APRÈS LE NORD ET LE MONT-LIBAN
LA FIÈVRE ÉLECTORALE SE TRANSPOSERA AUX AUTRES CIRCONSCRIPTIONS

La confusion la plus totale caractérise la bataille électorale en cours, à cause de la non-application de l’article 68 de la loi régissant l’audiovisuel. Une tentative visant à régler ce problème a eu lieu, cette semaine, mais n’a pas abouti à un arrangement à l’amiable.

Aussi, on a écarté la possibilité pour le Conseil des ministres de prendre quelque mesure destinée à mettre un terme à ce duel électoral ayant atteint des proportions inhabituelles, les candidats échangeant les accusations et les insultes, ce qui risque de dénaturer l’opération démocratique.
Le temps ne permet plus d’œuvrer dans ce sens, car le premier round du scrutin aura lieu ce dimanche au Mont-Liban et au Liban-Nord. C’est tout juste si le gouvernement peut recommander aux médias audiovisuels de “s’autocensurer”, en les mettant en garde contre toute violation de la loi.
Le duel verbal s’est poursuivi avec plus de virulence, surtout après l’incident de l’Université américaine où un cameraman de Télé-Liban, Abbas Chéhab, a été agressé, sauvagement, par un ancien membre des FSI qui lui a fracassé l’épaule, ce qui a nécessité son hospitalisation. Dans le même temps, M. Rafic Hariri était accueilli par des dizaines d’étudiants hostiles ayant scandé des slogans dénonçant sa politique et ses projets.
De ce fait, la bataille à Beyrouth a revêtu un aspect politique, autant que confessionnel et sectaire. Ceci a pour conséquence de faire prévaloir la tendance ayant gagné de larges fractions de l’électorat beyrouthin, de ne pas déposer dans les urnes les listes (haririennes) telles qu’elles leur seront remises.
Pour cela, les résultats du Nord et du Mont-Liban se répercuteront sur le scrutin du 3 septembre, en ce sens que les alliances scellées à Beyrouth, dans la Békaa et au Liban-Sud risquent d’être sérieusement ébranlées.
On prévoit donc des élections particulièrement serrées dans la capitale, d’autant que la puissance de l’argent se manifeste sur une large échelle, ce qui a pour conséquence de rendre les électeurs perplexes, au point d’être portés à accorder leurs suffrages à des candidats, dont ils ne sont pas sûrs de la représentativité.
Dans ce cas, il faut s’attendre à une nouvelle législature ne traduisant pas les aspirations des citoyens et, surtout, non enclins à se pencher sur tant de problèmes auxquels ceux-ci sont confrontés, du moment qu’ils auraient vendu leur conscience.
L’incident survenu à l’Université américaine de Beyrouth lundi soir, au moment où Rafic Hariri s’y était rendu pour soi-disant inaugurer une nouvelle faculté, n’a pas manqué de retenir l’attention des observateurs. En effet, l’ancien chef du gouvernement a été empêché de prendre la parole à plus d’une reprise, par des étudiants excités qui ont dénoncé sa politique et ses projets qualifiés de “suspects”. M. Hariri a dû renoncer à lire un texte écrit pour haranguer l’assistance, en soulignant le droit des jeunes à exprimer leur opinion et à manifester.
Cependant, le fait pour le cameraman de Télé-Liban d’avoir été tabassé par un gradé (démissionnaire) des FSI, Saadallah Chalak - qui devait être arrêté par la suite - a électrisé l’atmosphère, d’autant que Chéhab a été hospitalisé d’urgence pour être soigné d’une fracture à l’épaule et de blessures aux bras et au cou. Les jeunes manifestants se sont élevés contre le fait de transformer le campus en un bazar électoral. Ceux-ci ont été pris à partie par d’autres de leurs collègues se réclamant du “courant du Futur” (haririen).
Les voies de fait dont a été l’objet le caméraman de Télé-Liban, a entraîné une réprobation de la part de M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes, contre la manière inadmissible de traiter avec les représentants des médias, la qualifiant de “rétrograde”.
Dans le même ordre d’idées, il y a lieu de faire état d’une plainte déposée par le président Kamel el-Assaad auprès du Parquet général près la Cour de Cassation, contre des inconnus, les accusant d’avoir investi sa résidence à Kfartibnite.
De leur côté, MM. Georges Frem et Nazem Khoury, candidats à Jbeil-Kesrouan, ont déposé une plainte contre leur adversaire, Emile Naufal, sous l’inculpation de diffamation et d’outrage.
