JEU VISANT À
LIMITER L’AMBITION
L’Amérique
est habituée à ce grand jeu. Ou la sortie de Camp David avec
un accord palestino-israélien. Ou le chaos. Il en a été
toujours ainsi. Ou la solution américaine ou l’anarchie. Le Liban
a refusé quelque chose de cela en 1982, le jour où l’espoir
persistait d’élire le chef de l’Etat dans le délai légal.
Avant le 23 septembre, date de la passation des pouvoirs depuis l’élection
de Camille Chamoun, président de la République le 23 septembre
1952. Béchara el-Khoury avait démissionné le 18 septembre.
Ahmed el-Assaad, alors président de la Chambre, avait fixé
les élections présidentielles au 23 septembre, parce que
la Constitution libanaise lui accordait une semaine pour donner au pays
un chef d’Etat.
Ou Mikhaël Daher ou le chaos, avait dit
Murphy. Ce ne fut pas Mikhaël Daher et il y a eu le chaos. Pourtant,
l’ancien Murphy, celui de 1958, était lié, ce jour-là,
à l’ordre, non à l’anarchie. Camille Chamoun étant
président de la République, les événements
de 1958 ont divisé le pays en deux parties, comme s’il s’agissait
d’une suite de ce qui s’était passé en 1841, en 1842; puis,
en 1860.
Bien que la “Moutassarrifiat” avait unifié
les antagonistes, ils n’en restaient pas moins des frères ennemis.
Ce qui s’est produit en 1920 en est une preuve et ce qui s’est passé
en 1926. Tout cela n’était pas annonciateur de l’esprit, mais préparait
les événements de 1958. Comme si les jours de l’unité
des Libanais... non ceux de leur division... sont les jours de l’exception
éclatante. Le calme qui s’est produit après 1958 parut comme
un temps passager, car 1973 a rouvert l’enfer libanais... Et cet enfer
libanais demeure ouvert jusqu’à ce jour, son feu n’étant
pas éteint par les bonnes intentions, ni même par les grandes
crises qui prennent fin par les grands jours. De l’indépendance,
à “ni vainqueur ni vaincu”, après 1958, à Cana et
jusqu’à la libération.
Et l’ancien Murphy s’en va informer Camille Chamoun
- ce qu’il savait, naturellement - qu’il était venu, alors que la
flotte américaine ayant mouillé ce jour-là, chez nous,
était obsédée par Bagdad après le putsch de
14 juillet, celui d’Abdel-Karim Kassem contre la famille régnante.
Il s’est rendu auprès de lui pour l’informer que lui et non la flotte,
était venu au Liban, pour assurer, à l’ombre de l’anarchie
et pour en sortir, l’élection d’un président de la République.
Murphy a continué son va-et-vient jusqu’à ce que Chamoun
accepta ce qu’il avait compris depuis longtemps. A savoir, que le temps
est pour l’élection d’un nouveau président, non pour le renouvellement
de son mandat. Ainsi, il avait contribué lui-même à
l’accession de Fouad Chéhab à la présidence de la
République.
Ou la solution américaine ou le chaos.
Les paroles sont les mêmes à Camp David II, Camp David longtemps
tiraillé entre un succès dont il n’a jamais perçu
les contours et l’échec dont les horizons sont noyés dans
le brouillard chaotique. Tel est Camp David 2000, quatorze jours après
son début et vingt ans après Camp David I... Ce jour-là,
au lendemain de la guerre du 6 octobre 73, le congrès de Genève
a échoué, siégeant sous une présidence commune
américaine et soviétique, représentée par Henry
Kissinger et André Gromyko.
Parce que Sadate qui avait choisi la politique
des “petits pas” a guerroyé le 6 octobre, en ayant dans sa vision
lointaine de faire naître une grande secousse ouvrant les yeux des
grands sur ce qui se passe dans cet Orient. Parce que les grands
sont les véritables négociateurs et les véritables
décideurs. Même s’ils disent qu’ils œuvrent avec toute leur
force en faveur de la solution et de la paix, mais sans prendre la place
des parties. Paroles destinées à sauver les apparences, pareilles
aux paroles des forts de ne pouvoir s’immiscer dans les “affaires intérieures”
des petits pays. Même, peut-être, dans les “républiques
bananières”.
La politique des “petits pas” a donné
de grands résultats. En Egypte et en Israël. L’Egypte l’a considérée
comme une sortie honorable, parce qu’elle a minimisé l’ampleur de
la crise économique. Israël y a vu l’accès à
une réconciliation avec le plus grand des Etats arabes. D’autant
que cela ne l’engageait en rien sur le plan du conflit palestino-israélien.
Comme si le temps devait s’arrêter à ce moment. Ou comme si
quiconque a franchi la porte de Brest Litowsk peut se voir exempt de ratifier
l’accord russo-allemand, l’accord final, en définitive. En conséquence
de cela, Israël affronte, aujourd’hui, la difficile vérité,
une vérité plus grande que le Sinaï, Taba, du pétrole
d’Abou-Rodeiss et d’Abou Dess lui-même, avec les petits faubourgs
qui l’entourent.
Les “petits pas” ont réussi, relativement.
Ils ont mis fin à l’état de guerre entre l’Egypte et Israël,
l’armée juive s’étant retirée à cinquante kilomètres
du canal de Suez. Le pétrole du Sinaï est revenu à l’Egypte
qui a ouvert de nouveau la voie de la navigation dans le Canal. Les Israéliens
y ont vu une preuve de l’éloignement de l’Egypte du désir
de guerroyer. Et Suez est une histoire importante pour la navigation internationale.
