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UN RÔLE MODESTE POUR M. ANNAN
Est-il possible d’imaginer que les Etats-Unis et Israël soient disposés à ramener le conflit de Palestine au sein de l’ONU? D’aucuns penseront que l’inattendu arrive toujours.
Souvenons-nous: jamais une résolution concernant la Palestine n’a été acceptée par Israël. Tous les gouvernements israéliens depuis 1949 ont systématiquement repoussé les interventions des Nations Unies. Ils n’ont jamais reconnu l’autorité de cette organisation. Ils ont toujours soutenu que même la création de l’Etat d’Israël ne résultait pas de la résolution initiale de l’ONU sur le partage de la Palestine, mais de la seule volonté du peuple juif. Cette position doctrinale a été poussée jusqu’à justifier l’assassinat (par l’Irgoun, l’organisation terroriste de M. Begin) du premier médiateur du Conseil de Sécurité, le comte Bernadotte.
L’unique résolution du Conseil de Sécurité exécutée par Israël, l’évacuation totale du Sinaï après l’agression de 1956 sur le Canal de Suez, ne l’a été que sur une injonction menaçante et publique du président Eisenhower à Ben Gourion. A l’époque, l’URSS pouvait encore montrer ses griffes et n’avait pas manqué de le faire.
Depuis, c’est à la seule médiation de l’Amérique qu’Israël consent de s’en remettre pour la recherche d’un règlement avec ses voisins. En Israël, c’est une constante: ne rien devoir à ce que l’on appelle “la communauté internationale”, ONU ou Europe. Si l’Amérique seule échappe à cet ostracisme, n’est-ce pas parce que sa politique peut être facilement manipulée par le lobby juif? “Je mettrais le feu à Washington”, menaçait il n’y a pas si longtemps M. Netanyahu. Et c’est alors qu’était entrée en scène Monica Lewinsky comme un lapin sorti du chapeau d’un prestidigitateur.

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Maintenant, en plaçant sa décision d’évacuer le Liban-Sud dans le cadre de la résolution onusienne 425 dont, pendant vingt-deux ans, il avait refusé de reconnaître l’existence, Israël a laissé croire que l’ONU pourrait jouer un rôle dans le processus de paix. M. Kofi Annan en est naturellement enchanté. Il a saisi l’occasion et s’est déclaré prêt à poursuivre en prenant, toutefois, la précaution de souligner la primauté des Etats-Unis. On ne sait jamais... Mais il est probable que M. Clinton, arrivé au bout de son rouleau, souhaite bien un coup de main du secrétariat général de l’ONU, sans contrôle.
M. Annan semble limiter son rôle à un simple accompagnement technique des pourparlers. C’est déjà quelque chose, une prudente ouverture où le gouvernement de Damas s’est opportunément glissé invitant le secrétaire général à fixer, comme il l’a fait au Liban-Sud, la ligne frontière syro-israélienne dans le Golan. Autrement dit, à déterminer clairement le cadre géographique de l’application de la résolution 242 de 1967. Car c’est bien sur cette question que les négociations syro-israéliennes sont bloquées depuis des mois.
Après de longues tergiversations, M. Ehud Barak avait fini par reconnaître que son prédécesseur, Itzhak Rabin, avait bel et bien accepté le principe d’un retrait total du Golan jusqu’à la ligne du 4 juin 1967. Puis, il s’est ravisé et a essayé de conserver la partie syrienne de la rive Nord-Est du Lac de Tibériade. En fait, donc, la mission que la Syrie propose à M. Annan ne peut aboutir à aucune révélation sur le tracé de la frontière, mais elle peut renforcer la position morale du négociateur syrien.
Encore faudra-t-il qu’Israël accorde aux représentants de l’ONU et à ses cartographes les mêmes facilités qu’ils ont trouvées au Liban-Sud. Mais ce précédent du Liban-Sud comporte un autre aspect tout à fait essentiel: l’obstination de l’armée israélienne à maintenir des postes d’observation et des patrouilles en territoire libanais. Les promesses répétées de M. Barak à M. Annan de faire cesser ces violations de la ligne fixée par l’ONU n’ont pas été tenues. La bonne volonté du gouvernement libanais a permis, cependant, à M. Annan d’atténuer les effets de ces violations et de relativiser leur importance. Et voici qu’il envoie sur place un représentant permanent pour surveiller cette “ligne bleue” en passe de devenir mobile.

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Serait-ce à ce genre de situation ambiguë qu’en priant M. Annan d’envoyer ses cartographes sur le terrain, M. Farouk Chareh pense aboutir sur la rive contestée du Lac de Tibériade? A la suite de quoi, les négociations de paix pourraient reprendre pour la plus grande joie de M. Clinton?
Si telles sont les intentions, on peut penser qu’il existe, désormais, un espoir de tourner la page de la guerre de 1967. Mais c’est là une très prudente spéculation dans un contexte politique très aléatoire, particulièrement en Israël même comme aux Etats-Unis, d’ailleurs, avec un mandat présidentiel en fin de parcours.
En tout cas, on peut déjà faire ce constat: de même que c’est à travers le Liban, qui n’y avait pas participé en 1967, que la guerre israélo-arabe s’est poursuivie, sous des formes différentes, pendant un quart de siècle; c’est aussi par le Liban que les ouvertures d’une véritable paix commencent à apparaître.
Chacun semble prêt à s’y engager tout en se livrant à de subtiles manœuvres. Les héros sont fatigués. 


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