A Tripoli-Zghorta, les deux listes concurrentes ont continué à s’invectiver, prenant à partie leurs adversaires réciproques. M. Sleiman Frangié insiste auprès des électeurs de voter pour toute la liste, alors que le président Omar Karamé a réitéré ses attaques contre “les candidats descendant en parachute” et contre ceux parmi eux qui utilisent l’argent pour assurer leur succès.
Dans une conférence donnée à l’invitation du Conseil de la Pensée à Abdelly (caza de Batroun); le président Karamé a appelé à la réouverture des dossiers suspects et réclamé que l’argent volé à l’Etat lui soit restitué, afin de pouvoir couvrir une partie de la dette publique et de combler le déficit budgétaire... “Ils ont dépensé quatre milliards de dollars pour la reconstruction, mais où est parti le reste de l’argent dont la dilapidation a provoqué le déficit du Trésor?”, s’est demandé l’ancien Premier ministre. Au cours d’un autre meeting électoral à Bejdarfel (caza de Batroun), le président Karamé s’est prononcé en faveur d’un gouvernement politique, formé de nationalistes connus pour leur compétence qui se préoccuperait d’améliorer les conditions de vie et de travail des citoyens.
A Tripoli, le fait le plus marquant a été la volte-face de la “Jamaa islamiya” qui, après s’être alliée à la liste karamiste, a tourné casaque pour prendre le parti de la liste adverse, celle dont MM. Sleiman Frangié et Najib Mikati sont les chefs de file.
La décision des islamistes a pour conséquence de rendre la bataille encore plus féroce. D’ailleurs, le président Karamé a bien déclaré que “la bataille se fera d’un quartier à l’autre et d’une maison à une autre maison dans la capitale nordiste”.
Une fois terminée la bataille au Nord et au Mont-Liban, la fièvre apparaîtra d’une façon plus accentuée à Beyrouth où M. Rafic Hariri commence à appréhender un revirement de la part d’une partie de l’électorat. De fait, il craint de plus en plus une défection des votants, surtout parmi ceux qui ne se rendront pas aux urnes au cours des premières heures de la matinée.
Ses adversaires, le président Hoss en tête, persistent à dénoncer l’action haririenne durant les six années où il s’est trouvé au pouvoir. Surtout suite à une déclaration de l’un de ses alliés nordistes, M. Mohamed Fatfat, selon lequel “l’eau et l’électricité n’avaient jamais manqué à Tripoli et au Nord sous le gouvernement de M. Hariri”.
Ces propos. M. Fatfat les a tenus le jour même où le président Hoss signait un protocole avec le Fonds séoudien pour le développement, en vue du financement d’un projet devant assurer l’eau potable aux localités nordistes. Ce qui infirme l’allégation du parlementaire de Dennieh.
Toutes ces tractations électorales et l’échange d’accusations et d’insultes entre les candidats, ont fini par susciter un sentiment de dégoût parmi les citoyens. Ce sentiment, le cardinal Sfeir l’a exprimé sans ambages en qualifiant l’opération électorale de “honteuse” et “d’affligeante”, disant qu’elle a dévié de sa voie naturelle. Aussi, s’est-il adressé à la conscience des électeurs, leur demandant de voter pour ceux qu’ils jugent capables d’assurer une représentation digne de la volonté populaire. La hiérarchie maronite a, d’ailleurs, adressé aux curés des paroisses, une note circulaire leur demandant d’appeler leurs ouailles à être très sûrs de leur choix et de déposer des bulletins blancs dans les urnes, pour n’avoir pas à boycotter le scrutin.
A ce propos, M. Najah Wakim, député de Beyrouth, qui n’a pas posé sa candidature cette fois, a continué à s’en prendre à la classe politique et à tous ceux qui contribuent à la constitution de “listes préfabriquées”. Tout en mettant en garde contre les “projets suspects” dont l’un viserait à réaliser l’implantation des Palestiniens au Liban en contrepartie d’une poignée de dollars”...
Cela dit, il apparaît que la bataille opposant le Pouvoir à ses déctracteurs, porte en même temps sur la troisième présidence, car une fois le scrutin terminé dans toutes les circonscriptions, il s’agira de porter son choix sur le futur chef du gouvernement, ainsi que l’a clairement signalé le président Nabih Berri (lire ailleurs sa déclaration au cours de sa rencontre avec M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes).

NADIM EL-HACHEM

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