Photo d’archives de l’hiver 2000 montrant le Koursk.
Entre le 12 août, date du naufrage du Koursk, sous-marin à
propulsion nucléaire et fleuron de la flotte russe et le 21 août,
date où la mort des 118 marins a été officiellement
annoncée, dix jours de grande turbulence sont passés. La
colère, la révolte, l’amertume, l’indignation ont traversé
la Russie de part en part, montrant qu’il existait bien un peuple et une
opinion publique dénonçant des gouvernants encore sous l’emprise
du carcan soviétique. Les cafouillages, les contradictions, l’embarras,
l’incapacité des autorités responsables ont rendu encore
plus poignant le drame vécu à l’échelle du pays comme
une catastrophe nationale. Visé en haut lieu, le président
Poutine qui jouissait d’une cote de popularité de 70% et était
présenté parfois comme le Messie venu rendre sa dignité
et sa grandeur à la Russie. Or, ce sauveur n’avait pas jugé
utile d’interrompre ses vacances à Sotchi sur les bords de la Mer
noire pour se rendre sur les lieux du drame et réconforter la population.
Il n’est sorti de son silence que le 16 août pour rentrer enfin le
18 août à Moscou.
La question que tout Russe se pose: pourquoi les autorités ont-elles
annoncé le 14 août un naufrage survenu le 12? Pourquoi ont-elles
fini par accepter avec tant de retard les secours proposés par l’Occident?
Ce n’est qu’à l’issue d’une conversation téléphonique
entre Clinton et Poutine que ce dernier consentait à solliciter,
le mercredi 16 août, les secours britanniques et norvégiens
qui n’ont pu atteindre que le samedi 19 août la mer de Barents. Or,
pour les vies humaines en détresse, chaque minute compte.
Jusqu’à mardi-mercredi, les appels au secours des marins qui
tapaient sur la coque du sous-marin, étaient encore entendus. La
dignité et l’honneur national justifiaient-ils un tel retard?
Huit tentatives infructueuses avaient été menées
auparavant par la marine russe, à l’aide de cloches qui ont cherché
en vain à s’amarrer sur le sas du sous-marin et des mini sous-marins
rendus inopérants en raison des mauvaises conditions climatiques
et des forts courants marins. C’est un mini sous-marin de sauvetage britannique
de haute technologie de type RLS qui a été acheminé
par avion au port norvégien de Trondheim où il a été
chargé à bord du “Normand Pioneer”, pétrolier norvégien
converti en bateau de sauvetage et accompagné d’un second navire
transportant des plongeurs. Parvenus samedi 19 août en mer de Barents,
les douze plongeurs norvégiens se sont relayés toutes les
six heures pour inspecter le Koursk couché sur son flanc et sont
parvenus à déverrouiller un sas de secours (un sas selon
la définition du Larousse est une petite chambre munie de deux portes
étanches, permettant de mettre en communication deux milieux dans
lesquels les pressions sont différentes). Sous le sas, le 9ème
compartiment où des survivants lançaient des SOS, était
inondé. L’espoir de trouver intacts les autres compartiments s’est
vite dissipé. Ils étaient totalement inondés. Plus
de la moitié de l’équipage était mort sur le coup.
Les autres noyés ou asphyxiés sous une pression atmosphérique
insoutenable.
Annonçant officiellement la mort des 118 marins, l’état-major
russe a demandé pardon aux familles des victimes. Poutine a tenté
de se disculper en indiquant que “dès que nous avons eu connaissance
de la tragédie, nous avons fait tout ce que nous pouvions faire”.
Cependant, en 30 heures, les plongeurs norvégiens ont entrepris
ce que les Russes ont été incapables d’accomplir en plus
d’une semaine. Quelle humiliation?
