Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
L’APPEL DU VIDE
Maintenant que nous n’avons plus de larmes à verser, ni même des yeux pour pleurer; maintenant que notre deuil a atteint des sommets insoupçonnés dans l’outrance, que nos marathoniens de Qordaha sont rentrés chez eux, le Dr Bachar jugeant sans doute que serrer vingt fois les mêmes mains était plus que suffisant et qu’il avait d’autres chats à fouetter; maintenant, enfin, que la Syrie elle-même semble avoir tourné la page Hafez Assad pour entrer dans l’ère de Bachar, nous pouvons nous permettre de contenir notre détresse, de brider notre affliction et de nous occuper un peu - pour changer - de nos propres affaires. Elles en ont grandement besoin.
Chacun sait qu’en plus de tous les problèmes irrésolus auxquels nous devons faire face, à l’heure actuelle, nous avons surtout, sur les bras, un véritable nœud de vipères que représente l’imbroglio des frontières sud, ou plus exactement, de la ligne de retrait des forces israéliennes.
Nous savons tous que l’appétit d’Israël est phénoménal, que les héritiers de Ben Gourion et de Golda Meïr sont avides de terres à bouffer, d’empiètements, d’annexions et spécialistes de faits accomplis. Partant de là, les objections de nos autorités sont parfaitement compréhensibles et leurs craintes tout à fait justifiées. A croire que nous nous sentions plus sécurisés sous l’occupation que depuis l’évacuation.
Pendant un quart de siècle nous avons - en invoquant sans cesse la 425 - vécu de revendications, mais aujourd’hui que l’argument du “bon droit” est tombé - du moins aux yeux du reste du monde - du fait du retrait de Tsahal, nous nous retrouvons au pied du mur et nous ne savons plus s’il convient de le contourner ou de lui tourner carrément le dos drapés dans notre dignité.
Il y a un fait certain: la “ligne bleue” établie par les soins de Roed-Larsen n’est pas tout à fait conforme au tracé de nos frontières. Mais de là à accuser ledit Roed-Larsen de partialité en faveur d’Israël, il y a un pas énorme que n’aurait pas dû franchir le langage peu diplomatique - pour ne pas dire insultant - utilisé par notre gouvernement. Cela n’a eu pour résultat que de mettre à cran un Kofi Annan outré et de provoquer     - en partie - sa menace d’annuler son voyage à Beyrouth si le Conseil de Sécurité refusait de certifier le retrait israélien.
Maintenant que le Conseil de Sécurité a officialisé la thèse du secrétaire général, tout en reconnaissant - à l’insistance de la Russie - l’existence de certaines violations de la frontière par Israël, que comptons-nous faire?
Notre refus tous azimuts de nous impliquer dans le processus préconisé par Kofi Annan, ne va-t-il pas nous mettre hors circuit? Cela ne va-t-il pas décourager et les grandes et les moins grandes puissances, sans compter l’ONU qui pourrait, en désespoir de cause, mettre fin à la présence de la FINUL? Et ce vide, puisque notre gouvernement refuse d’envoyer l’armée dans le Sud, ne constituera-t-il pas un foyer d’appel que Tel-Aviv saura mettre à profit pour faire les quatre cents coups, sinon avec l’approbation internationale du moins avec son excuse absolutoire?
Dans le giron de qui irions-nous pleurer alors, puisque toutes les portes nous seront fermées? Et que feront les investisseurs, tant attendus, dans un climat empoisonné qu’Israël s’empressera de rendre irrespirable? Et comment, dans  ce cas, arrêter l’exode massif des populations sudistes qui déjà commencent à refluer vers l’intérieur? Et qu’en sera-t-il d’une économie sur le point de rendre son dernier souffle?
Avant d’afficher cette attitude de reine outragée dans laquelle nous nous complaisons et d’attendre sur des fauteuils surélevés que le monde entier nous supplie d’accepter son aide, n’aurions-nous pas dû avoir un ministre des Affaires étrangères à plein temps qui fasse le tour de toutes les capitales, de tous les centres de décision et d’être présent au Conseil de Sécurité pour plaider notre cause, cartes et arguments à l’appui?
Dans tous les pays du monde, ce ministère est un poste clé que l’on ne confie qu’à de grosses pointures, superactives et infatigables, pour tout dire à des personnages de premier plan. Au Liban, nous nous comportons comme si ce portefeuille était moins que secondaire, sans qu’il nous vienne à l’esprit qu’à force de considérer comme quantité négligeable un ministère des Affaires étrangères, nous finirons par devenir étrangers à nos propres affaires. A moins que nous le soyons  déjà!... 

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