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Né
à Pristina (Kosovo) le 9 avril 1934, M. Velibor Dulovic, ambassadeur
de Yougoslavie à Beyrouth, est entré dans la carrière
diplomatique depuis trente-cinq ans. Diplômé de la Faculté
de philosophie et des langues orientales de l’université de Belgrade,
il est spécialisé dans les Affaires étrangères
et la sécurité nationale.
Au ministère yougoslave des Affaires étrangères, il a consacré la plupart de son temps au département du protocole, chargé des cérémonies officielles et des visites d’Etat. Aussi, a-t-il écrit un livre sur le “protocole diplomatique”. Il a été en poste en Irak, en Iran et en Afghanistan en tant que second secrétaire d’ambassade; puis, de conseiller; enfin, de chargé d’affaires durant six ans à Kaboul, avant d’être muté au Liban. Ayant été décoré de la reine Juliana des Pays-Bas et de la reine Elisabeth II, il parle l’anglais, l’arabe et le français. |
Existe-il quelque contentieux entre Belgrade et Beyrouth?
Avant de répondre à votre question, je voudrais vous
remercier de m’avoir donné cette occasion après plus de quatre
ans que je suis dans votre beau pays; de répondre à vos questions
et d’avoir la possibilité de vous dire des choses importantes concernant
la Yougoslavie.
Des relations entre nos deux pays, je voudrais rappeler que le premier
gouvernement de la Yougoslavie fédérative démocratique
a décidé durant sa session du 28 avril 1945, sous la présidence
du maréchal Tito, de reconnaître leur indépendance
et d’établir des relations diplomatiques avec la Syrie et le Liban,
au même moment où nous avons établi des relations avec
nos voisins, l’Albanie et la Bulgarie. La Seconde Guerre mondiale n’était
pas encore terminée (l’Allemagne a capitulé le 9/5/1945)
et c’était très significatif de prendre une telle décision.
Pour le moment, je peux dire que les relations politiques et économiques
entre nos deux pays sont normales et nous continuons à coopérer
dans les organisations internationales, comme les Nations Unies, l’Unesco,
la F.A.O. et les autres. On a toujours eu des missions diplomatiques à
Beyrouth et à Belgrade et nos délégations étaient
actives dans le mouvement des pays non alignés depuis la première
conférence qui a eu lieu à Belgrade en 1961, où le
Liban a été parmi les premiers vingt-six pays à y
prendre part.
Au niveau culturel et scientifique, il existe des échanges entre
les étudiants qui font leur stage dans les compagnies libanaises
et yougoslaves chaque été. Une douzaine d’étudiants
yougoslaves viennent chaque année au Liban pour étudier la
religion islamique. De même, un grand nombre de médecins,
d’ingénieurs et de dentistes libanais ont fait leur spécialisation
en Yougoslavie.
Dans le domaine sportif, des entraîneurs yougoslaves de football
ou de basket-ball sont souvent engagés par les clubs libanais. Vous
avez vu, probablement, les matches de football entre nos équipes
qui ont joué au Liban. Les touristes, parfois, viennent de Yougoslavie
et les Libanais visitent les centres touristiques d’été et
d’hiver chez nous.
La coopération économique n’est pas au niveau que je
désire, mais c’est mon devoir ici de travailler pour l’améliorer.
Des compagnies libanaises coopèrent avec mon pays et j’espère
que cette coopération se renforcera davantage.
Le gouvernement de Belgrade réclame le départ des troupes
de l’ONU, un an après leur déploiement, “pour avoir violé
leur mandat et s’être fait le complice des terroristes albanais”.
Comment se présente la situation dans votre pays, sous l’angle de
ses rapports avec les Etats voisins?
Pour répondre à votre question, je dois expliquer comment
le problème du Kosovo a commencé et provoqué le déploiement
des troupes de l’ONU. La région du Kosovo et de Metohija sont le
berceau de la civilisation de la Serbie depuis le VIIème siècle.
