DIX JOURS QUI ONT FAIT SOMBRER  LA GLOIRE
DE LA RUSSIE AVEC LE KOURSK DANS  LA MER DE BARENTS

118 marins reposent dans les eaux glacées à 108 mètres de fond de la mer de Barents, prisonniers d’un “sarcophage d’acier”. Les plongeurs norvégiens avaient fait 50 heures de bateau pour les en sortir vivants. Désormais, ils s’emploieront à récupérer leurs dépouilles. Et cela ne se fera pas en quelques jours. Il faudra peut-être des mois afin que leurs proches venus par trains entiers à Severomorsk et Mourmansk, dans l’espoir d’un miracle, puissent les y accueillir.


Photo d’archives de l’hiver 2000 montrant le Koursk.

Entre le 12 août, date du naufrage du Koursk, sous-marin à propulsion nucléaire et fleuron de la flotte russe et le 21 août, date où la mort des 118 marins a été officiellement annoncée, dix jours de grande turbulence sont passés. La colère, la révolte, l’amertume, l’indignation ont traversé la Russie de part en part, montrant qu’il existait bien un peuple et une opinion publique dénonçant des gouvernants encore sous l’emprise du carcan soviétique. Les cafouillages, les contradictions, l’embarras, l’incapacité des autorités responsables ont rendu encore plus poignant le drame vécu à l’échelle du pays comme une catastrophe nationale. Visé en haut lieu, le président Poutine qui jouissait d’une cote de popularité de 70% et était présenté parfois comme le Messie venu rendre sa dignité et sa grandeur à la Russie. Or, ce sauveur n’avait pas jugé utile d’interrompre ses vacances à Sotchi sur les bords de la Mer noire pour se rendre sur les lieux du drame et réconforter la population. Il n’est sorti de son silence que le 16 août pour rentrer enfin le 18 août à Moscou.
La question que tout Russe se pose: pourquoi les autorités ont-elles annoncé le 14 août un naufrage survenu le 12? Pourquoi ont-elles fini par accepter avec tant de retard les secours proposés par l’Occident? Ce n’est qu’à l’issue d’une conversation téléphonique entre Clinton et Poutine que ce dernier consentait à solliciter, le mercredi 16 août, les secours britanniques et norvégiens qui n’ont pu atteindre que le samedi 19 août la mer de Barents. Or, pour les vies humaines en détresse, chaque minute compte.
Jusqu’à mardi-mercredi, les appels au secours des marins qui tapaient sur la coque du sous-marin, étaient encore entendus. La dignité et l’honneur national justifiaient-ils un tel retard?
Huit tentatives infructueuses avaient été menées auparavant par la marine russe, à l’aide de cloches qui ont cherché en vain à s’amarrer sur le sas du sous-marin et des mini sous-marins rendus inopérants en raison des mauvaises conditions climatiques et des forts courants marins. C’est un mini sous-marin de sauvetage britannique de haute technologie de type RLS qui a été acheminé par avion au port norvégien de Trondheim où il a été chargé à bord du “Normand Pioneer”, pétrolier norvégien converti en bateau de sauvetage et accompagné d’un second navire transportant des plongeurs. Parvenus samedi 19 août en mer de Barents, les douze plongeurs norvégiens se sont relayés toutes les six heures pour inspecter le Koursk couché sur son flanc et sont parvenus à déverrouiller un sas de secours (un sas selon la définition du Larousse est une petite chambre munie de deux portes étanches, permettant de mettre en communication deux milieux dans lesquels les pressions sont différentes). Sous le sas, le 9ème compartiment où des survivants lançaient des SOS, était inondé. L’espoir de trouver intacts les autres compartiments s’est vite dissipé. Ils étaient totalement inondés. Plus de la moitié de l’équipage était mort sur le coup. Les autres noyés ou asphyxiés sous une pression atmosphérique insoutenable.
Annonçant officiellement la mort des 118 marins, l’état-major russe a demandé pardon aux familles des victimes. Poutine a tenté de se disculper en indiquant que “dès que nous avons eu connaissance de la tragédie, nous avons fait tout ce que nous pouvions faire”. Cependant, en 30 heures, les plongeurs norvégiens ont entrepris ce que les Russes ont été incapables d’accomplir en plus d’une semaine. Quelle humiliation?
 

Une jeune fille allume un cierge 
à l’église à l’intention des marins.

