LES MINUTES DE VÉRITÉ DU CRASH DU CONCORDE

Les boîtes noires, en réalité de couleur orange vif aussi grandes qu’une boîte à chaussures, le “Digital flight data recorder” et le “Cockpit voice recorder”, retrouvées dans le crash du vol 4590 du Concorde survenu le 25 juillet à 16h44 dans la commune de Gonesse en Val d’Oise, deux minutes après son décollage de l’aéroport Roissy-Charles-de Gaulle, ont commencé à livrer leurs secrets.


A Gonesse, marche silencieuse avec des roses à la mémoire des victimes.

Il est vrai que le rapport préliminaire de l’enquête ne sera publié qu’à la fin du mois d’août; que l’information judiciaire pourrait absorber quatre à six mois et qu’il reste à reconstituer les débris des 100.000 pièces du supersonique. Néanmoins, les boîtes noires ont parlé et la tour de contrôle a restitué les bribes d’une conversation tragique avec le commandant de bord annonçant, à la 56ème minute suivant l’autorisation de son décollage, la “panne du moteur numéro 2” et répondant, alors que la tour de contrôle lui signalait un incendie à l’arrière de l’appareil, qu’il n’était plus “en capacité de s’arrêter, compte tenu de la trop forte poussée nécessaire pour le décollage”, l’appareil pesant alors 185 tonnes dont 96 de kérosène et atteignant la vitesse de 300 km/h.
 

Le président Chirac se rendent à Gonesse.

Spectacle de désolation.

Le plus ancien des Concorde d’Air France qui n’avait que 12.000 heures de vol à son actif alors qu’il pouvait en entreprendre 80.000, mis en ligne le 23 octobre 1980, révisé le 21 juillet, objet d’une réparation technique (remplacement d’une pièce) une demi-heure auparavant, était déjà condamné avant de décoller. Mais la fatalité le poursuivait. Il n’a guère eu le temps de la défier en prenant de l’altitude, se libérer de son carburant et tenter un atterrissage forcé. Il a tenté néanmoins de se rabattre sur Le Bourget. En vain, il s’écrasait dans un spectaculaire brasier d’une centaine de mètres (sous le regard pétrifié de Jacques Chirac qui rentrait du G8 d’Okinawa), sur Gonesse pulvérisant l’hôtel Hôtellissimo, y déversant ses tonnes d’acier et ses passagers démembrés, mêlés désormais dans un horrible cauchemar aux morceaux de béton et à la ferraille. 100 passagers tués, 9 membres d’équipage et 5 personnes au sol. En tout, 114 victimes qui ont bouleversé l’Europe, font l’objet de plusieurs services religieux interconfessionnels en France comme en Allemagne qui déplorait la perte de 96 de ses ressortissants (dont 6 membres d’une même famille de Munich). 400 pompiers, 80 gendarmes et 110 policiers étaient dépêchés sur les lieux du crash le plus médiatisé de tous les accidents d’avion survenus à ce jour.


Ils pleurent leurs proches.

C’est que le Concorde construit, conjointement, par les Français et les Britanniques à la fin des années 60 (doté de moteurs Rolls-Royce), à la fine pointe de la technique et du luxe dont le premier vol d’essai date du 2 mars 1969 et le service commercial du 21 janvier 1976, n’avait jamais subi de crash en 25 ans d’existence. Composé d’une flotte de vingt appareils dont treize exploités à ce jour, il représentait le supersonique de rêve (fréquenté par le jet-set et les hommes d’affaires) qui parvenait à brûler l’espace Paris-New York en 3h45 minutes (alors qu’il faut 7 heures pour relier les deux métropoles). Comme le Titanic, toutes proportions gardées, il semblait invincible.
Non seulement, le Concorde affrété par l’agence de voyage Deilmann a brisé le rêve de ses passagers qui se proposaient d’embarquer à New York sur le paquebot “Deutschland” pour une croisière de luxe de deux semaines reliant la Floride, Cuba, le Mexique, le Panama et l’Equateur pour la somme de 15.000 dollars, mais il a englouti les illusions de ses gestionnaires qui lui donnaient encore une espérance de vie d’une quinzaine d’années et secoué les assureurs qui devront verser quelque 350 millions de dollars aux familles des victimes (2,4 millions de dollars par passager).
 

L’usine de fabrication des Concorde.

L’usine de fabrication des Concorde.

Les Américains qui l’avaient combattu pendant 21 mois dénonçant sa pollution bruyante (il dépasse la limite de deux fois la vitesse du son), avaient fini par lui ouvrir leur espace aérien le 22 novembre 1977. Aujourd’hui, leurs réserves reviennent sur la sellette. Entre 1979 et 1981, quatre incidents avaient cloué au sol à Washington comme à New York des Concorde d’Air France, victimes de l’éclatement de leurs pneus au décollage.
C’est ce même scénario, mais sans rémission, qui s’est renouvelé le 25 juillet sur la piste 26 de Roissy d’après les premières révélations des boîtes noires divulguées par le Bureau enquête-accidents (BEA). L’hypothèse qui prévaut, actuellement, est que les moteurs ne seraient pas à l’origine de l’incendie de l’appareil. C’est l’éclatement d’un ou de deux pneus (fabriqués par la firme américaine Goodyear) qui aurait entraîné “des dégâts sur la structure, un incendie et une panne de motorisation”. Hypothèse qui reste à vérifier, car les derniers éléments de l’enquête de la BEA renforcent la thèse du réservoir de carburant percé au décollage, d’une “fuite importante de kérosène” à l’origine des flammes, sans les lier nécessairement à l’éclatement des pneus. Ce qui est évident, c’est que les dysfonctionnements en série dont l’appareil a été victime, étaient liés.


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De nouvelles mesures de sécurité et de contrôle sur les vols Concorde (ceux d’Air France avaient été suspendus alors que ceux de la British Airways n’avaient pas tardé à reprendre) devraient bientôt entrer en vigueur. La catastrophe aurait été évitée de justesse dimanche dernier, lorsqu’un Concorde de British Airways reliant Londres à New York a été détourné à Terre-Neuve (Canada) en raison d’une odeur de carburant dans l’appareil. Auparavant, un autre Concorde de la Compagnie a été immobilisé en raison d’un problème dans le système de ravitaillement.
Des questions brûlantes se posent désormais: Le Concorde est-il en fin de course? Cédera-t-il la place à une nouvelle génération de supersoniques? A quand la construction d’un troisième aéroport (après Orly et Roissy) dans le bassin parisien? L’engorgement à Roissy a atteint ses limites: 44 millions de passagers, 700.000 mouvements par an, mettant en danger le tissu urbain environnant. L’idée d’un 3ème aéroport date de 1995. Plus que jamais à l’ordre du jour, elle pourrait donner lieu à une décision du ministre des Transports Jean-Claude Gayssot “avant la fin de l’été”.


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