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UNE “DÉMOCRATIE” STRICTEMENT CADRÉE
'La proximité des élections législatives nous est rappelée par la multiplication quotidienne des portraits des candidats sur les murs de la ville. En dehors de ces messages muets, nous ne savons rien. Qui est avec qui et pour quoi faire, personne n’a encore pris la peine de nous le dire.
Quel est l’enjeu de ces élections? Elles sont censées changer quoi à quoi? Non seulement on ne nous le dit pas, mais nous ne sommes même pas en situation de le deviner. En fait, elles n’ont pas d’enjeu et nul ne s’en soucie.
Il n’en fut pas toujours ainsi. Un rappel historique ne serait pas, à cet égard, inutile.

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Les précédentes élections législatives au Liban se sont généralement déroulées sur fond d’un thème par rapport auquel les forces politiques s’orientaient.
C’est ainsi que le scrutin de 1943 préparait l’indépendance nationale. Celui de 1947 (“le 25 mai” de triste mémoire) était destiné à rendre possible le renouvellement du mandat du président Béchara el-Khoury deux ans plus tard. Cela ne veut pas dire que l’électeur était appelé à se prononcer sur un programme; on restait dans le système du “non-dit”. Mais tout le monde savait quel était l’enjeu.
Le scrutin de 1951 devait effacer le souvenir de celui du “25 mai”: il était organisé sous l’égide d’un gouvernement neutre d’honnêtes hommes. Il ne s’agissait que de rétablir la régularité du processus démocratique tellement mis à mal quatre ans plus tôt. Et ce scrutin s’était déroulé d’une manière correcte à la satisfaction de tous les protagonistes. C’est le parlement issu de ce scrutin qui, en 1952, s’est retourné contre le chef de l’Etat et l’a forcé à démissionner.
Cette victoire de l’opposition devait être confirmée par l’élection, en 1953, d’un parlement croupion résultat d’une prétendue réforme électorale largement contestée. Mais déjà le thème de la consultation avait pour objet une politique occidentale qui divisait le monde arabe. Le scrutin suivant (1957) est venu clairement traduire et accentuer cette division à l’intérieur même du Liban. L’insurrection de 1958 en a été la conséquence, suivie de l’élection du général Fouad Chéhab à la présidence de la République et le retour à une politique de neutralité libanaise entre les deux tendances arabes de l’époque. En somme, le retour au “pacte national” de 1943.
Les élections de 1961 ont consolidé la nouvelle orientation de la politique libanaise, grâce à la formation d’une forte majorité parlementaire fidèle à la présidence chéhabiste. De là était né le soupçon d’une opération visant au renouvellement du mandat présidentiel à l’échéance de 1964. Il n’en fut rien, mais la majorité chéhabiste a pu alors porter au pouvoir l’un des siens censé continuer dans la même voie de modernisation de l’Etat et de neutralité régionale. Mais à partir de 1967 et de l’arrivée massive au Liban de “fedayine” palestiniens et de l’exploitation qui en a été faite par la diplomatie américaine, le jeu politique fut de nouveau bouleversé pour aboutir, en 1970, à l’échec de la majorité chéhabiste qui espérait renouveler l’opération présidentielle de 1964.
A partir de là, le Liban entrait dans la phase des troubles qui, sur fond de contestation de l’action palestinienne au Liban, devait conduire aux affrontements de 1973 et de 1975 et bientôt à une véritable guerre civile ouverte à toutes sortes d’ingérences régionales.
Il aura fallu attendre l’accord de Taëf pour retrouver en 1992 et 1996, une nouvelle vie parlementaire sur base d’élections législatives strictement cadrées, cette fois, pour en écarter le jeu des puissances régionales qui en avaient si souvent, dans le passé, faussé le sens.
Désormais, le seul cadre du processus électoral se définit par la politique de “solidarité et de fraternité” avec la Syrie. Pour notre paix intérieure, il nous est interdit de regarder ailleurs.

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A la lumière de ce résumé d’une histoire compliquée, on comprendra peut-être pourquoi l’échéance électorale cette année suscite si peu d’intérêt, pour ne pas parler d’enthousiasme.
Les protagonistes sont nus. La compétition n’oppose plus que des intérêts individuels. Au-delà, il n’y a plus rien. Ni orientation de politique étrangère (puisque le cadre de la solidarité avec la Syrie est le seul acceptable), ni orientation socio-économique (pour la même raison).
L’électeur n’a plus à se positionner par rapport à un jeu de puissances, dont le Liban a été si souvent victime. Il doit limiter son choix aux qualités personnelles des candidats et aux relations de famille et de clan.
A tout prendre et étant donné les expériences tragiques du passé, c’est peut-être mieux ainsi. Les élections ne sont plus qu’un rituel formel d’un système de démocratie de façade, sans contenu réel, ni perspective. Cela équivaut à une sorte de démission nationale. Certes. Mais nous n’avons que ce que nous avons mérité. En tous cas, hors des fanfaronnades de certains nostalgiques du passé, on ne voit pas hélas! où sont les forces politiques qui pourraient prétendre, aujourd’hui, offrir une plate-forme à une orientation nationale au-dessus de tout soupçon. 


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