![]() Une jeune fille allume un cierge à l’église à l’intention des marins. |
![]() Poutine faisant son apparition “les larmes aux yeux” à l’assemblée des patriarches aux côtés d’Alexis II. |
Le Koursk, mis en service en 1994, de classe Oscar II pouvant emporter
24 missiles balistiques, dont 10 exemplaires sont exploités actuellement
en Russie et qui participait à des manœuvres en mer de Barents,
devait prendre part en novembre prochain à la première campagne
de la marine russe en dix ans en Méditerranée, illustrant
ainsi la présence active de la Russie qui avait été
ignorée lors de la guerre de l’Otan au Kosovo. Le rêve est
parti en fumée à l’instar des espoirs que soulevait la marine
russe. Or, un millier de bâtiments de la marine ont été
abandonnés en l’espace de dix ans. Des sous-marins nucléaires,
il n’en reste que le tiers, réduit à 76 unités. Seulement
10% des sommes nécessaires avaient été allouées
à l’entretien des bâtiments au cours de cette période.
C’est que l’armée russe manque cruellement de fonds. Le budget de
la Défense atteint à peine les 5 milliards de dollars contre
quelque 300 milliards affectés à la Défense américaine.
Un conflit ouvert avait opposé récemment le ministre de la
Défense, Igor Sergueïev au chef de l’état-major Anatoli
Kvachine, au sujet du rééquilibrage des dépenses.
Ce dernier défendait une baisse de 75% des têtes nucléaires
au profit des forces armées groupant 1,2 million d’hommes, tandis
que Sergueïev, au bord de la démission, soutenait la thèse
contraire.
Par-delà la polémique, la Russie pleure aujourd’hui ses
fils, comme elle a pleuré depuis 1960, 300 de ses marins, l’accident
le plus poignant remontant au 7 avril 1989, lorsque le Komsomolets a fait
naufrage en mer de Barents et qu’une partie de l’équipage a pu être
sauvée, tandis que 42 marins avaient péri noyés. Un
incendie avait été alors déclaré à bord.
Dans le cas du Koursk, plusieurs hypothèses contradictoires
sont avancées. Les autorités russes persistaient à
croire en une collision du sous-marin avec un navire étranger, britannique
selon toute vraisemblance, ce que les Britanniques ont nié avec
véhémence. La collision pourrait bien avoir eu lieu avec
un bâtiment russe en cours de manœuvres, comme avec un engin datant
de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est certain, c’est que le Koursk
a été victime de deux explosions, la seconde de plus grande
intensité que la première et qui ont été enregistrées
aussi bien par les Russes, que les Norvégiens, les Britanniques,
les Américains. C’est cette question qu’il faudra examiner et à
laquelle le peuple russe, ainsi que la classe politique réclament
une réponse satisfaisante. A l’instar de nombreux députés
de la Douma, l’ultra-libéral Boris Nemtsov a demandé la formation
d’une commission d’enquête parlementaire qui “devrait examiner deux
questions essentielles: d’abord, quelle est la cause réelle de la
catastrophe? Ensuite, est-ce que notre gouvernement et notre président
ont tout fait pour sauver nos marins?”
La douleur d’une épouse soutenue par un membre
d’équipage.
Dans l’espoir qu’une pollution nucléaire n’ait pas eu lieu ou
ne risque pas de menacer à terme l’environnement, les Russes sous
le choc ne savent pas comment panser leurs blessures. Poutine a décidé
de tripler les allocations aux familles des victimes assistées,
désormais, de pyschologues. Les gestes de contrition de l’état-major
de l’armée qui reconnaît certaines erreurs se multiplient.
Mais le mal est fait. “Il s’agit du désastre le plus grave qu’en
qualité de marin, j’ai connu dans l’histoire de la flotte sous-marine”,
a avoué l’amiral Mikhaïl Motsak, chef d’état-major de
la flotte du Nord. La gloire de la Russie a sombré avec le Koursk
en mer de Barents.
![]() Deux marins russes se portant au secours du Koursk. |
![]() Photo retransmise par la chaîne télévisée publique RTR illustrant l’opération de sauvetage entreprise par les plongeurs norvégiens. |