AMBASSADEUR DE RUSSIE À BEYROUTH BORIS BOLOTINE:
“MOSCOU ASPIRE À RENFORCER DAVANTAGE SES RELATIONS
AVEC LE LIBAN ET LE MONDE ARABE DANS TOUS LES DOMAINES”

Né en 1950, M. Boris Bolotine, ambassadeur de Russie à Beyrouth, est entré dans la carrière diplomatique en 1972, après avoir terminé ses études à l’Institut d’Etat des relations internationales à Moscou; il parle l’arabe, le français et l’anglais.
Il a été en poste en Algérie jusqu’en 1976; puis, de 1979 à 1985, en Algérie de nouveau, avant d’assumer au Maroc, de 1990 à 1995 les charges de ministre-conseiller.
De 1995 à 1999, il a été chef de division, directeur-adjoint du Département du Proche-Orient et d’Afrique du nord au ministère russe des Affaires étrangères.
Fin diplomate ayant une vaste culture, il se dit très optimiste quant à l’avenir de la Russie sous la nouvelle direction qui s’est installée au Kremlin et s’attend que son pays joue un rôle plus efficace pour faire aboutir le processus de paix au Proche-Orient.

Venu au Liban pour la première fois, l’image qu’il se faisait de notre pays - de la beauté de ses paysages, de ses sites historiques et du caractère des Libanais - n’a pas été démentie. “Je peux affirmer que je connaissais le Liban avant d’y venir et après quelques mois passés ici, je constate que ce qui m’en avait été dit était exact”.

Comment qualifiez-vous les relations établies entre la Russie, d’une part, le Liban et le monde arabe, d’autre part?
Les relations avec le Liban et le monde arabe, en général, tant à l’époque soviétique qu’avec la Russie, ont été toujours des rapports d’amitié. Il y a toute une tradition, de la sympathie mutuelle et des liens historiques, économiques et humains. Un nombre important de Russes (et de Soviétiques) ont séjourné dans le monde arabe et au Liban; également, bien des Libanais et des Arabes ont fait des études en Russie et y ont travaillé.
Géographiquement, nous sommes très proches et du point de vue politique, la Russie aspire à développer davantage ses relations avec le Liban et le monde arabe, en général; à mener une politique active et à développer les liens bilatéraux dans plusieurs domaines, économique, culturel, etc... Je peux dire que ce domaine de notre politique extérieure figure parmi les priorités de la nouvelle direction russe.

LA PHASE MILITAIRE EST TERMINÉE EN TCHÉTCHÉNIE
Où en est la guerre en Tchétchénie et une solution négociée avec Grozny n’est-elle pas possible?
En ce qui concerne la Tchétchénie, la phase militaire de l’opération est terminée. Quant au volet sécuritaire, il s’agit de liquider l’activité de petits groupes de mercenaires qui pour-suivent les actes de sabotage.
A cet égard, la direction de la Russie est pleine de volonté pour mener cette tâche jusqu’à son terme et en finir avec les bandits responsables des actes de terrorisme et de kidnapping. La solution du problème en Tchétchénie ne peut être que politique et les efforts du gouvernement, d’une part, visent à rétablir l’infrastructure, les conditions de vie normale pour la population et d’autre part, à trouver une solution politique à long terme pour assurer la paix et la stabilité dans cette région.
Quant au dialogue avec Grozny, vous savez qu’il n’y a pas de pouvoir central. Il y a des chefs de groupes responsables de crimes odieux, avec qui le dialogue est impossible. On est prêt à dialoguer avec des gens qui reconnaissent la Constitution. La solution politique doit être recherchée avec la Tchétchénie, bien sûr et on est prêt à dialoguer avec les vrais représentants du peuple tchétchène. J’espère que la nomination de l’ancien mufti de Tchétchénie Kodyrov en tant que chef de l’administration provisoire, contribuera à la solution politique. A long terme, il y aura des élections, mais on a besoin d’une période transitoire pour préparer le terrain propice à la consultation populaire.

Moscou donnerait-il le feu vert aux militaires russes, à qui on prête l’intention de bombarder les bases des terroristes en Afghanistan, au risque d’embraser l’Asie centrale?
Je trouve que la façon de poser cette question est un peu exagérée. Mais il est vrai qu’il existe un grave problème concernant l’existence de foyers de déstabilisation dans certaines régions de l’Afghanistan contrôlées par les Taliban. Il y a, aussi, la formation de mercenaires envoyés dans plusieurs régions de l’Asie centrale où ils s’adonnent au trafic de la drogue. Ce problème nous préoccupe avec les voisins de la Russie, les Républiques de l’Asie centrale. Dans ce contexte, il faudrait voir la situation, malheureusement ce qui se passe dans certaines régions de l’Afghanistan, les activités de forces contrôlées par les Taliban, menacent la sécurité régionale et les partenaires de la Russie au sein de la communauté des Etats indépendants.

