LA CITADELLE DES ÉMIRS CHÉHAB À HASBAYA
L’ÉTAT VA-T-IL SE DÉCIDER À LA RESTAURER?

Située aux contreforts sud-ouest du Mont-Hermon, Hasbaya est une localité frontalière de Syrie et d’Israël, d’un grand pittoresque. Les sources du Hasbani y constituent un ravissant lieu de promenade et les oliveraies pallient quelque peu une économie paralysée, depuis un quart de siècle. Hasbaya recèle, surtout, un monument historique et archéologique de grande valeur: une imposante citadelle construite par les Croisés au XIIème siècle et devenue avec l’arrivée des Bani Chéhab à Wadi At-Taym un palais-sérail des émirs.


Du palais Chéhab, on a une très belle vue sur Hasbaya.

En arrivant à Hasbaya, on est immédiatement frappé par la beauté de cette citadelle et on ne peut s’empêcher d’émettre cette réflexion: Est-il possible que l’Etat ait pu négliger à ce point un tel monument et que les Libanais ignorent son existence?
Carla Chéhab, descendante de la lignée des émirs, a décidé de réagir et mène une campagne tout azimut braquant les feux de la rampe sur ce sérail des Chéhab, afin d’amener les responsables à engager au plus vite sa restauration et de faire connaître aux nouvelles générations l’une de nos valeurs architecturales et historiques.
Dans les années soixante-dix, grâce aux efforts de feu l’émir Maurice Chéhab, alors directeur des Antiquités, un projet de restauration avait été entamé. La guerre qui a miné le pays depuis 1975, a tout bloqué. Le sérail offre, aujourd’hui, un aspect d’abandon et de désolation. Pourtant, telle que le dit Carla Chéhab, “son histoire est liée étroitement à celle de Wadi At-Taym qui a joué un rôle important dans la vie du Liban moderne”.

LA CITADELLE CONSTRUITE SUR DES VESTIGES ROMAINS
Les premiers aménagements fortifiés remontent au XIIème siècle et seraient l’œuvre des Croisés qui ont édifié, sur des vestiges romains, cette citadelle de Hasbaya, sur le modèle de leurs différentes constructions. On peut y voir les meurtrières, les puits profonds, les oubliettes, les murs à l’épaisseur impressionnante autant que les portes. Selon les historiens, cette forteresse dépendait, au plan administratif, de la baronnie de Saïda et, au plan militaire, du célèbre château de Beaufort. Mais les Croisés n’auront pas la chance de rester longtemps à Hasbaya, l’arrivée des Bani Chéhab dans la région ayant renversé les données. Issue de la grande tribu des Koreiches du Hidjaz, la tribu des Chéhab fera partie de l’armée islamique qui, sous les ordres du calife Omar, s’était emparée de Damas en 633. Elle s’installa dans le Hauran et s’y trouvait encore en 1170, 71 ans environ après la fondation du royaume de Jérusalem, à l’époque où les Ayoubites, à leur tête Salaheddine (Saladin), allaient disputer au sultan d’Alep l’hégémonie sur la Syrie. Voulant rester neutre dans ce conflit, la tribu des Chéhab qui comptait à l’époque 15.000 hommes, décide de quitter le Hauran et se dirige vers le Liban pour dresser ses tentes dans la riche vallée connue sous le nom de Wadi At-Taym, zone qui était depuis 56 ans déjà aux mains des Francs.
De violentes batailles célèbres s’en suivirent entre les Bani Chéhab, et les Francs établis à Hasbaya et secourus par la garnison du château de Beaufort. La ville tomba aux mains de Chéhab et sa citadelle connue le même sort en 1173. Les neuf cents Croisés qui en composaient la garnison, furent assassinés, selon les chroniqueurs et leurs têtes envoyées à Damas au sultan Noureddine. Telle fut l’origine de l’établissement des Chéhab dans Wadi At-Taym. Quelques siècles plus tard, ils devaient gouverner le Liban pendant près de 150 ans.
 
Vue d’ensemble de la citadelle 
des émirs Chéhab à Hasbaya.

Très belle cour du troisième étage
 construite avec des pierres 
de l’époque romaine et croisée.

