Editorial



Par MELHEM KARAM 

LES FRONTIÈRES SONT CLAIRES...
POURQUOI SPÉCULENT-ILS?

L’important a pris fin. Il reste les détails qui n’en sont pas moins importants. Dans ses “Mémoires”, Henry Kissinger rapporte un fait remontant au jour où il s’est trouvé au Kremlin, en tant qu’envoyé du président Richard Nixon, Nikita Khroutchev ayant réuni dans sa personne le secrétaire général du parti communiste et la présidence du Pouvoir exécutif, contrairement à ce qu’aurait voulu Staline qui avait nommé Malenkov, chef du Pouvoir exécutif et Khroutchev secrétaire général du parti. Parce que Staline s’était illusionné que personne n’était capable de lui succéder dans l’autorité absolue. L’autorité soviétique rouge héritant de l’autorité russe blanche en la personne du tsar. Dans le monde, il existe trois Césars; le “César” romain, le “tsar” russe et le kaiser allemand.
Khroutchev a éliminé Malenkov, comme sont écartés les responsables dans les régimes totalitaires, parce qu’il voyait en Malenkov, une ombre terne et fragile de Staline. Et ce, avant la destalinisation ayant effacé avec férocité le halo que Staline avait tressé autour de sa tête.
Dans les “Mémoires” de Kissinger, il est rapporté qu’il a dit à Khroutchev, le jour où il visitait le Kremlin au nom du président des Etats-Unis, au temps où la guerre froide était à son paroxysme, qu’ils s’étaient entendus sur les principes et qu’il ne restait plus que les détails. Et Khroutchev de dire: “Mais les détails sont importants”. Et il lui a fait entendre l’histoire du tsar qui a retourné à la Cour criminelle le dossier qu’elle lui avait envoyé, afin de statuer sur le cas d’un condamné à mort ayant réclamé une grâce. Le tsar a renvoyé le dossier au tribunal en y inscrivant ces termes: “La peine capitale impossible la grâce”. La Cour criminelle n’a su comment lire la décision du tsar qui ne comportait ni point, ni virgule. Elle s’est montrée perplexe, ne sachant quelle décision prendre.
“Qu’a donc fait le tribunal?”, demanda Kissinger. Et Khroutchev de répondre: “Vous restez parmi nous durant trois jours et je vous dirai ce qu’a fait la Cour criminelle”. Et Kissinger d’ajouter: “Les trois jours se sont écoulés et je suis retourné à Washington sans connaître la fin de l’histoire”.