QUID DE LA VISITE DE S.S. JEAN-PAUL II EN RUSSIE?
On parle d’une visite de S.S. Jean-Paul II en Russie. Mais le patriarche Alexis estime que le Souverain Pontife pourrait l’effectuer après le règlement des divergences opposant orthodoxes et catholiques. Quelle est la position de Moscou envers cette querelle religieuse?
Le gouvernement n’a pas à intervenir dans cette querelle. Ici, je voudrais préciser une chose: j’ai eu vent de cette visite dans la Presse, mais autant que je sache, la visite de S.S. Jean-Paul II actuellement n’est pas envisagée. Ensuite, l’Etat russe a des relations avec le Vatican. Nous avons un dialogue et nous sommes prêts à le poursuivre. Je ne pense pas, personnellement, qu’il s’agit de querelle et que l’objectif est d’en finir avec les différences théologiques entre les orthodoxes russes et les catholiques. Il s’agit, plutôt, de quelques questions pratiques non réglées entre l’Eglise orthodoxe et le Vatican. Il ne s’agit pas de questions théologiques mais, peut-être, d’une question de représentant. Il n’y a pas de querelle idéologique et chaque Eglise garde sa spécificité. Il y a quelques divergences et questions en suspens. De toute façon, on serait content si ces divergences étaient réglées.

Quels ont été les résultats du sommet Poutine-Clinton et de la visite que le nouveau maître du Kremlin a effectuée, dernièrement, en Italie et au Vatican?
On aurait besoin d’une interview spéciale au sujet de ce sommet qui a discuté tous les grands problèmes internationaux. Son ordre du jour était très chargé et les entretiens ont duré plusieurs heures. Les relations bilatérales dans tous les domaines: économique, culturel et scientifique, le problème des armements, de leur contrôle, ont été passés en revue, de même que la lutte contre les crimes organisés, la préparation du sommet du Millenium, le rôle de l’ONU et du Conseil de Sécurité, les conflits régionaux (Kosovo-Proche-Orient), les divergences dans le plus important volet des problèmes globaux. Il reste à être fixé sur les intentions des Etats-Unis de créer leur propre défense, le système de la défense antimissile. Précisons que la base de tous les accords dans le domaine de la limitation des armements nucléaires, reste le traité de 1972. La création de la défense nationale antimissile aux Etats-Unis bouleverserait toutes les données stratégiques. Cette question a été longuement discutée au cours du sommet. Nous proposons aux Américains de ne pas dénoncer le traité ABM et de travailler ensemble pour contrer la menace de la prolifération des armements stratégiques et les limiter.
Nous sommes prêts à entamer les discussions sur la conclusion du traité “Start 3”. Pour conclure, il est naturel qu’il y ait eu des divergences sur plusieurs questions au cours du sommet Clinton-Poutine, comme des points communs sur d’autres sujets.
Ce qui a été important, c’est que le dialogue sur l’actualité internationale continue.
Quant à l’Italie, nous nous féliciterions, si le différend entre l’Eglise orthodoxe russe et le Vatican était réglé. La visite en Italie était la première du président Poutine dans un pays d’Europe, l’Italie étant devenue un partenaire important de la Russie.
Le président Poutine a discuté plusieurs problèmes concernant la situation générale dans le monde, les relations Russie-U.E., Russie-Otan et de la volonté de réaliser des projets communs au niveau économique.

Le Congrès juif russe a accusé le Kremlin de s’ingérer dans les affaires de la communauté, suite aux pressions exercées sur le grand rabbin de Russie pour le contraindre à démissionner. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet?
J’ai suivi un peu l’actualité et j’ai constaté qu’il y avait des divergences au sein de la communauté lors de l’élection. Il y a eu aussi des luttes et l’élection du nouveau rabbin a fait des mécontents. Franchement, je ne pense pas que le Kremlin soit intervenu dans les affaires de la communauté juive.

RUSSIE-UKRAINE
Un conflit oppose la Russie à l’Ukraine, Moscou accusant Kiev “de lui voler, chaque mois 1.5 milliard de mètres cubes de gaz transitant sur le territoire ukrainien”. Où en est cette affaire et a-t-elle affecté les relations entre les deux pays?
Pour des raisons évidentes, la Russie attache une très grande importance aux relations avec l’Ukraine. Nous sommes voisins et avons des racines historiques communes. Les relations avec l’Ukraine sont une des premières priorités absolues de notre politique extérieure et nous sommes liés par de multiples liens.
Pour être clair, ce problème existe et il semble que le président ukrainien ait publiquement reconnu cet état de choses concernant l’utilisation illégale du gaz russe. Il a promis d’y remédier, bien sûr, tout en poursuivant le développement des relations avec l’Ukraine, la partie russe va poser des questions quand il s’agit de cas précis et réclamera toujours une solution à ce problème.