La grande bataille du Kosovo contre l’invasion turque, en 1389, nous a
coûté cinq cents ans sous l’occupation de l’empire ottoman.
Kosovo est un nom serbe. Les dernières cinquante-cinq années,
le Kosovo et la Voyvodine étaient deux provinces autonomes dans
la république de Serbie. Un grand nombre de citoyens de l’Albanie
voisine se sont enfuis du régime d’Enver Khoja pour s’installer
en Yougoslavie, surtout au Kosovo, car la vie en Yougoslavie était
incomparable avec l’Albanie.
Quelques dizaines d’années se sont déroulées et
on a découvert que ces centaines de milliers d’Albanais étaient
devenus majoritaires à cause de leur taux de natalité, le
plus élevé en Europe et ont commencé à réclamer
l’indépendance.
Sous prétexte de défendre les droits de l’homme, l’Otan
est intervenu. C’était la plus sévère des attaques
aériennes contre un pays indépendant depuis la Deuxième
Guerre mondiale et, rappelons-le, sans l’autorisation de l’ONU. Ce fut
une agression militaire criminelle sans précédent menée
par l’Otan contre la République fédérale de Yougoslavie
qui a duré soixante dix-huit jours et a causé beaucoup de
victimes civiles, de dommages matériels et s’est terminée
sans victoire pour l’agresseur. Le gouvernement et le peuple yougoslaves
ont confronté, héroïquement, la plus grande force militaire
équipée avec les plus modernes armements sophistiqués.
Un an après le déploiement de KFOR et de l’UNMIK, ils violent
la résolution de l’ONU (NÞ1244) et sont responsables du chaos,
des meurtres et kidnappings de plus de 2000 Serbes non albanais, en vue
d’un vrai nettoyage ethnique, pour faire d’un territoire serbe (Kosovo)
un centre de terrorisme séparatiste et de crimes organisés.
Au début de ce protectorat, les extrémistes albanais
tuaient chaque jour quatre à cinq personnes au moins; actuellement,
quand la majorité serbe et non-albanaise a fui le Kosovo, les terroristes
tuent cinq personnes par semaine. Il y a quelques jours, les terroristes
ont fusillé une jeune journaliste au centre de Pristina.
Le Tribunal pénal international (TPI) pour l’ex-Yougoslavie
a entamé à La Haye le procès en appel de ses seuls
accusés musulmans de la guerre de Bosnie (1992-95). Au préalable,
le TPI avait blanchi l’Otan de toute crise de guerre. Qu’en pensez-vous?
Avant tout, il faut savoir que ce Tribunal est établi par l’Amérique
et l’Union européenne spécialement contre les Serbes de l’ex-Yougoslavie,
car 95% des hommes demandés sont d’origine serbe.
Comme si c’était le seul pays au monde où on a commis
des crimes contre l’humanité. Dans l’histoire mondiale, on trouve
beaucoup d’hommes et plusieurs pays qui ont commis des crimes de guerre.
Ainsi, le président Truman a donné l’ordre de lancer les
bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki; le président Lindon
Johnson était derrière les trois millions de Vietnamiens
tués par les Américains et leurs alliés. C’est un
sous-officier américain qui a été condamné
à six mois de prison, car on a trouvé une photo montrant
ses crimes.
J’ai lu dans un article de Noam Chomski que tous les présidents
des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale pouvaient être
condamnés comme des criminels de guerre. Mais qui osera les poursuivre?
Combien de civils et d’enfants ont été tués au Congo,
au Ruanda, en Erythrée, etc...
Un an après l’attaque contre la Yougoslavie, le TPI a trouvé
que l’Otan n’a commis aucun crime, même si tout le monde a lu le
rapport d’Amnesty International. Ils ont tué quelques centaines
d’innocents civils, spécialement dans l’attaque sur le bâtiment
de la radio et de la télévision de Serbie qui diffusaient
des photos des attaques aériennes de l’Otan contre les cibles civiles
et la résistance du peuple yougoslave qui gardait les ponts, car
cela donnait au monde des informations qui ne leur plaisaient pas.