UN SÉRAIL DANS LE PLUS PUR STYLE CHÉHABISTE
De forteresse croisée, la citadelle de Hasbaya devint, au fil des siècles, un sérail imposant construit dans le pur style des palais chéhabistes. On y retrouve, notamment, au niveau du troisième étage (les deux premiers étant l’œuvre des Francs), les voûtes, les arcades, de vastes salons ornés et décorés de marbre, des mosaïques, des fontaines au milieu des diwans et des inscriptions coraniques ou autres. Le diwan de l’émir Saadeddine Chéhab est particulièrement frappant avec sa fontaine au jet d’eau, en marbre, ses voûtes et arcades finement décorées s’ouvrant sur un balcon de 1,5 mètre de large et 10 mètres de long, fait en bois massif. Sur le parterre en marbre, on relève une croix gammée indiquant l’origine romaine de la citadelle avant de devenir croisée; puis, chéhabiste. Certaines pierres qui ont servi à la construction du troisième étage, sont sculptées et on y voit la fleur de lis, symbole des rois de France.
La cour intérieure a une longueur de 50 mètres et une largeur de 20 mètres. Autrefois, à la belle époque du pouvoir des Chéhab, de nombreuses manifestations culturelles et sociales s’y déroulaient.
Vue de l’extérieur, la citadelle a une structure rectangulaire comparable aux forteresses de la Renaissance italienne. Sa masse est imposante avec des murs s’élevant jusqu’à 16 mètres et un pourtour de 220 mètres. Des quatre tours de l’époque des Croisés, il n’en subsiste qu’une, celle du Sud-Ouest, d’où on a une vue panoramique sur Hasbaya et sa région.
A l’entrée du sérail, un immense portail porte le blason des Chéhab. Quant à la porte en bois qui commande une deuxième entrée, elle est réellement impressionnante avec ses quatre mètres de large et trois de haut; c’est une œuvre architecturale rare.
La grande place extérieure ou Midane servait, autrefois, à de nombreuses compétitions sportives et jeux équestres.
 

Splendide porte d’entrée d’origine 
avec les deux lions, emblème des Chéhab.

On retrouve l’influence Mamelouk 
et ottomane dans cette salle 
du troisième étage aussi.

SA RESTAURATION, UN IMPÉRATIF
Le sérail de Hasbaya recèle à l’intérieur de ses murs une tranche importante de la vie du Liban moderne. Avec les Maan, les Chéhab et leurs alliés ont placé les fondements de l’Etat libanais. Les princes Chéhab ont gouverné le pays durant près de 150 ans de 1697, après la mort d’Ahmed Maan jusqu’au milieu du XIXème siècle. D’où l’importance historique de Wadi At-Taym, de Hasbaya et de sa citadelle qui furent la principale résidence des Chéhab.
Aujourd’hui, les actes de propriété du sérail sont entre les mains d’une cinquantaine d’émirs Chéhab, descendants de la branche de Hasbaya demeurée sunnite. D’autres Chéhab s’étaient convertis au christianisme et sont devenus maronites depuis l’émir Bachir II le Grand. L’harmonie a toujours régné et continue de l’être jusqu’à l’heure, entre les différentes branches qui forment, après tout, une même famille. Il en était de même autrefois entre les différents groupes communautaires du pays où la féodalité et le rang social jouaient un rôle prioritaire. Les conflits confessionnels sont plutôt l’apanage du Liban contemporain.
Au sérail de Hasbaya, parmi tous ceux qui ont des titres de propriété, un seul y réside en permanence avec sa famille: l’émir Moufid Chéhab. Il a le grand mérite d’avoir préservé ce monument historique tout au long des années de guerre qui ont miné le pays depuis 1975. Il s’est opposé avec beaucoup de tact et de savoir-faire aux différents groupes armés qui se sont déployés dans la région et voulaient utiliser le sérail comme bastion militaire. Il a mis de côté chaque pierre qui s’écroulait du fait des événements ou des intempéries, en prévision d’une restauration selon les normes archéologiques adéquates. Aujourd’hui, il accueille les visiteurs avec une grande hospitalité digne d’un émir.
Maintenant que le Sud et la Békaa-ouest ont été libérés, il est grand temps que l’Etat se préoccupe de la citadelle de Hasbaya et entame au plus vite sa restauration. D’autant plus que l‘érosion du temps peut lui être fatale. L’hiver, l’eau envahit les étages inférieurs, augmentant chaque année les destructions, les plantes ayant poussé dans les coins abandonnés au risque d’ébranler jusqu’aux fondations.
Remaniée pendant près de huit siècles, au gré des modes, la citadelle de Hasbaya a besoin d’une étude architecturale et archéologique approfondie et les responsables du Service des Antiquités devraient, dès à présent, entamer les procédures nécessaires pour sa restauration. Nul n’a le droit d’abandonner un monument d’une telle valeur historique et archéologique.

NELLY HELOU

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