tribune
LES PRIORITÉS DE M. CLINTON
Aux réunions de “Camp David II”, les efforts déployés par le président Clinton pour mettre d’accord Arafat et Barak, ont été unanimement reconnus. On a rendu hommage à sa patience et à son obstination. Une fois l’échec constaté et les délégations rentrées chez elles, M. Clinton a subitement tout gâté. Il a eu la malencontreuse idée d’adresser, publiquement, à Arafat des mises en garde menaçantes: si, d’ici la fin de l’année, un accord n’est pas réalisé sur Jérusalem et si l’Etat palestinien était cependant proclamé, l’ambassade américaine à Tel-Aviv serait transférée dans la Ville Sainte, a proclamé M. Clinton. Si ce n’est pas là du chantage, qu’est-ce que c’est?

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Que signifie cette menace?
Que le président américain passera outre aux résolutions de l’ONU qui condamnent l’annexion de la partie arabe de Jérusalem - qu’il ignorera les positions du Vatican sur les lieux saints et celles de l’ensemble du monde musulman et arabe - qu’il rompra l’unanimité de la communauté internationale, dont aucun membre n’a voulu jusqu’ici établir sa représentation diplomatique à Jérusalem.
Ces nouvelles déclarations de M. Clinton, assorties d’un éloge appuyé de la bonne volonté, dont M. Barak aurait fait preuve à Camp David, ont naturellement provoqué la colère des Palestiniens. Ils dénoncent le parti-pris du président américain et l’attribuent (comme pour en atténuer le sens) à des préoccupations électorales (Hillary Clinton est en mauvaise posture à New York et M. Al Gore est dépassé par M. George Bush dans les sondages).
M. Arafat est, en quelque sorte, rendu responsable des difficultés intérieures des Clinton. On lui reproche, en somme, de n’avoir pas accepté le compromis sur Jérusalem qui aurait sauvé M. Barak des attaques de ses adversaires et permis, du même coup, à M. Clinton de clôturer glorieusement son mandat (avec un Prix Nobel de la Paix à la clé), tout en assurant sa succession avec Al Gore et en garantissant un siège de sénateur à son épouse.

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Ces réactions rappellent, curieusement, ce qui s’est passé à Genève après la fameuse rencontre de M. Clinton avec le président Hafez Assad.
Là encore, on avait dit que le président avait, pour assouplir la position syrienne, usé de cet argument qu’il faut sauver Barak, mis à mal sur sa droite.
Dans les deux cas, la démarche américaine tombe dans la même erreur: au lieu de se fonder résolument sur ces résolutions onusiennes négociées péniblement à l’époque avant d’être finalement adoptées à l’unanimité (la 242 particulièrement qui constituait déjà pour les Arabes une sérieuse concession par rapport à leurs positions traditionnelles), le parrain américain ne cherche plus qu’à sauver un chef de gouvernement israélien en difficulté et à gagner l’électorat juif de New York.
Tout se passe, en somme, comme si, pour parvenir à la paix, il n’est pas possible de faire accepter au peuple israélien une solution minimale de compromis et comme si M. Barak serait seul aujourd’hui capable de faire passer des accords, quelque boîteux qu’ils soient, sans être d’ailleurs, le moins du monde sûr de son propre avenir politique.
En faisant pression sur les négociateurs palestiniens, on encourage Barak à l’intransigeance. C’est un cercle vicieux.
Et cette façon de s’accrocher à M. Barak comme étant le seul capable de conclure une paix, ne signifie-t-elle pas qu’il n’y a pas encore de paix possible entre le peuple israélien et ses voisins?
M. Clinton, comme l’ensemble de la classe politique américaine, n’a pas encore compris que la véritable résistance au processus de paix ne vient pas des revendications arabes, mais des Israéliens. Ils n’ont pas encore appris à faire confiance à leurs interlocuteurs arabes. Pendant cinquante ans, leurs intransigeances ont été confortées par les innombrables témoignages, moraux et financiers, que le monde occidental ne cesse de leur apporter pour se faire pardonner les crimes de l’antisémitisme. Ils ont été tellement présentés comme des victimes, qu’ils sont devenus incapables de voir qu’ils n’ont pu bâtir un Etat qu’en faisant, à leur tour, des victimes. Ils ne veulent pas accepter l’idée qu’ils doivent quelque chose aux Palestiniens, dépossédés de leur pays.

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Les négociations suspendues à Camp David se poursuivront cependant. Les nouvelles déclarations de M. Clinton, en dépit de l’irritation qu’elles ont produites, ne semblent pas prises assez au sérieux (sauf par le Hezbollah libanais, le Libanais étant toujours à la pointe de l’arabisme) au point d’entraîner une rupture.
M. Clinton ne transférera pas son ambassade à Jérusalem. Il ne franchira pas ce pas. Et M. Arafat, en définitive, a l’air de bien partager avec M. Barak les mêmes tactiques de négociateur coriace. C’est donc une histoire qui ne finira jamais.
Un jour, à Paris, un jeune spécialiste des affaires du Proche-Orient, au Quai d’Orsay, me faisait cette confidence: “Mon père, qui m’avait précédé dans la même carrière, m’avait dit: quand on s’occupe des problèmes du Proche-Orient, on est sûr de ne jamais manquer de travail”.
Courage donc, mon fils! 


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