Editorial



Par MELHEM KARAM 

“L’INFLUENCE” DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN

Parmi les propos les plus plaisants ayant été tenus à Camp David II, en prévision de Camp David III - ce que nous avons appris en dépit du mur de silence imposé au sommet - ceux échangés entre Ehud Barak et Yasser Arafat. Le Premier ministre israélien a dit à Abou-Ammar: “Vous agissez de manière à me rencontrer à l’avenir en tant que chef de l’opposition israélienne”. Et le chef de l’Autorité palestinienne de répondre: “Et vous, vous vous comportez d’une manière qui, si je l’avais acceptée, aurait provoqué mon assassinat. Vous dialogueriez, alors, à ce moment avec cheikh Ahmed Yassine.”
Il y a beaucoup de franchise dans les propos échangés. Car le dernier round des pourparlers portait les indices du round décisif. De la dernière chance? Non, c’était plutôt le round des paroles sérieuses qui engagent, bien qu’il s’agissait de paroles de ceux qui avaient peur des gens de leur bord. Parce qu’ils ne représentent pas peut-être les leurs d’une façon charismatique.
Bill Clinton a cru pouvoir, fin juillet, c’est-à-dire à six mois de la fin de son mandat, en imposer au nom de l’Amérique, les deux grands partis - démocrate et républicain - proclamant, en août, leur candidat à la présidence. 
Yasser Arafat se sentait en observateur observé au sein de la délégation de haut niveau qui l’accompagnait et tout aussi bien dans les manifestations organisées par “Hamas”, comme s’il s’agissait d’un retour à l’opposition par les pierres. Et les “pierres”, le lapidaire, sont un style dans les lettres et l’Histoire. Ainsi, Margaret Yourcenar a occupé, par la littérature des pierres, un siège à l’Académie française; elle y est entrée une seule fois, prenant place parmi les “quarante Immortels”, ainsi que leur a voulu le cardinal Richelieu. Ce sont des pierres; celles de “Hamas” en sont d’autres. Toutes deux rassemblant une énergie à combattre les injustices et, parfois, à réciter les histoires de la splendeur.
Ehud Barak, lui aussi, lui surtout, était observé par les religieux et les gens de droite, les néo-sionistes, comme le mentionne l’historien juif Ilan Pappé. Après que les premiers sionistes eurent la conviction que le temps est celui de l’établissement de relations de bon voisinage avec les Arabes. Ces paroles rappellent ce que disait Nahoum Goldman de l’inanité de l’existence israélienne sous la garde du fusil. 
Le Premier ministre japonais, lui aussi, dans l’autre sommet, celui d’Okinawa, a perdu la majorité parlementaire requise pour une coalition gouvernementale.
Arafat et Barak ont quitté Camp David sans résultat. Que s’est-il passé? Ils les ont acclamés, la violence étant la conséquence? La question est plus importante que cela. La violence aurait dépassé toute violence, si on était sorti de Camp David avec un résultat n’ayant pas satisfait la justice, ni les gens qui sont dans l’expectative. Le Mahatma Gandhi, imprégné de sainteté, a été assassiné pour moins que cela. Il a été tué pour avoir rendu visite à Mohamed Ali Jinnah. Le fanatisme l’a tué, comme il avait tué, auparavant, Boutros Boutros Ghali.
Car les têtes se réchauffent dans les heures délicates, la raison œuvrant avec moins d’efficacité, parce que les cœurs en ce moment, battent beaucoup plus fort. Les nerfs s’exacerbent. Toutes les paroles deviennent permises. Et puis, qu’est-ce qui changerait si Benjamin Netanyahu négociait avec cheikh Ahmed Yassine? Le jour où Abbas Farhat est tombé en Algérie,il avait menacé les Français du fait qu’ils seront contraints de négocier avec le “Front de libération”, c’est-à-dire avec Ben Bella, Boumédienne et les autres. Et ceux-ci ont négocié la paix avec la France. Nous disons cela, tout en étant conscient du fait que les deux questions diffèrent, surtout que l’homme ayant prononcé le mot de la fin, en 1962, s’appelait Charles de Gaulle. Si Netanyahu négociait avec cheikh Ahmed Yassine, la conséquence serait-elle pire que celle d’aujourd’hui? En cas d’accord, le tribut serait cher et dans le cas contraire, le tribut le serait encore plus.
L’histoire n’est pas celle de savoir qui négocie. Barak a laissé l’impression, face à Netanyahu, qu’il était l’homme du changement. Il a été, au contraire, l’homme de la routine et de l’indécision. Aussi, l’ont-ils classé parmi les néo-sionistes, beaucoup plus dangereux que les premiers sionistes.
Aujourd’hui, la bataille, comme le dit Ilan Pappé, l’historien émérite, se livre entre les post-sionistes et les néo-sionistes, une bataille dont la portée excède un règlement politique éphémère, appelé à tomber avec le premier coup de vent. La bataille est la vision de l’Histoire, d’abord et, ensuite, la vision de la réalité.
L’Histoire ce sont deux versions opposées et contradictoires. Et la paix véritable impose aux deux parties une approche de l’Histoire ayant pour base l’acceptation réciproque des réclamations fondamentales de l’autre. Non seulement qu’Aboudis, petite localité proche de Jérusalem, soit l’emplacement du parlement palestinien. Plus encore... L’Israélien le sait et ses sages le reconnaissent... la version palestinenne de l’Histoire ne devrait pas être considérée comme un formule portant les germes de la destruction d’Israël.
