Le
destin de la Syrie focalise de nouveau l’actualité internationale.
La disparition de son président Hafez Assad, rappelle à ceux
qui auraient tendance à l’oublier, la position exceptionnelle de
ce pays en Proche-Orient. Quelque nombreuses que soient les qualités
qu’on lui reconnaît, l’importance du chef tient d’abord à
l’importance du pays qu’il dirige.
La Syrie est au centre de l’échiquier du Proche-Orient. Tous
les joueurs d’échec le savent: C’est une position stratégique
essentielle. Elle com-mande toutes les voies de passage d’Est en Ouest
et du Nord au Sud. C’est sur ce terrain que se sont toujours affrontées
les puissances depuis l’origine des temps. Qui contrôle la Syrie,
commande le destin du Proche-Orient.
De ce fait, le régime politique de Damas a toujours été
l’objet de pressions contradictoires qui y ont entretenu une longue période
d’instabilité. Le premier mérite de Hafez Assad a été
d’y mettre fin. La Syrie, avant lui, a connu une succession de coups d’Etat
et de troubles divers directement ou indirectement liés à
une politique internationale, dont les objectifs ignoraient délibérement
les aspirations du peuple syrien et ses véritables préoccupations.
Pour illustrer cette situation, on peut rappeler sans doute le Pacte
de Bagdad, la création de la RAU, la “doctrine Eisenhower” mais,
aussi, la pression israélienne toujours présente. M. Rabin,
chef d’état-major à Tel-Aviv, déclarait le 11 mai
1967, à la suite d’un incident dans la zone démilitarisée
du Houlé: “Le moment approche où nous marcherons sur Damas
pour renverser le gouvernement syrien”. Par des voies moins brutales, Amman
et Bagdad, Ankara et le Caire comme Londres et Washington avaient œuvré
dans le même sens avec des succès éphémères.
Mieux que dans tout autre pays de la région, le Liban a vécu
cette époque agitée et en a subi les effets.
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L’arrivée au Pouvoir de Hafez Assad en 1970 résultait
elle-même d’une longue et insidieuse lutte interne au sein même
du parti Baas, tiraillé entre divers tendances et intérêts
personnels. Mais elle n’a pas mis fin tout de suite aux contradictions.
Il aura fallu cinq ans pour stabiliser la nouvelle direction. Finalement,
ce régime a pu se maintenir pendant, au total, plus de trente ans.
Cette longue stabilité du pouvoir est tout à fait exceptionnelle.
La Syrie n’avait jamais connu une semblable paix intérieure.
C’est bien là la caractéristique principale et la plus
remarquable du régime, dont le héros vient de succomber à
la maladie.
Le prix de cette stabilité est sans doute lourd en termes d’économie,
de finances, d’ouverture au monde, de droits humains, de démocratie...
Sous son aspect politique, c’est l’extrême personnalisation du pouvoir
qu’il convient de considérer. Elle a deux conséquences concomitantes:
la charge de la succession, quelle que soit la personnalité du successeur,
devient très lourde à assumer; le sentiment de vide laissé
par la disparition de l’homme providentiel donne le vertige.
Certes, les structures du parti dirigeant sont mises à contribution
pour assurer la continuité du régime. Mais l’histoire de
ce parti est si riche en bouleversements internes, qu’on demeure perplexe
sur l’avenir s’il ne devait pas exister d’autres cadres pour la stabilité
du Pouvoir. Il y a, en l’occurrence, l’Armée à la tête
de laquelle a été promu le successeur désigné
à la veille de la confirmation de son élection à la
tête de l’Etat. C’est un signe fort donné à toute tentative
d’opposition.
L’inconvénient fondamental de tout système de gouvernement
personnalisé à l’extrême et pendant une si longue période,
réside dans la suppression de toute vie politique. Les forces actives
et les leaderships sont laminés.
C’est bien ce qu’expriment maintenant ceux qui parlent du “vide” laissé
par la disparition de Hafez Assad. Cet hommage rendu au héros mort
est à double tranchant.
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Sur le plan extérieur, les conséquences de cette disparition
doivent être évaluées par rapport, d’abord, au Liban
et, ensuite, au processus de paix. C’est le plus urgent.
Au Liban, l’influence de Hafez Assad s’est exercée dès
1970, d’abord à travers l’action armée des Palestiniens;
ensuite, par l’implication de la Syrie dans la guerre civile de 1975. Certes,
Hafez Assad, personnellement, a réussi à orienter le jeu
des forces antagonistes, vers une pacification sur la base d’une formule
de rééquilibrage (qui demeure cependant objet de contestations).
Son héritier aura à revoir l’échiquier libanais et
son propre rôle dans ce jeu.
Quant au processus de paix avec Israël, son blocage depuis plusieurs
mois ne pourrait cesser que si les responsables israéliens ne se
livrent pas, selon leurs vieilles habitudes, à de faux calculs,
dans l’espoir de tirer profit du changement à la tête de l’Etat
syrien.
Les positions de Damas au sujet de la paix se fondent sur des principes
que personne ne peut modifier sans risquer de faire retomber le pays dans
un nouveau cycle d’instabilité. Cela ne profiterait à personne.
De nombreuses forces mâtées pendant trente ans n’attendent
justement qu’une occasion, un coup de pouce, pour remonter à la
surface. Les ranimer serait proprement jouer avec le feu.
Objet, comme toujours, de multiples convoitises, Damas n’est pas encore
assez consolidé pour s’autoriser les luttes des partis dans un système
de libertés démocratiques. “L’épuration” même,
engagée depuis peu, pourrait bientôt être jugée
inopportune. Le président Bachar Assad apprendra très vite
que les loyautés se paient et que les fidélités ont
un prix.
On peut le déplorer, mais on n’a pas le droit de prétendre
l’ignorer pour courir l’aventure. |
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