Qu’est-ce qui a changé depuis l’accession au Pouvoir de M. Poutine et quel avenir prévoyez-vous pour la Russie sous le nouveau régime?
L’avenir, je le vois avec optimisme. Des changements vont se produire avec la nouvelle direction jeune et dynamique. Le nouveau président jouit d’un soutien très large au sein du parlement et au niveau de la société, en général, ce qui assure la stabilité politique.
Nous sommes loin du temps des confrontations très aiguës et brutales entre le pouvoir et l’opposition. Maintenant, il y a, bien sûr, une opposition et des critiques, mais dans le cadre d’un dialogue. Poutine tient beaucoup à maintenir le dialogue avec les leaders des grands partis et toutes les fractions du parlement.
Le climat général a changé, le président ayant pris certaines mesures pour renforcer les structures de l’Etat et les consolider. On a eu, pendant les dernières années, des problèmes dus à l’affaiblissement de l’autorité, à cause du non-respect de lois et de la Constitution. Le président a proposé des projets pour consolider le verticale du pouvoir au niveau des régions et du centre. Auparavant, certaines régions de Russie adoptaient leur propre législation en contradiction avec la Constitution; c’est inacceptable.
Le président veut donc raffermir l’autorité de l’Etat et de la loi, en général; c’est l’un de ses objectifs primordiaux.
On relève de bons prémices de la relance économique pendant les premiers mois de cette année, la croissance industrielle ayant augmenté de 10%. Actuellement, on travaille à l’élaboration d’un programme détaillé sur la stratégie économique à long terme.
L’intention du président est de “débureaucratiser” le rôle de l’Etat, de poursuivre la marche vers l’économie de marché, en créant les conditions égales pour tous, afin d’en finir avec la pratique des privilèges illicites et de traiter tous les citoyens sur le même pied d’égalité.

Pourquoi la Russie, co-parrain du processus de paix, n’a-t-elle pas joué son rôle avec plus d’efficacité? Ne peut-elle pas entreprendre une médiation pour régler le conflit arabo-israélien?
Notre rôle aurait pu être plus efficace, mais peut-être que la période difficile que la Russie a traversée avec la transition vers l’économie de marché a influencé notre rôle. D’autre part, à mon avis, nous n’étions pas sollicités par les parties. De toute façon, la diplomatie russe reste toujours très active. Nous maintenons le contact avec toutes les parties et sommes prêts à intensifier nos efforts en vue de contribuer, d’une façon efficace, à la recherche d’une paix juste et globale au Proche-Orient sur la base de la conférence de Madrid.

A quels problèmes requérant des solutions urgentes, le gouvernement russe est-il actuellement confronté?
Nous avons déjà évoqué les principaux problèmes. Il s’agit de renforcer l’efficacité de l’Etat, assurer les conditions pour la relance économique et le respect de la loi, mener la lutte contre les phénomènes négatifs et les crimes organisés, améliorer les conditions de vie de la population. Le chômage n’étant pas très important.

LE DOSSIER IRAKIEN...
Moscou étant en faveur de la levée des sanctions imposées à l’Irak, pourquoi n’entreprendrait-elle pas une action destinée à les lever, d’autant qu’elle bénéficie de l’appui de la France et de la Chine?
La question est un peu incorrecte, parce que j’ai été le témoin l’année passée, pendant plusieurs mois, de consultations-marathon au Conseil de Sécurité autour des nouvelles résolutions sur l’Irak.
La question irakienne était dans l’impasse après les frappes américaines en décembre 98 et le contrôle international sur le potentiel interdit de l’Irak avait cessé d’exister. En 1999, des consultations sur des projets de nouvelles résolutions étaient engagées en vue de faire sortir la question irakienne de l’impasse.
La Russie, la Chine et la France, ont proposé un projet qui prévoyait le rétablissement du contrôle international sur le potentiel irakien interdit, la création, à cette fin, d’un nouvel organisme de contrôle et, en même temps, la levée des sanctions économiques. Mais les Britanniques et Hollandais ont proposé d’autres projets, ne prévoyant pas la levée des sanctions. Puis, un projet de résolution de compromis préconisait la création d’un nouvel organisme de contrôle pour l’Irak, avec la possibilité de lever l’embargo sous certaines conditions. La Russie s’est abstenue au moment du vote.

Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
Ma nomination au Liban (il sourit). J’ai été en mission en Algérie et au Maroc, j’en garde d’excellents souvenirs. Les souvenirs les plus récents remontent à ma nomination au Liban. Ce qui me revient à l’esprit, c’est le dossier de l’Irak, un dossier fascinant qui était au centre de l’actualité internationale. Au moment où j’étais à l’administration centrale, j’ai vécu des moments d’une activité diplomatique intense. Bien des crises, dont celle liée à la visite du palais présidentiel en Irak, en février 98, nous ont préoccupés. La diplomatie russe a contribué au dénouement heureux. Tout s’est terminé par la visite de Kofi Annan, qui a débouché sur la conclusion d’un mémorandum entre l’ONU et l’Irak.

JEANNE MASSAAD

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