Après
son échec de “Camp David II”, M. Clinton participe, comme tout le
monde, aux polémiques. Il distribue les reproches et les éloges
sans discernement. Il a accusé M. Arafat d’intransigeance; le président
Moubarak d’Egypte et le roi Fahd d’Arabie de n’avoir pas fait pression
sur Arafat.
En revanche, il a couvert de fleurs M. Barak lui attribuant le mérite
d’avoir multiplié les concessions sur Jérusalem. La première
conséquence de ce discours aura été, d’une part, d’accentuer
la mauvaise posture de M. Barak vis-à-vis de la droite israélienne
qui l’accusait, précisément, d’avoir fait trop de concessions
- et, d’autre part, de conforter M. Arafat dans sa stature de défenseur
des lieux saints de l’islam et de la chrétienté (et même
du judaïsme). On a vu comment il a été accueilli en
triomphe à Gaza pendant que M. Barak perdait sa majorité
et le soutien de son peuple.
Si ces conséquences signifient quelque chose, c’est bien d’abord
que le véritable responsable de l’échec des négociations,
c’est M. Clinton lui-même. Au lieu de mener ces négociations
en élevant le débat au-dessus des sordides enjeux personnels,
il s’est laissé complètement impliqué dans la politicaillerie
des partis israéliens. Et il l’a fait si maladroitement que, préoccupé
de sauver M. Barak, il n’a fait que l’enfoncer.
Son rôle de parrain du processus de paix exigeait de lui qu’il
prenne conscience de la dimension historique du drame humain que constitue
le conflit de Palestine, de sa portée historique, de ses conséquences
sur le respect dû aux lois internationales, enfin sur la position
morale des Etats-Unis dans une région du monde aussi sensible que
le Proche-Orient. Mais il semble qu’il ne voit les problèmes que
par le bout de sa lorgnette électorale.
Il a ainsi remobilisé l’opinion arabe et musulmane contre les
Etats-Unis et, en même temps, rendu un très mauvais service
à son protégé, M. Barak.
Politique de gribouille.
***
Peut-on encore espérer un redressement?
M. Clinton se donne de nouveaux délais pour reprendre en mains
les fils de la négociation. Il n’est pas homme à se décourager.
Ses émissaires sont de nouveau en campagne. Mais est-ce qu’il a
modifié son optique et ses moyens d’action? S’il ne compte, pour
réussir, que sur les pressions de caractère personnel, on
peut prédire un nouvel échec. Ce n’est pas sur les politiciens
engagés dans le processus qu’il faut agir, mais sur les intérêts
nationaux de chacun des protagonistes. Pour ce faire, il s’agirait d’abord
que l’Amérique, la première puissance du monde et le parrain
du processus de paix, apparaisse résolument attachée aux
solutions d’arbitrage adoptées, depuis 1967, par la communauté
internationale.
Si la diplomatie américaine, comme elle l’a fait jusqu’ici,
se contente d’écouter les arguments des uns et des autres, de couvrir
de fleurs (et de secours financiers et militaires) les uns et d’accabler
de reproches les autres, sans réclamer le respect des résolutions
de l’ONU pourtant admises, en principe, par toutes les parties, elle n’aurait
aucune chance de parvenir à la paix. Pour bâtir cette paix,
il faut des fondements d’ordre moral, car le conflit de Palestine n’est
pas un simple conflit politique qu’on peut régler sur la base classique
d’un rapport de forces et d’intérêts matériels. C’est
un conflit qui met en jeu des sensibilités d’ordre religieux et
une histoire millénaire. C’est sur une base morale que l’arbitrage
doit s’exercer. C’est ce que M. Clinton n’a pas fait jusqu’ici.
Après tout, le rôle qu’il assume, il lui a été
octroyé par la communauté internationale pour agir en son
nom et pour faire respecter ses lois.
Quand il réunit les négociateurs arabes et israéliens,
ce n’est pas en tant que président des Etats-Unis qu’il le fait,
mais de mandataire des Nations Unies ou, tout au moins, de la conférence
de Madrid, afin de faire prévaloir les principes acceptés
par cette conférence.
En se laissant détourner de cette mission fondamentale par les
tactiques négociatoires des Israéliens et par leurs querelles
politiciennes, la diplomatie américaine s’est condamnée à
l’échec; elle a rendu un mauvais service à Israël-même
et est devenue prisonnière des jeux de la politique intérieure
de ce pays.
***
Pendant ce temps, les principales puissances européennes, qui
ont du drame palestinien et de ses enjeux, une conception plus lucide,
se contentent de suivre le processus en multipliant les bons conseils.
Cela ne va pas très loin.
Coupables d’antisémitisme, comme le leur rappelle par un véritable
harcèlement la propagande israélienne, elles ne sont pas
en situation de parler haut et fort ni d’agir.
Il y a en Israël un état d’esprit assez répandu
qui s’exprime ainsi: “Pourquoi devrions-nous donner quoi que ce soit pour
avoir la paix?”
Or, si l’Amérique a été mandatée pour conduire
le processus de paix, c’est bien parce qu’on pensait qu’elle était
la seule, parmi toutes les puissances de la terre, à être
en situation de dire aux Israéliens: vous avez une dette envers
les Palestiniens; le moment est venu de vous en acquitter. Ce sont vos
victimes comme vous l’aviez été vous-mêmes en Europe.
Mais M. Clinton n’est pas capable de tenir un tel langage. Et les Israéliens
sont persuadés qu’ils sont seuls au monde à pouvoir revendiquer
la qualité de victimes. |
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