Comment expliquez-vous l’assassinat dans le centre de Podgorica,
du conseiller du président du Monténégro, Djukanovic,
hostile à Belgrade, mais bénéficiant du soutien des
Etats-Unis et de l’Union européenne?
Je n’ai aucune information à ce sujet en plus de ce qui a été
publié dans les journaux. Il faut dire que nous avions vu beaucoup
de gens importants tués à Belgrade. Comme le ministre de
la Défense, le ministre adjoint de l’Intérieur, le directeur
de la compagnie aérienne nationale, etc... Personne ne demande qui
les a tués. Et pourquoi les Etats-Unis et l’Union européenne
soutiennent M. Djukanovic; il faut le leur demander. Dans le monde, il
y a eu beaucoup d’assassinats dont les auteurs n’ont pas été
identifiés. Par exemple ceux de John Kennedy, de Martin Luther King,
etc...
A quel problème exigeant des solutions urgentes, le gouvernement
yougoslave est-il confronté?
Après l’agression, notre pays était tellement détruit,
qu’on a besoin de plus de vingt ans pour le reconstruire. Les dommages
sur le plan matériel ont été estimés (au minimum
de 30 milliards de dollars). Toutes nos usines de production militaire
sont détruites et on peut comprendre cela, mais ils ont, aussi,
bombardé des objectifs civils, comme les usines d’automobiles, de
tabac, des centrales électriques et téléphoniques,
des hôpitaux, des écoles, des universités, des lignes
de chemin de fer, des ponts, l’ambassade de Chine, tous les aéroports
militaires et civils, même les convois d’Albanais. Pour illustrer
leur hypocrisie sur “la liberté d’expression et de la démocratie”:
ils ont bombardé la radio et la télévision serbes
considérées comme des cibles militaires.
Certainement, on pourrait accepter cela, si c’était vrai. La
vraie cible militaire n’étaient que quatorze chars et “transporteurs
blindés” et non 722, comme les généraux ont informé
les journalistes durant les conférences de presse à Bruxelles.
L’urgence est de reconstruire tout ce que les agresseurs ont détruit
avec leur armement moderne et leurs avions invisibles roquettes tomahawk.
L’Otan a fait du territoire de Yougoslavie une foire internationale
pour exhiber les dernières inventions mortelles, pour faire un Show
mondial, un bon Marketing et notre 10% ce sont les bombes-cassettes n’ayant
pas explosé qui seront un danger permanent pour les générations
à venir.
Heureusement, le gouvernement yougoslave avec la participation de notre
peuple a déjà restauré et reconstruit plus de 80%
des destructions causées par l’agression de l’Otan.
La crise yougoslave et balkanique n’a-t-elle pas isolé la
Yougoslavie?
Oui, la Yougoslavie pâtit encore des sanctions américaines
et européennes à cause, comme ils l’ont dit, du rôle
de la Serbie en Bosnie. Le conflit de la Bosnie est terminé, il
y a quelques années, mais les sanctions sont maintenues. C’est comme
en Irak. Là-bas, ils continuent à bombarder un pays indépendant
et des milliers d’Irakiens meurent de faim et ce, pour une raison, comme
ils disent: Saddam pouvait avoir une bombe atomique. C’est ridicule!
Alors, les relations diplomatiques entre la Yougoslavie et les quatre
pays qui ont commandé l’attaque de l’Otan (Amérique, France
Angleterre et Allemagne) ont cessé, immédiatement, après
le début des bombardements.
