Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
ESPRIT ES-TU LÀ?
Que les nostalgiques se rassurent: il est là et bien là. Jadis, on l’appelait “la dactylo”. Aujourd’hui, on parle des “forces occultes”. Pourquoi “dactylo”? Probablement, parce qu’une impression à la machine est garante d’un certain anonymat. Et pourquoi “forces occultes”? Parce qu’“occulte” signifie une action mystérieuse, un fait qui échappe à toute explication rationnelle. A moins qu’il ne faille croire que chacun de nos dirigeants est doublé d’une madame Soleil et, qu’au nouveau siège du Conseil des ministres, on fait tourner les tables.
Les plus imaginatifs se demandent, quant à eux, si d’un coup de baguette magique une fée, genre Carabosse, ne nous a pas transportés en Ecosse, dans un de ces vieux châteaux hantés, peuplés de corridors obscurs, de portes secrètes, de serrures qui grincent et de fantômes; ou bien sur les bords du Loch Ness où se tient tapi un monstre particulièrement actif, surtout quand il est environné de brume.
Et de la brume, il y en a de quoi former une véritable nébuleuse dans l’affaire de l’ex-président de la République, Amine Gemayel. Il ne s’agit pas, ici, de défendre l’ex-chef de l’Etat, ni de prendre son parti, ni de nous ranger à ses côtés. La question est de savoir qui, en réalité, gouverne ce pays, qu’en est-il de “l’Etat des institutions” et si le Conseil des ministres n’est là que pour servir de couverture  à ces “forces occultes” qui s’activent dans toutes les directions.
Plus personne n’ignore l’histoire de l’invitation syrienne adressée au président Gemayel pour assister à Qordaha, au quarantième du président Hafez Assad. Plus personne n’ignore qu’il en a été empêché par le secrétaire général des Affaires étrangères, M. Zouheir Hamdane qui, par l’intermédiaire de notre ambassadeur en France, M. Raymond Baaklini, lui a conseillé de ne pas se rendre au Liban. Prétexte invoqué: l’invitation est une “erreur du protocole syrien”.
Stupeur générale! Jusqu’à présent, nous avions été habitués à ce que la Syrie parle en notre nom et “rectifie” nos “erreurs”; depuis quand le vent de l’Histoire a fait un demi-tour aussi spectaculaire pour qu’un fonctionnaire libanais se bombarde, de sa propre autorité, porte-parole officiel de la présidence syrienne? Et cette “erreur du protocole syrien”, comment se fait-il que les services de la présidence syrienne n’aient pas chargé l’ambassadeur syrien en France, M. Elias Nejmé d’en faire part au président Gemayel?
L’affaire étant parvenue (j’allais dire par hasard) aux oreilles du Premier ministre, M. Hoss est tombé des nues, a nié toute implication du gouvernement et a déclaré, presque la larme à l’œil, qu’il avait exigé l’ouverture d’une enquête. Quelle enquête? Il est amplement prouvé que c’est M. Hamdane qui a donné l’ordre. La question donc serait de savoir qui a ordonné à Zouheir Hamdane de donner cet ordre. Ce n’est vraiment pas sorcier.
D’ores et déjà, on peut éliminer la présidence de la République, le président Lahoud ayant assuré que rien, ni personne ne peut empêcher le président Gemayel de rentrer au Liban. A éliminer, également, la présidence de la Chambre et les députés qui, à tour de rôle - surtout Nassib Lahoud, Boutros Harb et Walid Joumblatt - ont poussé des clameurs indignées, ainsi d’ailleurs que le ministre de la Justice, Joseph Chaoul, qui a indiqué, outré, qu’il n’existe pas la moindre accusation, ni la moindre poursuite contre l’ex-chef de l’Etat et que ce genre de pratiques était intolérable et inacceptable.
Quant au président Hoss, qui feint d’ignorer le faux-pas de ces services (en sa qualité de ministre des Affaires étrangères), il poursuit toujours son enquête à grands coups d’“esprit es-tu là”, sourd, semble-t-il, au bruit des portes qui claquent et du grincement des chaînes dans ce décor fantomatique.
Pour couronner le tout, les Syriens, manifestement excédés, auraient fait savoir par la bouche d’un de leurs hauts fonctionnaires, qu’il ne s’agit nullement d’une “erreur de protocole”, ni d’une erreur tout court; que l’incident est purement libanais et que, de toute façon, “toute tentative d’impliquer Damas dans cette affaire est vouée à l’échec, la Syrie tenant à entretenir de bonnes relations avec toutes les parties”. Et pan dans les gencives! Est-ce qu’un fantôme aurait des gencives, par hasard? On n’en sait rien. Ce que l’on sait, par contre, c’est que le bon Dr Hoss, lui, cherche toujours...
Reste à dire que ce genre de mésaventures, dû aux services parallèles, nous est tombé dessus dans les années 60. On sait quelles en furent les conséquences. Ne faut-il pas en tirer la leçon? Et l’adage libanais ne dit-il pas: “Celui qui essaye ce qui a déjà été essayé a l’esprit dérangé?” 

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