Aux
réunions de “Camp David II”, les efforts déployés
par le président Clinton pour mettre d’accord Arafat et Barak, ont
été unanimement reconnus. On a rendu hommage à sa
patience et à son obstination. Une fois l’échec constaté
et les délégations rentrées chez elles, M. Clinton
a subitement tout gâté. Il a eu la malencontreuse idée
d’adresser, publiquement, à Arafat des mises en garde menaçantes:
si, d’ici la fin de l’année, un accord n’est pas réalisé
sur Jérusalem et si l’Etat palestinien était cependant proclamé,
l’ambassade américaine à Tel-Aviv serait transférée
dans la Ville Sainte, a proclamé M. Clinton. Si ce n’est pas là
du chantage, qu’est-ce que c’est?
***
Que signifie cette menace?
Que le président américain passera outre aux résolutions
de l’ONU qui condamnent l’annexion de la partie arabe de Jérusalem
- qu’il ignorera les positions du Vatican sur les lieux saints et celles
de l’ensemble du monde musulman et arabe - qu’il rompra l’unanimité
de la communauté internationale, dont aucun membre n’a voulu jusqu’ici
établir sa représentation diplomatique à Jérusalem.
Ces nouvelles déclarations de M. Clinton, assorties d’un éloge
appuyé de la bonne volonté, dont M. Barak aurait fait preuve
à Camp David, ont naturellement provoqué la colère
des Palestiniens. Ils dénoncent le parti-pris du président
américain et l’attribuent (comme pour en atténuer le sens)
à des préoccupations électorales (Hillary Clinton
est en mauvaise posture à New York et M. Al Gore est dépassé
par M. George Bush dans les sondages).
M. Arafat est, en quelque sorte, rendu responsable des difficultés
intérieures des Clinton. On lui reproche, en somme, de n’avoir pas
accepté le compromis sur Jérusalem qui aurait sauvé
M. Barak des attaques de ses adversaires et permis, du même coup,
à M. Clinton de clôturer glorieusement son mandat (avec un
Prix Nobel de la Paix à la clé), tout en assurant sa succession
avec Al Gore et en garantissant un siège de sénateur à
son épouse.
***
Ces réactions rappellent, curieusement, ce qui s’est passé
à Genève après la fameuse rencontre de M. Clinton
avec le président Hafez Assad.
Là encore, on avait dit que le président avait, pour
assouplir la position syrienne, usé de cet argument qu’il faut sauver
Barak, mis à mal sur sa droite.
Dans les deux cas, la démarche américaine tombe dans
la même erreur: au lieu de se fonder résolument sur ces résolutions
onusiennes négociées péniblement à l’époque
avant d’être finalement adoptées à l’unanimité
(la 242 particulièrement qui constituait déjà pour
les Arabes une sérieuse concession par rapport à leurs positions
traditionnelles), le parrain américain ne cherche plus qu’à
sauver un chef de gouvernement israélien en difficulté et
à gagner l’électorat juif de New York.
Tout se passe, en somme, comme si, pour parvenir à la paix,
il n’est pas possible de faire accepter au peuple israélien une
solution minimale de compromis et comme si M. Barak serait seul aujourd’hui
capable de faire passer des accords, quelque boîteux qu’ils soient,
sans être d’ailleurs, le moins du monde sûr de son propre avenir
politique.
En faisant pression sur les négociateurs palestiniens, on encourage
Barak à l’intransigeance. C’est un cercle vicieux.
Et cette façon de s’accrocher à M. Barak comme étant
le seul capable de conclure une paix, ne signifie-t-elle pas qu’il n’y
a pas encore de paix possible entre le peuple israélien et ses voisins?
M. Clinton, comme l’ensemble de la classe politique américaine,
n’a pas encore compris que la véritable résistance au processus
de paix ne vient pas des revendications arabes, mais des Israéliens.
Ils n’ont pas encore appris à faire confiance à leurs interlocuteurs
arabes. Pendant cinquante ans, leurs intransigeances ont été
confortées par les innombrables témoignages, moraux et financiers,
que le monde occidental ne cesse de leur apporter pour se faire pardonner
les crimes de l’antisémitisme. Ils ont été tellement
présentés comme des victimes, qu’ils sont devenus incapables
de voir qu’ils n’ont pu bâtir un Etat qu’en faisant, à leur
tour, des victimes. Ils ne veulent pas accepter l’idée qu’ils doivent
quelque chose aux Palestiniens, dépossédés de leur
pays.
***
Les négociations suspendues à Camp David se poursuivront
cependant. Les nouvelles déclarations de M. Clinton, en dépit
de l’irritation qu’elles ont produites, ne semblent pas prises assez au
sérieux (sauf par le Hezbollah libanais, le Libanais étant
toujours à la pointe de l’arabisme) au point d’entraîner une
rupture.
M. Clinton ne transférera pas son ambassade à Jérusalem.
Il ne franchira pas ce pas. Et M. Arafat, en définitive, a l’air
de bien partager avec M. Barak les mêmes tactiques de négociateur
coriace. C’est donc une histoire qui ne finira jamais.
Un jour, à Paris, un jeune spécialiste des affaires du
Proche-Orient, au Quai d’Orsay, me faisait cette confidence: “Mon père,
qui m’avait précédé dans la même carrière,
m’avait dit: quand on s’occupe des problèmes du Proche-Orient, on
est sûr de ne jamais manquer de travail”.
Courage donc, mon fils! |
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