Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
PORTRAITS (DE) ROBOTS
Que ceux qui se posent des questions quant à leur avenir et à celui de leurs enfants se rassurent. Avec le raz-de-marée de candidats qui s’est abattu sur le pays, nous sommes bons pour l’émigration et peut-être bien - la chaleur aidant - pour la liquéfaction.
En attendant ces “lendemains qui chantent”, nous sommes invités, bon gré malgré, à jouer les voyeurs. Et ce que nous voyons, à notre corps défendant, à défaut d’élever l’esprit, soulève le cœur.
Des portraits, encore des portraits, toujours des portraits, à l’infini. Il y en a pour tous les goûts et les dégoûts. Des encore verts et des trop mûrs, des chenus et des grenus, des ventrus et des joufflus, des chauves et des chevelus, des barbus et des tordus, des tout-ronds et des pointus, des lippus et des repus...
Il y a aussi ceux qui se proclament “fils du peuple” (infortuné peuple affligé d’une telle progéniture), des “votre frère” (pas le mien en tout cas), des redresseurs de torts, des sauveteurs de l’économie, des champions de la souveraineté (laquelle?)... Sans oublier ce nouveau venu dont les portraits géants nous annoncent qu’il est “Le Prometteur”. Prometteur de quoi? Lui-même l’ignore. Eh! oui, ça promet tout ça! Il ne faut pas passer sous silence, non plus, ceux qui se proclament “candidats de l’Union nationale”. Cela signifie quoi au juste,  en l’occurrence, “union nationale”? Contrairement à ce que vous pourriez imaginer, cela ne signifie nullement le rassemblement de toutes les forces politiques du pays toutes tendances confondues, mais celui de gens qui, tout en se haïssant, obéissent aux mêmes mots d’ordre, font allégeance au même patron et se bousculent dans les mêmes antichambres.
Et tout ce beau monde caracole, farandole et se carambole sur nos murs, s’étale sur nos maisons, se vautre sur les façades de nos immeubles, hérisse nos clôtures, tapisse nos vitrines, cascade sur nos poteaux, se balance sur nos fils électriques, envahit notre capitale, submerge nos villes et nos villages et nous nargue du haut d’une bonne moitié des balcons du pays.
“ - C’est bien simple, m’a confié un boutiquier, il suffit de se baisser pour nouer ses lacets et l’on se retrouve avec un portrait collé sur le derrière”. Un étranger, de passage au Liban, s’est enquis intéressé: “ - Tiens, vous fêtez le carnaval en août?” Quant à ce correspondant de presse, il s’est exclamé, rebouclant précipitamment ses valises: “ - Je n’ai jamais vu, nulle part ailleurs, autant de criminels recherchés par la police”. Nous avons eu toutes les peines du monde à lui expliquer que ces “wanted”-là n’étaient wanted par personne, surtout pas par les électeurs.
Chez nos voisins, le Dr Bachar Assad a ordonné que ses portraits et ceux de son père soient décrochés, décollés, enlevés aussi bien en Syrie qu’au Liban. Le président Lahoud en avait fait de même au lendemain de son élection. Malheureusement, chez nous, les afficheurs sont moins obéissants que leurs collègues syriens et les portraits ont fait leur réapparition jusqu’aux murs des monuments publics et aux façades des immeubles fraîchement repeints. Et la cohorte des candidats s’est engouffrée dans la brèche!
Ces messieurs croient-ils vraiment que salir les murs, polluer la ville, enlaidir le paysage, massacrer l’environnement est un certificat de civisme qui doit leur valoir la gratitude émue et le vote enthousiaste de leurs concitoyens? Et ces concitoyens arriveront-ils à les persuader que leurs effigies (il s’agit des candidats évidemment) défigurent le pays comme, une fois élus, ils ne manqueront sans doute de le faire eux-mêmes au cours des quatre prochaines années?
Est-ce à dire qu’il vaut mieux bouder les urnes? Non. S’abstenir n’est pas une solution. Cela n’apprend quand même pas si l’abstentionniste exprime ainsi une opinion-sanction ou s’il se fiche carrément du sort de son pays. Il y aura toujours quelques candidats crédibles qui mériteraient qu’on leur sacrifie un bulletin de vote. Sinon, eh! bien, votez blanc, puisque de toutes façons, ces messieurs s’apprêtent à nous en faire voir de toutes les couleurs. 

Home
Home