***
Les détails sont importants. Parce que le retrait israélien s’est opéré d’après ce qu’ont imaginé les personnes à la vue futuriste et de bonne intention, sans pertes valables, il doit ramener l’Etat au Sud, comme il a ramené le Sud à l’Etat libanais.
Le Sud est le sud du Liban. C’est-à-dire qu’il y existe ce qui est bon et mauvais. Le Liban de la civilisation, de la culture et du patrimoine de l’homme est, malheureusement, le Liban de la non-rencontre entre le frère et son frère. Pourquoi ne serait-il pas, aujourd’hui, la rencontre des frères dans la citoyenneté et la patrie?
Ceci est demandé au Sud et dans tout le Liban. N’avons-nous pas encore compris que la leçon a été chère pour nous, depuis Marj Dabek à Alep, jusqu’à la fin de l’émirat, aux deux caïmacamats, au moutassarifiat, au “Grand Liban”, au mandat, à l’Indépendance, aux deux revers en 1958 et 1973? Oui, le temps est venu pour nous de comprendre: de cette brèche et de cette “mauvaise frontière”, ils parvenaient toujours à s’infiltrer parmi nous. L’heure de nos retrouvailles à tous n’est-elle pas venue, l’heure de crier contre tous à l’unanimité des voix. “Ça suffit!”.
Les détails sont importants, comme est également importante la sécurité du citoyen. Aussi importants sont les propos sur les frontières, de la Méditerranée jusqu’à Hemmeh, comme dans l’accord Pollet-Newcombe en 1923. Avec l’accord des deux colonels, “l’accord de 1923” a été rédigé. Et avec leur accord ont été tracées les frontières d’un village à l’autre, d’un sommet à l’autre et d’un vallon à un autre vallon.
Cet accord conclu après l’accord Sykes-Picot également franco-britannique, avait servi de tracé frontalier entre le Liban et Israël dans la convention d’armistice de 1949. C’est l’accord adopté par les Nations-Unies en 1978 dans l’élaboration de la résolution 425 exigeant le retrait israélien inconditionnel du Sud qui était occupé, à la suite de l’opération du Litani, l’effet de “l’accord de 1923” étant toujours dans l’intérêt libanais. Même s’il a été rédigé avec l’encre de l’intérêt commun entre Londres et Paris. Il reste que l’Etat libanais connaît ses frontières internationales... Les frontières du Liban du 1er septembre 1920, ces frontières étant celles de Fakhreddine.
Ceux qui ont lu le contenu de cet accord, celui de 1923, ont été surpris, car il comporte des choses dont j’ignore jusqu’à quel point elles sont connues, tel le fait de stipuler que les Libanais et les Syriens, à l’instar des Palestiniens, ont le droit de pêcher et de naviguer dans le lac de Houlé, le lac de Tibériade et jusqu’au fleuve du Jourdain. Quelle est l’opinion du négociateur israélien en cela, le document - l’accord de 1923 - ayant été découvert par un juif spécialiste en géographie dans les archives de la Société des nations à Genève?
Quel document adopter dans le tracé des frontières, pour parvenir à la paix? Un document doit être adopté somme toute, sinon que les cartes se multiplient et que les études prennent leur temps. Mais l’important, même si les détails sont importants, est qu’il n’est pas permis pour le processus de paix de s’arrêter, comme il n’est pas permis de dévier de la légalité internationale. Mais de qui demander cela: du Liban et de la Syrie? Le Liban ne vit que sur et par la légalité. La légalité nationale, régionale et internationale. Et la Syrie excelle dans la manière de traiter avec la légalité internationale, comme elle fut un joueur habile dans le jeu des nations.
N’a-t-on pas eu la preuve irréfragable en 1976 lors de son entrée au Liban? La légalité libanaise l’a réclamée et, avec elle, les gens dont certains ont changé leur opinion par la suite, la légalité arabe ayant approuvé, alors que la légalité internationale a patronné avec la mentalité des véritables décideurs. De qui demander cela? De ceux qui se sont toujours conformés aux résolutions de la communauté internationale? Ou l’exige-t-on d’Israël qui, peut-être, changerait de ton et de comportement une fois admis au sein de l’Europe à l’instar de ce qu’attend l’Etat hébreux de l’Etat palestinien une fois constitué en septembre 2000.
Ceci est l’important. La Cisjordanie ne doit pas entrer dans le jeu des compromis, ni le Golan, ni le Liban-Sud, y compris Chébaa, fermes et vallons. Le temps de la quiétude n’est-il pas encore venu de supplanter l’inquiétude et le temps de la clarté pour supplanter la brume et le plus important, le temps des cœurs sages, à la place des raisons dont les cœurs se jouent de leurs finalités?
En Israël, sont proférées, des fois, des paroles sages, en dépit de la tension qui en caractérise le ton, dont l’Etat hébreu n’a pu encore s’affranchir, ces  paroles sages disent que la sécurité du Nord, le sien, n’est pas menacée, du moment que les victorieux par le retrait israélien, ont appelé les habitants à récupérer leur terre et leur maison; ce qui reste de cette maison. Si dans leur esprit les victorieux, les paroles étant israéliennes, nourrissaient des intentions guerrières, ils n’auraient pas ramené les civils à la terre. 
Nul ne peut imaginer cela. Les gouvernants de ce temps ont eu la chance d’avoir observé le retrait du Sud. Combien de gouvernants du Liban auraient-ils souhaité cela! De cheikh Béchara el-Khoury à Elias Hraoui, jusqu’à Emile Lahoud. Elias Sarkis, combien ils l’ont mal jugé. Elias Sarkis préparait l’Armée pour l’envoyer au Sud. Naturellement, parce que Elias Sarkis était versé dans le timing, comme Charles Hélou est passé maître dans l’histoire du timing et la manière d’éviter les périls. Elias Sarkis savait que l’heure n’était pas venue, mais il savait, spécialement, qu’elle viendrait. C’est pourquoi il préparait l’Armée.
Aujourd’hui, l’Armée en parfaite disponibilité, peut être déployée au Sud ou pas. Cette question est du ressort de l’Etat. Mais ce qui concerne les gens est demandé de l’Etat. Que l’Etat soit présent au Sud avec tout son prestige. L’Etat n’est ni un gendarme, ni un assistant social. L’Etat est un droit qui se donne et se prend. Ainsi, les gens deviennent égaux dans les droits et les obligations vis-à-vis de la loi. 

Photo Melhem Karam

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