Poutine faisant son apparition “les 
larmes aux yeux” à l’assemblée des 
patriarches aux côtés d’Alexis II.

Le Koursk, mis en service en 1994, de classe Oscar II pouvant emporter 24 missiles balistiques, dont 10 exemplaires sont exploités actuellement en Russie et qui participait à des manœuvres en mer de Barents, devait prendre part en novembre prochain à la première campagne de la marine russe en dix ans en Méditerranée, illustrant ainsi la présence active de la Russie qui avait été ignorée lors de la guerre de l’Otan au Kosovo. Le rêve est parti en fumée à l’instar des espoirs que soulevait la marine russe. Or, un millier de bâtiments de la marine ont été abandonnés en l’espace de dix ans. Des sous-marins nucléaires, il n’en reste que le tiers, réduit à 76 unités. Seulement 10% des sommes nécessaires avaient été allouées à l’entretien des bâtiments au cours de cette période. C’est que l’armée russe manque cruellement de fonds. Le budget de la Défense atteint à peine les 5 milliards de dollars contre quelque 300 milliards affectés à la Défense américaine. Un conflit ouvert avait opposé récemment le ministre de la Défense, Igor Sergueïev au chef de l’état-major Anatoli Kvachine, au sujet du rééquilibrage des dépenses. Ce dernier défendait une baisse de 75% des têtes nucléaires au profit des forces armées groupant 1,2 million d’hommes, tandis que Sergueïev, au bord de la démission, soutenait la thèse contraire.
Par-delà la polémique, la Russie pleure aujourd’hui ses fils, comme elle a pleuré depuis 1960, 300 de ses marins, l’accident le plus poignant remontant au 7 avril 1989, lorsque le Komsomolets a fait naufrage en mer de Barents et qu’une partie de l’équipage a pu être sauvée, tandis que 42 marins avaient péri noyés. Un incendie avait été alors déclaré à bord.
Dans le cas du Koursk, plusieurs hypothèses contradictoires sont avancées. Les autorités russes persistaient à croire en une collision du sous-marin avec un navire étranger, britannique selon toute vraisemblance, ce que les Britanniques ont nié avec véhémence. La collision pourrait bien avoir eu lieu avec un bâtiment russe en cours de manœuvres, comme avec un engin datant de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est certain, c’est que le Koursk a été victime de deux explosions, la seconde de plus grande intensité que la première et qui ont été enregistrées aussi bien par les Russes, que les Norvégiens, les Britanniques, les Américains. C’est cette question qu’il faudra examiner et à laquelle le peuple russe, ainsi que la classe politique réclament une réponse satisfaisante. A l’instar de nombreux députés de la Douma, l’ultra-libéral Boris Nemtsov a demandé la formation d’une commission d’enquête parlementaire qui “devrait examiner deux questions essentielles: d’abord, quelle est la cause réelle de la catastrophe? Ensuite, est-ce que notre gouvernement et notre président ont tout fait pour sauver nos marins?”


La douleur d’une épouse soutenue par un membre d’équipage.

Dans l’espoir qu’une pollution nucléaire n’ait pas eu lieu ou ne risque pas de menacer à terme l’environnement, les Russes sous le choc ne savent pas comment panser leurs blessures. Poutine a décidé de tripler les allocations aux familles des victimes assistées, désormais, de pyschologues. Les gestes de contrition de l’état-major de l’armée qui reconnaît certaines erreurs se multiplient. Mais le mal est fait. “Il s’agit du désastre le plus grave qu’en qualité de marin, j’ai connu dans l’histoire de la flotte sous-marine”, a avoué l’amiral Mikhaïl Motsak, chef d’état-major de la flotte du Nord. La gloire de la Russie a sombré avec le Koursk en mer de Barents.
 

Deux marins russes se portant 
au secours du Koursk.

Photo retransmise par la chaîne 
télévisée publique RTR illustrant 
l’opération de sauvetage entreprise 
par les plongeurs norvégiens.
Enfin, les drapeaux ont été mis en berne au Kremlin.
Mercredi 23 août a été décrété jour de deuil national.
Vladimir Poutine tout de noir vêtu s’est rendu dans le Grand Nord à Viadiaëvo, port d’attache du Koursk pour partager la douleur des familles éprouvées et assister à une cérémonie officielle à la mémoire des marins reposant au fond de la mer.

EVELYNE MASSOUD

Home
Home