Aussi, on a écarté la possibilité pour le Conseil
des ministres de prendre quelque mesure destinée à mettre
un terme à ce duel électoral ayant atteint des proportions
inhabituelles, les candidats échangeant les accusations et les insultes,
ce qui risque de dénaturer l’opération démocratique.
Le temps ne permet plus d’œuvrer dans ce sens, car le premier round
du scrutin aura lieu ce dimanche au Mont-Liban et au Liban-Nord. C’est
tout juste si le gouvernement peut recommander aux médias audiovisuels
de “s’autocensurer”, en les mettant en garde contre toute violation de
la loi.
Le duel verbal s’est poursuivi avec plus de virulence, surtout après
l’incident de l’Université américaine où un cameraman
de Télé-Liban, Abbas Chéhab, a été agressé,
sauvagement, par un ancien membre des FSI qui lui a fracassé l’épaule,
ce qui a nécessité son hospitalisation. Dans le même
temps, M. Rafic Hariri était accueilli par des dizaines d’étudiants
hostiles ayant scandé des slogans dénonçant sa politique
et ses projets.
De ce fait, la bataille à Beyrouth a revêtu un aspect
politique, autant que confessionnel et sectaire. Ceci a pour conséquence
de faire prévaloir la tendance ayant gagné de larges fractions
de l’électorat beyrouthin, de ne pas déposer dans les urnes
les listes (haririennes) telles qu’elles leur seront remises.
Pour cela, les résultats du Nord et du Mont-Liban se répercuteront
sur le scrutin du 3 septembre, en ce sens que les alliances scellées
à Beyrouth, dans la Békaa et au Liban-Sud risquent d’être
sérieusement ébranlées.
On prévoit donc des élections particulièrement
serrées dans la capitale, d’autant que la puissance de l’argent
se manifeste sur une large échelle, ce qui a pour conséquence
de rendre les électeurs perplexes, au point d’être portés
à accorder leurs suffrages à des candidats, dont ils ne sont
pas sûrs de la représentativité.
Dans ce cas, il faut s’attendre à une nouvelle législature
ne traduisant pas les aspirations des citoyens et, surtout, non enclins
à se pencher sur tant de problèmes auxquels ceux-ci sont
confrontés, du moment qu’ils auraient vendu leur conscience.
L’incident survenu à l’Université américaine de
Beyrouth lundi soir, au moment où Rafic Hariri s’y était
rendu pour soi-disant inaugurer une nouvelle faculté, n’a pas manqué
de retenir l’attention des observateurs. En effet, l’ancien chef du gouvernement
a été empêché de prendre la parole à
plus d’une reprise, par des étudiants excités qui ont dénoncé
sa politique et ses projets qualifiés de “suspects”. M. Hariri a
dû renoncer à lire un texte écrit pour haranguer l’assistance,
en soulignant le droit des jeunes à exprimer leur opinion et à
manifester.
Cependant, le fait pour le cameraman de Télé-Liban d’avoir
été tabassé par un gradé (démissionnaire)
des FSI, Saadallah Chalak - qui devait être arrêté par
la suite - a électrisé l’atmosphère, d’autant que
Chéhab a été hospitalisé d’urgence pour être
soigné d’une fracture à l’épaule et de blessures aux
bras et au cou. Les jeunes manifestants se sont élevés contre
le fait de transformer le campus en un bazar électoral. Ceux-ci
ont été pris à partie par d’autres de leurs collègues
se réclamant du “courant du Futur” (haririen).
Les voies de fait dont a été l’objet le caméraman
de Télé-Liban, a entraîné une réprobation
de la part de M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes,
contre la manière inadmissible de traiter avec les représentants
des médias, la qualifiant de “rétrograde”.
Dans le même ordre d’idées, il y a lieu de faire état
d’une plainte déposée par le président Kamel el-Assaad
auprès du Parquet général près la Cour de Cassation,
contre des inconnus, les accusant d’avoir investi sa résidence à
Kfartibnite.
De leur côté, MM. Georges Frem et Nazem Khoury, candidats
à Jbeil-Kesrouan, ont déposé une plainte contre leur
adversaire, Emile Naufal, sous l’inculpation de diffamation et d’outrage.
A Tripoli-Zghorta, les deux listes concurrentes ont continué
à s’invectiver, prenant à partie leurs adversaires réciproques.
