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DANS L’INCERTITUDE...
Le maître à penser n’est plus. Le moment est venu pour les responsables politiques au Liban de penser par eux-mêmes, de se tracer une ligne de conduite tenant compte, objectivement, des données propres au pays et à la situation régionale. Il ne s’agit pas, comme certains sont pressés de le réclamer, de se libérer de la présence syrienne, mais d’avoir un rôle dans l’analyse des situations et d’assumer ses responsabilités de partenaire adulte dans la définition d’une politique de coopération et de solidarité libano-syrienne.
Il n’y a qu’à parcourir les nombreux commentaires de la presse étrangère depuis la disparition de Hafez Assad, pour prendre la mesure de l’image que nous donnons au monde d’un pays sous tutelle, dont la classe politique est systématiquement manipulée, placée à la remorque d’un pouvoir extérieur, uniquement préoccupée de bénéficier des faveurs de ce pouvoir. Tout en faisant la part de la malveillance qui inspire souvent ces commentaires, il faut admettre que le comportement de notre personnel politique donne prise à toutes les accusations d’incohérence, d’incompétence et de suivisme.
Rien ne l’illustre mieux ces dernières semaines que les variations dans la position gouvernementale face à l’annonce; puis, à l’exécution du retrait israélien du Liban-Sud. On n’avait su ni prévoir l’événement, ni analyser ses véritables motivations, ni ses conséquences. On s’est contenté de courir au secours de la victoire et de se livrer à des surenchères triomphalistes. Si cela s’est déroulé dans l’ordre, ce fut surtout grâce à l’intelligence des dirigeants du Hezbollah pas aux précautions prises par le gouvernement.
Il aura fallu, ensuite, beaucoup de temps pour tenir toutes les ficelles et pour faire face à M. Kofi Annan qui devient subitement très pressé de tourner la page. Qu’est-ce donc qui le bouscule? Après 22 ans d’inaction, il ne peut plus se donner 24 heures pour vérifier les positions aux frontières.

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Il faudra maintenant reconsidérer l’échiquier en étroite coopération avec le nouveau pouvoir à Damas. Avoir des idées et tenir un rôle.
Damas a besoin de l’appui du Liban. Et le Liban a besoin de la compréhension de Damas. Nous affrontons ensemble deux problèmes: le processus de paix avec Israël et la consolidation du front intérieur au Liban, comme en Syrie d’ailleurs.
Le processus de paix ne pourra pas être mené à son terme si les assises du pouvoir dans les deux pays ne sont pas stables. A tout bien considérer, les conditions de cette stabilité ne diffèrent pas tellement d’un pays à l’autre. Dans les deux cas, il s’agit, essentiellement, de trouver un équilibre entre les forces politiques et de promouvoir une participation populaire dans un climat de véritable liberté.
Pour ce qui concerne le Liban, la tâche ne paraît pas tellement difficile, car le pays possède une très ancienne tradition dans l’exercice des libertés politiques et économiques.
En Syrie, le problème est plus difficile, car la longue stabilité dont le Pouvoir a bénéficié jusqu’ici, n’a été bâtie que sur une pratique autoritaire extrêmement sévère. Pour sortir de ce système, pour le faire évoluer, il faudra beaucoup de prudence et de patience. Dans cette œuvre, Damas aura besoin de s’appuyer sur un Liban rassuré, paisible et loyal.
Il faudra donc travailler la main dans la main, mais pas dans cet esprit de suivisme aveugle qui a prévalu depuis dix ans. L’évolution nécessaire des relations libano-syriennes ne dépend pas seulement du bon vouloir du maître de Damas, mais, pour beaucoup de la capacité des dirigeants libanais à apporter une contribution active à l’analyse des situations et aux solutions.
Serait-ce devenu impossible?

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En écrivant cela, on éprouve l’impression de raisonner hors des réalités sordides d’un jeu politique livré aux intérêts de clan et aux intrigues. On redoute de céder à de bons sentiments face à un personnel politique habitué au cynisme et à l’irresponsabilité, incapable de concevoir une vision de l’avenir.
C’est ce genre de classe politique qui fait le lit d’une dictature impitoyable comme ce fut le cas si souvent en Syrie, ainsi que dans d’autres pays arabes, ou qui sème les germes d’une guerre civile comme les Libanais en ont connu. Ils peuvent encore s’en souvenir et en tirer la leçon.
La paix avec l’ennemi aux frontières ne peut se faire que si d’abord cette paix est assurée à l’intérieur, avec soi-même. Cela est vrai aussi bien pour la Syrie et le Liban que pour Israël lui-même où les luttes des partis fragilisent le gouvernement.
Tous les acteurs de ce scénario appelé processus de paix sont logés à la même enseigne: l’incertitude. 


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