Ilan Pappé est sincère en cela et courageux, car le fait de fuir les responsabilités, de voir la réalité, entraîne les discussions sur les chemins de la perplexité. A son avis, et c’est ce que nous avons dit une fois, Israël porte la grande partie de la responsabilité dans le drame humain, effroyable et horrible... celui des réfugiés. Les Palestiniens sont, également, responsables. Les Britanniques et le président américain Harry Truman, davantage préoccupé par le renouvellement de son mandat, que par les histoires des camps transformés en refuges à l’intention de ceux qui ont été condamnés à l’errance en 1948.
C’est difficile de convaincre toute les parties de cela. Le plus difficile étant de convaincre les Israéliens qu’ils sont responsables. La fuite de la lourde responsabilité a entraîné vers le néo-sionisme, hostile aux Palestiniens et aux Arabes, spécialement les Arabes d’Israël.
C’est une question d’Histoire et d’une réalité provenant, de l’Histoire elle-même. C’est pourquoi, les Israéliens ont commis une double erreur: la première quand ils se sont déclarés en inimitié de l’Histoire; la seconde, qund ils ont fui la réalité. Ceux qui sont affranchis de cette réalité sont peu nombreux. Seuls les intellectuels... les autres faisant de la culture une risée de la vérité, de l’Histoire, une absurde moquerie.
De là, tout ce qui s’est passé à Camp David n’a pas réussi, en dépit du souhait des bienheureux et nul ne sait dans quelle mesure il réussira par la suite. Les juifs craignent la paix plus qu’ils n’appréhendent la guerre. Et pourquoi camoufler? Ils n’ont pas peur de la guerre. Aussi, de l’avis des gens de la raison israéliens, ont-ils joué un jeu qui n’a pas réussi à Camp David  laissant Yasser Arafat s’imaginer être le fondateur de l’Etat palestinien, le faisant s’imaginer président d’une Palestine sans fondements, ni piliers, voire sans “Palestine”. Ceci n’a pas mené à la réconciliation, mais peut-être à un mauvais accord qui ramènera la violence sur la scène de la décision.
Pourquoi sommes-nous aussi pessimistes? Abou-Ammar n’est pas, ne devrait pas être le gardien du jeu israélien et son metteur en scène. Nous sommes pessimistes, parce que les “promesses” israéliennes sont connues depuis longtemps. Tous les accords conclus avec Israël n’ont pas été exécutés et n’ont pas fait long feu. Le 18 mai dernier, on s’attendait à une réunion de Arafat et de Barak. Après plusieurs mois de retard, ils se sont rencontrés à Ramallah pour rester perplexes devant les questions fondamentales: Jérusalem, les colonies, les réfugiés, “l’Etat”, frontières et entité. Ce sont les mêmes questions qui leur ont causé de la perplexité et, avec eux, au président américain à Camp David. La raison en est que Bill Clinton, comme le rapportent les dires européens, se voit, comme d’autres, les leaders du “nouveau monde”, devant bien des similitudes avec les Israéliens: les mêmes mythes, la terre promise, les mêmes souvenirs nostalgiques, la confiance illimitée tant en soi-même que dans l’avenir, l’attachement à une nécessité de la souveraineté militaire dans l’une des régions du globe. Ces liens sont plus solides que les liens de gardiennage du pétrole au Moyen-Orient.
Et ces liens emprisonnent le président américain, car il existe plus de juifs en Amérique qu’en Israël. Les juifs de la terre promise et les juifs des nations élues, engagées, les nations du message. Pour tout cela et pour d’autres raisons bien sûr, l’influence du président américain n’a pas été grande à Camp David... sur Ehud Barak, devenu prisonnier d’une situation intérieure dans son pays, depuis le capharnahum politique jusqu’au besoin de l’eau, écrit le “Times” de Londres... Ni sur Yasser Arafat, lui-même prisonnier d’un complexe qui affecte les siens de plus en plus, le complexe de la capitulation.
L’influence du président américain n’a pas été également grande à Okinawa. Les pauvres restent pauvres. Et les Etats, même les huit industrialisés, ne sont pas des sociétés de bienfaisance. Ils ne sont que des intérêts. Et le jour où les intérêts exigeront de sauver le monde de la pauvreté, ce jour-là commencera la marche sur la voie du salut véritable. Sinon, nous resterons comme nous étions après le sommet de Copenhague en 1995... sur la promesse que la pauvreté sera extirpée du monde. En 1996, les grandes paroles se sont estompées, pour être remplacées des souhaits d’une solution promise en l’an 2015. A Okinawa, les espoirs se sont volatilisés.
Retournons à Camp David! pas de solution qui, si elle se réalisait, serait porteuse des causes de sa chute. Ou, peut-être, la chute de ceux qui l’ont proposée et acceptée... A moins que la magie américaine soit devenue plus efficace après avoir été greffée au Japon... pour devenir omniprésente à Camp David III?! 

Photo Melhem Karam

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