M. Sleiman Frangié insiste auprès des électeurs de
voter pour toute la liste, alors que le président Omar Karamé
a réitéré ses attaques contre “les candidats descendant
en parachute” et contre ceux parmi eux qui utilisent l’argent pour assurer
leur succès.
Dans une conférence donnée à l’invitation du Conseil
de la Pensée à Abdelly (caza de Batroun); le président
Karamé a appelé à la réouverture des dossiers
suspects et réclamé que l’argent volé à l’Etat
lui soit restitué, afin de pouvoir couvrir une partie de la dette
publique et de combler le déficit budgétaire... “Ils ont
dépensé quatre milliards de dollars pour la reconstruction,
mais où est parti le reste de l’argent dont la dilapidation a provoqué
le déficit du Trésor?”, s’est demandé l’ancien Premier
ministre. Au cours d’un autre meeting électoral à Bejdarfel
(caza de Batroun), le président Karamé s’est prononcé
en faveur d’un gouvernement politique, formé de nationalistes connus
pour leur compétence qui se préoccuperait d’améliorer
les conditions de vie et de travail des citoyens.
A Tripoli, le fait le plus marquant a été la volte-face
de la “Jamaa islamiya” qui, après s’être alliée à
la liste karamiste, a tourné casaque pour prendre le parti de la
liste adverse, celle dont MM. Sleiman Frangié et Najib Mikati sont
les chefs de file.
La décision des islamistes a pour conséquence de rendre
la bataille encore plus féroce. D’ailleurs, le président
Karamé a bien déclaré que “la bataille se fera d’un
quartier à l’autre et d’une maison à une autre maison dans
la capitale nordiste”.
Une fois terminée la bataille au Nord et au Mont-Liban, la fièvre
apparaîtra d’une façon plus accentuée à Beyrouth
où M. Rafic Hariri commence à appréhender un revirement
de la part d’une partie de l’électorat. De fait, il craint de plus
en plus une défection des votants, surtout parmi ceux qui ne se
rendront pas aux urnes au cours des premières heures de la matinée.
Ses adversaires, le président Hoss en tête, persistent
à dénoncer l’action haririenne durant les six années
où il s’est trouvé au pouvoir. Surtout suite à une
déclaration de l’un de ses alliés nordistes, M. Mohamed Fatfat,
selon lequel “l’eau et l’électricité n’avaient jamais manqué
à Tripoli et au Nord sous le gouvernement de M. Hariri”.
Ces propos. M. Fatfat les a tenus le jour même où le président
Hoss signait un protocole avec le Fonds séoudien pour le développement,
en vue du financement d’un projet devant assurer l’eau potable aux localités
nordistes. Ce qui infirme l’allégation du parlementaire de Dennieh.
Toutes ces tractations électorales et l’échange d’accusations
et d’insultes entre les candidats, ont fini par susciter un sentiment de
dégoût parmi les citoyens. Ce sentiment, le cardinal Sfeir
l’a exprimé sans ambages en qualifiant l’opération électorale
de “honteuse” et “d’affligeante”, disant qu’elle a dévié
de sa voie naturelle. Aussi, s’est-il adressé à la conscience
des électeurs, leur demandant de voter pour ceux qu’ils jugent capables
d’assurer une représentation digne de la volonté populaire.
La hiérarchie maronite a, d’ailleurs, adressé aux curés
des paroisses, une note circulaire leur demandant d’appeler leurs ouailles
à être très sûrs de leur choix et de déposer
des bulletins blancs dans les urnes, pour n’avoir pas à boycotter
le scrutin.
A ce propos, M. Najah Wakim, député de Beyrouth, qui
n’a pas posé sa candidature cette fois, a continué à
s’en prendre à la classe politique et à tous ceux qui contribuent
à la constitution de “listes préfabriquées”. Tout
en mettant en garde contre les “projets suspects” dont l’un viserait à
réaliser l’implantation des Palestiniens au Liban en contrepartie
d’une poignée de dollars”...
Cela dit, il apparaît que la bataille opposant le Pouvoir à
ses déctracteurs, porte en même temps sur la troisième
présidence, car une fois le scrutin terminé dans toutes les
circonscriptions, il s’agira de porter son choix sur le futur chef du gouvernement,
ainsi que l’a clairement signalé le président Nabih Berri
(lire ailleurs sa déclaration au cours de sa rencontre avec M. Melhem
Karam, président de l’Ordre des journalistes).