Combien Mohamed Ali a hésité avant d’autoriser le percement
du Canal! Et combien a-t-il imposé de conditions dures à
Ferdinand de Lesseps. Cependant, l’ambition et la vision des deux hommes,
quant au futur, ont porté de Lesseps à supporter ces conditions.
Aussi, a-t-il travaillé pendant dix ans au percement du Canal, de
1859 à 1869. Le Khédive Ismaïl accède au pouvoir
et la Grande-Bretagne devient en 1875 le grand actionnaire à Suez
et se confère l’autorité de contrôle jusqu’en 1954-1956.
La Grande-Bretagne y revient avec la France et Israël, mais dans une
guerre effective, cette fois, parce que Jamal Abdel-Nasser avait nationalisé
le Canal, après voir désespéré de traiter d’une
“manière honorable” avec l’Occident... Ce jour-là, l’Occident
a commis une erreur. Et cet Occident, lui-même voit jusqu’aujourd’hui,
dans la campagne de Suez, une action précipitée qu’on n’aurait
pas dû entreprendre, l’Occident français et britannique ayant
subi un revers face à la résistance de l’Egypte et sous une
pression soviético-américaine commune bénie par les
Nations Unies.
Camp David 1978 a été marqué
par les espoirs, ceux d’Anouar Sadate d’une façon particulière
qui a écrit dans ses “Mémoires”: “Nous devons trouver un
nouveau procédé de travail coupant la voie aux questions
de forme”. Avec cette mentalité fut sa visite en Israël, laquelle
était un spectacle nouveau pour cet Orient. Sadate l’a voulue ainsi,
dans l’espoir de produire l’impact souhaité... surtout auprès
de Menahem Begin.
Mais le leader du Likoud, même avec son
leadership qu’on a voulu charismatique, n’a pu sortir du durcissement juif.
Yitzhak Rabin a tenté de le faire et en a payé le prix de
sa vie, parce qu’il a établi une confiance avec Yasser Arafat. Ehud
Barak essaye cela, maintenant, mais reste loin d’une certaine confiance
avec le président palestinien. Pourtant, Barak souhaite ressembler
à Rabin. Et davantage à David Ben Gourion, comme le chancelier
allemand Helmut Kohl par rapport à Konrad Adenauer. Et comme beaucoup
d’autres, partisans ou adversaires, par rapport à de Gaulle.
Barak est allé à Camp David après
avoir perdu bien des cartes de sa main. Il a sacrifié “Meretz” afin
de bien tenir ses cartes. Il lui importait de signer la paix avec une plume
qu’il tremperait dans l’encre de la droite israélienne. La droite
de “Shass” et “Israël Be Alia”. En se rappelant que l’erreur de Rabin
est d’avoir signé “Oslo” avec une plume trempée dans l’encre
de la gauche... et dans l’encre des Arabes israéliens. Dans l’idée
d’écrire pour lui-même dans l’Histoire, ce que Ben Gourion
a écrit en 1948. Celui-ci a proclamé la naissance de l’Etat
et celui-là a consolidé l’Etat dans des traités de
paix conclus avec les Palestiniens.
Car il est vrai que le retour de Barak de Camp
David sans résultat, lui fait entrevoir une explosion de colère
et de mécontentement qui pourrait l’emporter, politiquement. Il
en est de même pour Arafat, l’explosion de colère lui faisant
payer un prix cher.
Donc, la solution américaine... ou le
chaos?
Les Palestiniens n’espèrent plus en rien,
comme ils le paraissaient depuis l’ouverture de Camp David et bien avant...
Même les sages parmi eux voient dans l’Etat palestinien, même
lui, un terre sans population, sans gens ayant foi dans la terre. Du moment
que les gens de la terre n’y retourneront pas, quelle valeur d’une “Jérusalem”
où les gens de l’espoir ne vivraient que dans ses petits faubourgs?
Et quelle valeur pour une cause dont les fils resteraient dans les terres
de la diaspora... en tant que fardeau sur la terre et ses habitants? Et
que nous servirait, à nous Libanais, si nous avons inscrit dans
le préambule de notre Constitution - la Constitution de Taëf
- le non à l’implantation? Sachant que les “non” de Menahem Begin
et de Ehud Barak se sont transformés maintes fois en “oui”. Celui
qui va aux négociations en durcissant sa position, adoucit beaucoup
sa position quand il s’assoit à la table des négociations.
Ce qu’un opposant refuse, avant d’entrer dans le cabinet du “Sultan”, devient
moins opposant et plus conciliant, lorsqu’il se trouve face à face
avec le sultan.
Ceux qui savent, doutaient beaucoup de l’acceptation,
par Israël, du retour des réfugiés. Cela signifie que,
du moment qu’ils ne retournent pas, l’implantation se réalisera
chez nous, en contrepartie d’un prix qui nous serait payé ou gratuitement,
sans que notre Etat soit responsable en quoi que ce soit de cela. Car la
décision acceptée et imposée même rejetée
de sa part, est plus grande que lui.
Comme si nous dépendions en permanence
de la sollicitude des Etats... donateurs ou non donateurs. Cela se produit
chez nous contre notre gré, même si cela nous cause du préjudice
et il ne nous reste, en définitive et encore, que les dommages-intérêts.
... Et d’un sommet à un sommet. Le Droit
et l’Homme restent les grands opprimés, tant par la technologie
que par la mondialisation toujours rebelle à s’humaniser. |
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