Les gouvernements des pays voisins qui ont accepté la politique
agressive de l’Otan et permis le passage ou l’atterrissage aux avions militaires
pour nous bombarder, ont montré leur vrai visage. On peut les comprendre,
car ils ne voulaient qu’être admis dans cette organisation et dans
l’Union européenne le plus tôt possible. Mais les amis restent
des amis. Ici, au Liban, nous avons reçu beaucoup de messages et
d’appels téléphoniques de la part de Libanais qui nous ont
offert leur support et leur assistance. On a même eu des volontaires
prêts à partir au Kosovo pour défendre notre pays contre
cette agression. Evidemment, nous ne pouvions pas les accepter. Permettez-moi
de saisir cette occasion pour les remercier au nom du peuple yougoslave
par l’intermédiaire de votre revue.
Quelle est la nature des relations entre Belgrade, d’une part, le
Liban et le monde arabe, d’autre part? Quel est le volume de leurs échanges
et quelles sont les perspectives d’avenir?
Le Liban a toujours eu une politique proche de la politique des pays
arabes. Et pour le moment, je ne suis pas sûr que tous les pays arabes
comprennent ce qui arrive vraiment au Kosovo. La simple raison, c’est la
propagande téléguidée dans les journaux et sur les
écrans de TV des pays occidentaux. Et comme la majorité des
médias acceptent tout ce qui est dit par les médias occidentaux,
cela signifie que certains pays arabes ne connaissent pas les vraies données
et les raisons du conflit au Kosovo. Et il me semble que le rôle
historique que la Yougoslavie a joué pendant le demi-siècle
dernier pour les pays non développés, a été
oublié.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
Ce sont les funérailles du président Tito. J’étais
dans le Protocole d’Etat ce jour-là et c’était en mai 1980,
quand Belgrade a reçu plus que cinquante-deux rois, des présidents
de République, un grand nombre de Premiers ministres et de ministres
des Affaires étrangères, au total, plus de 180 délégations
officielles de tous les pays. Tous avaient montré un grand respect
au rôle historique que le maréchal Tito a joué sur
la scène politique mondiale. Je ne pense pas qu’un pays n’ait pas
envoyé de représentant. Et je crois que ce record ne sera
jamais dépassé dans l’histoire du monde.
Un autre souvenir de la vie de diplomate est celui que je porte encore
dans ma jambe: c’est l’éclat d’une roquette “Saccer 30” des bombes-cassettes
de Kaboul.
Voudriez-vous nous confier vos premières impressions libanaises?
Mes premières impressions remontent au printemps de l’année
1958, date à laquelle je suis tombé amoureux de votre beau
pays.
A l’époque, j’étais encore étudiant en langues
orientales (arabe, turque et littérature perse) à l’Université
de Belgrade et je suis venu en Syrie pour pratiquer et perfectionner la
langue arabe. Un jour, un collègue hollandais (il est devenu ambassadeur
aussi), avait une Vespa et il m’a proposé de l’accompagner au Liban.
C’était au printemps; la neige couvrait encore les sommets, il faisait
froid là-haut et on s’est arrêté chez un boulanger.
Quand il a su qu’on avait faim, il a envoyé son fils pour acheter
de la viande et il nous a fait une “man’ouché bi kawarma”. Elle
était si délicieuse que j’en garde toujours le goût.
J’ai remarqué, à ce moment-là, que les gens du Liban
sont très gentils et hospitaliers. On a poursuivi notre chemin jusqu’à
Saïda où nous avons nagé autour du château de
la mer.
A Beyrouth, on a passé à la librairie Antoine où
nous avons trouvé un trésor de livres intéressants
et importants pour nos études. J’ai découvert les filles
de Beyrouth très attirantes et élégantes. La beauté
de la nature libanaise, le climat et les paysages très différents
entre montagne et mer, la coquetterie des filles et l’hospitalité
de ce boulanger m’ont fait tomber directement amoureux du Liban qui me
rappelle toujours mon pays natal. Depuis, j’ai pensé y revenir.
J’y suis repassé encore deux ou trois fois, mais je rêvais
de revenir en tant que diplomate. Finalement, je suis là, pour un
poste diplomatique que je vais recommander à tous mes collègues.