Saturnale


Par MARY  YAZBECK AZOURY

CANICULE ET FOLIE
Un proverbe chinois dit que “par grande canicule, il n’y a pas de grands hommes”. Il semble qu’il y ait un rapport certain entre la température ambiante et le comportement des vivants, tant des hommes que des animaux.
Les révolutions les plus sanglantes ont eu lieu pendant les mois de juillet et d’août. Les accidents les plus mortels, aussi. Il est certain que par grande chaleur, le sang monte à la tête et provoque presque le même effet que l’alcool ou la drogue.
Alors, pourquoi avoir choisi ces mois de canicule pour organiser des élections législatives au Liban?
N’aurait-on pu attendre l’automne ou le printemps? Le Liban n’est pas à une dérogation ou à une exception près. Depuis 1975, il ne s’est pas beaucoup embarrassé de rigueur. A chaque fois, on trouvait la parade: prolongement du mandat présidentiel, découpage électoral, pour ne citer que les deux cas les plus flagrants.
“L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres”.
Et quels égouts!

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UN PAPE “JEUNE” DE 80 ANS!
Extraordinaire, ce raz-de-marée enthousiaste de deux millions de jeunes, aux J.M.J. qui viennent de se tenir à Rome.
Une foule galvanisée a fait un triomphe à S.S. Jean-Paul II. Le Souverain Pontife sait apprécier la jeunesse et a lancé le proverbe polonais: “Le secret de l’éternelle jeunesse est de fréquenter des jeunes”.
Mais les hommes politiques libanais étaient bien trop occupés à tenir des meetings, à s’invectiver, à s’envoyer mille amabilités pour avoir suivi ces exaltantes Journées mondiales de la Jeunesse.
Nombre d’entre eux ont dépassé l’âge de la retraite. Nombre d’entre eux devraient se reposer. Il n’est pas donné à tout le monde d’être Camille Chamoun, Konrad Adenauer ou Winston Churchill; de garder leur tête et... leur cœur au-delà d’un âge plus que certain.
Comme dans les pays civilisés, on fait passer des tests aux conducteurs, aux pilotes, à tous ceux qui assument une responsabilité. Il serait judicieux de faire passer un examen de santé générale à ceux qui sont censés légiférer ou même nous gouverner. Si la jeunesse n’est pas une preuve suffisante de compétence, la vieillesse, non plus, n’est pas une condition sine qua non de savoir gouverner. Jamais gouvernement tel que celui-ci n’a réussi l’exploit de faire partir un maximum de jeunes Libanais en un minimum de temps...

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VOTEZ POUR LES “DÉSINTÉRESSÉS”
Tous les candidats libanais aux législatives 2000 jurent leurs grands dieux que s’ils se présentent c’est, uniquement, pour servir par pur altruisme, par abnégation, par générosité, etc... Toutes sortes de foutaises. Eh! bien, il faut les prendre au mot.
Que le Libanais ne vote que pour le candidat qui promet s’il est élu de donner au moins un mois de ses indemnités faramineuses (surtout si on les compare au salaire minimum), pour la création de bourses scolaires ou universitaires, ou n’importe quelle œuvre caritative.
Il est évident que les promesses n’engagent que les personnes qui y croient. Les candidats pourraient se rétracter, mais les électeurs sauront, au moins, à quels faux jetons ils ont à faire.

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LE RÔLE DE DÉPUTÉ EST DE RENDRE SERVICE!
Un député, ancien ministre, a péroré pendant deux heures à la TV, pour expliquer que le rôle de député n’est pas celui de se mettre au service de ses électeurs.
De son ton pompeux, il a déclaré que le député a pour devoir de légiférer, de contrôler l’Exécutif, etc...
Nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais un des devoirs du député est de s’occuper aussi de ceux qui ont voté pour lui en lui déléguant ce pouvoir.
Dans tous les pays démocratiques et nombre des émigrés libanais le confirmeront, dès qu’ils ont un ennui, ils s’adressent à leur député et n’hésitent pas à aller le rencontrer ou même à le harceler; à le dénoncer dans la presse pour manquement à son devoir.
Ceci se passe dans les pays civilisés avec des gens considérés comme des hommes d’honneur, jusqu’à preuve du contraire.
Mais allez savoir quel sens le mot “honneur” nos députés lui donnent.
Il y aurait dans la meilleure des hypothèses une dizaine à le savoir.

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NABIH BERRI: “LE LIBAN EST DEVENU ASFOURIEH”
Ce cri du cœur a été lancé par Nabih Berri, chef du Législatif.
A quoi devait-il s’attendre, quand les accords censés sceller la réconciliation des Libanais, a eu lieu à Taëf, ville où se trouve l’hôpital psychiatrique le plus important du Moyen-Orient?
Pour les jeunes qui ne savent pas ce qu’est “Asfourieh”, il faut expliquer qu’avant 1975, c’était l’asile psychiatrique célèbre situé sur la route de... Damas.
Asfourieh, Charenton, Abbassieh (au Caire), tous ont un même sens: la folie, souvent furieuse.
Y a-t-il de quoi s’étonner, ensuite, d’entendre parler de forces occultes, de fantômes, de revenants, de spectres et de zombis?
Encore heureux si, après les élections, cette démence, ce délire et cet égarement venaient à disparaître.
 
NE PAS PENSER!
Quel conseil peut-on donner à un Libanais en cette période de folie?
D’abord, de ne pas penser. S’il ne peut s’en empêcher, de ne pas parler. S’il ne peut s’en empêcher de ne pas écrire. S’il ne peut s’en empêcher, de ne pas signer. S’il ne peut s’en empêcher, de ne pas... s’étonner... de ce qui pourrait lui arriver.


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