pas à frapper durement
ceux qui s’opposaient à son action.
Les accords de Camp David signés en 1978 entre Le Caire et Israël,
qu’il dénonce vivement, lui laissent encore plus les coudées
franches au Liban et il se pose en ultime défenseur de la cause
arabe.
En 1982, lors de l’opération israélienne “paix pour la
Galilée”, les troupes syriennes stationnées au Liban subissent
un sérieux revers. Qu’à cela ne tienne. Assad grâce
à l’aide soviétique reconstitue son arsenal militaire, met
en échec l’accord du 17 mai qui devait être conclu entre le
Liban et Israël, alimente la guerre de la Montagne et revient en force
en 1985 sur la scène libanaise d’où “Tsahal” s’est retiré
pour ne garder qu’une bande frontalière de 800 km2, dite “zone de
sécurité”.
La nouvelle carte maîtresse d’Assad sera la résistance
islamique au Liban qu’il appuie face à Israël. En octobre 1989,
la signature de l’accord de Taëf consacre davantage encore l’hégémonie
syrienne sur le Liban, dont les troupes délogent de force le 13
octobre 1990, le général Michel Aoun du palais présidentiel
de Baabda.
Le retrait unilatéral de “Tsahal” du Liban-Sud en date du 24
mai 2000, va priver Assad d’une carte maîtresse face à Israël.
Il n’a pas eu le temps de reconsidérer ses positions. La mort l’a
devancé.
IL N’HÉSITE PAS À CHANGER DE
CAP
Le pragmatisme de Hafez Assad l’a mené à faire une lecture
intelligente des changements de la conjoncture politique sur le plan international.
Longtemps ami et allié des Soviets, il n’hésite pas à
changer de cap en août 1990, avec la guerre du Golfe, la Syrie se
rangeant aux côtés de la communauté internationale
contre l’Irak.
Le 30 octobre 1991, la Syrie participe à la conférence
de paix de Madrid et accepte le principe des négociations de paix
avec Israël. Mais Assad restera intransigeant jusqu’au bout, exigeant
la restitution de la totalité du Golan en échange de la paix.
Il est mort sans avoir réussi à signer cette paix avec Israël
lui qui, pourtant, voulait léguer à son fils et dauphin Bachar,
un pays stable et en paix avec tous ses voisins. L’Histoire jugera s’il
a eu tort ou raison.
Inflexible à l’extérieur, Assad l’a été
aussi dans son pays, n’hésitant pas à mater ses adversaires
par la force. L’insurrection des “frères musulmans” à Hama
en 1982, se termine dans le sang: la ville est bombardée, on compte
dix mille morts. En 1983, son frère, Rifaat Assad qui avait tenté
de prendre le Pouvoir au moment où le président a des ennuis
de santé, est écarté du Pouvoir. Mais le régime
de Hafez Assad tient bon grâce à un véritable culte
de la personnalité.
DES TÉMOIGNAGES DU MONDE ENTIER
Les messages de condoléance affluent du monde entier à
Damas, le premier sera celui du chef de l’Etat libanais, le général
Emile Lahoud qui a été la dernière personne à
avoir parlé avec le président Assad. Dans son message de
condoléance au fils et successeur du défunt, le président
Lahoud révèle qu’il s’entretenait avec le président
Assad au téléphone, vers midi, de l’avenir du Liban et de
la Syrie quand celui-ci a succombé à une attaque cardiaque.
“Notre destin est de construire pour nos enfants un avenir qui les
rassure et notre devoir est de leur donner un héritage meilleur
que celui que nous avons eu”.
Telles furent ses dernières paroles.
Pays voisin, le Liban est le plus directement concerné par ce
décès. Un deuil officiel de sept jours est décrété
et mardi, jour des funérailles la fermeture est totale. Sur le million
de travailleurs syriens résidant au Liban, certains décident
de prendre le chemin de Damas pour partager le deuil avec leurs concitoyens;
d’autres expriment leur douleur sur place. Quant aux responsables militaires
syriens déployés au Liban, ils reçoivent les condoléances
dans leurs quartiers généraux.
Par ailleurs, le chef de l’Etat accompagné des présidents
Berri et Hoss se rendent à Damas pour présenter les condoléances
au Dr Bachar Assad.
CLINTON: JE L’AI TOUJOURS RESPECTÉ
“Je suis attristé par la nouvelle de la mort du président
Assad et je voudrais présenter mes condoléances à
sa famille et au peuple syrien”, affirme le président Clinton, rappelant
qu’au cours des sept dernières années, il l’avait rencontré
à plusieurs reprises, “ce qui m’a permis de très bien le
connaître. Nous avions nos différences, mais je l’ai toujours
respecté. Tout au long de mes contacts avec lui, y compris notre
dernière rencontre, il a toujours affirmé l’engagement de
la Syrie sur le chemin de la paix”.
La dernière rencontre Assad-Clinton avait eu lieu le 26 mars
à Genève, dans une nouvelle tentative de relancer le processus
de paix en panne, sans résultat.
Le président français Jacques Chirac, seul chef d’Etat
occidental à assister aux funérailles d’Assad, rend hommage
“à son choix résolu et respecté d’engager son peuple
sur le chemin de la paix. Il aura marqué l’Histoire pendant trois
décennies”.
Paris et Damas entretiennent, depuis quelques années, de très
bonnes relations, après avoir traversé une période
noire dans les années 80. L’arrivée de Jacques Chirac au
Pouvoir a constitué un grand tournant dans ces relations. Fin 1996,
le chef d’Etat français visite Damas et parle de “dialogue renforcé”
avec la Syrie. En juillet 98, Assad choisit Paris pour sa première
visite officielle dans un pays occidental en vingt-deux ans.
Bachar Assad fera de même ses premiers pas sur la scène
internationale en étant chaleureusement accueilli à l’Elysée.
Signe du rôle que la France est déterminée à
jouer au Proche-Orient.
LES RÉACTIONS DANS LE MONDE
A Jérusalem, un communiqué de la présidence du
Conseil affirme: “Israël comprend la douleur du peuple syrien et souligne
que l’Etat hébreu a œuvré dans le passé pour parvenir
à un accord de paix avec la Syrie et continuera à œuvrer
dans cette direction”.
Pour Moscou, le président syrien était “une grande figure
politique et un ami de la Russie”. Les monarchies du Golfe, autant que
les dirigeants du Proche-Orient saluent la mémoire d’Assad et déplorent
la perte “d’une figure ayant œuvré toute sa vie pour servir les
intérêts de la nation arabe”.
Pourtant, les relations de Hafez Assad avec les pays voisins n’ont
pas été idylliques. De fait, il s’est querellé avec
les Irakiens, les Jordaniens, les Turcs, les Palestiniens et les Libanais,
sans parler de son intransigeance face à Israël.
Il a donné du fil à retordre aux grands de ce monde,
concernant le processus de paix qu’il laisse en suspens. Les messages lui
rendent hommage et tel que le dit un média occidental: “Combien
la mort peut adoucir les jugements; celle de Hafez Assad n’a pas fait exception!”