Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
LE BILAN DES APPRENTIS SORCIERS
Contrairement à l’adage, la Montagne n’a pas accouché d’une souris. Ni d’un lion non plus, à moins de confondre Walid bey avec le roi des animaux, ce qui ne serait pas tout à fait exact non plus, le lion n’étant pas réputé pour sa finesse, ni pour ses cabrioles. Quant à la noblesse, c’est une notion tellement dépassée dans le Liban d’après Taëf, qu’il faudrait chercher dans un dictionnaire pour en redécouvrir le sens.
Pour en revenir à la Montagne - qui mérite, en l’occurrence, un M majuscule - dans un sursaut, dont les décideurs et autres autorités locales ne la croyaient plus capable, elle a signifié aux uns et aux autres que nul ne pouvait aliéner sa décision, ni la vassaliser.
Elle avait déjà donné une première leçon à ceux qui s’essayaient à la dictature, en 1992, lorsqu’elle avait boycotté un simulacre d’élections, en manifestant sa grogne par une abstention massive qui avait plafonné à 88% et, dans certaines régions, à Jbeil par exemple, à 97%.
En 1996, les malversations, pratiquées à grande échelle, avaient fait croire à certains qu’elle avait été définitivement mise à la raison et domestiquée. Ceux-là doivent, aujourd’hui, reviser leurs calculs et mettre la pédale douce à leurs machines électorales performantes technologiquement, mais auxquelles manque un certain lubrifiant psychologique. En un mot, la Montagne a dit zut en style empire à ceux qui s’imaginaient que les jeux étaient faits.
Pourtant, personne ou presque, ne pensait que le Kesrouan-Jbeil allait manifester une telle mauvaise humeur; que le Metn, malgré Bourj-Hammoud, s’accrocherait contre vents et marées à Nassib Lahoud et à Pierre Gemayel; qu’il n’y aurait que deux rescapés dans Baabda-Aley d’une liste que l’on prétendait imbattable et qu’au Chouf, le renard de Moukhtara (le mot renard n’a rien d’offensant, n’appelait-on pas le maréchal Rommel “le renard du désert”?), allait caracoler à la tête de 20.000 voix d’avance sur ses adversaires.
Cela ne signifie pas que les résultats de ces élections sont, tant au Mont-Liban qu’au Nord, tout à fait satisfaisants. Il y a parmi les perdants des hommes de valeur que nous aurions voulu voir siéger place de l’Etoile, comme nous ne pouvons que déplorer le nombre des élus qui auraient dû être renvoyés chez eux bredouilles. Malheureusement pour cela, il nous aurait fallu des élections à la suédoise, ce qui n’est ni dans notre tempérament, ni dans la tradition de nos voisins.
Quoi qu’il en soit, beaucoup de gens s’accordent à dire qu’il n’y a pas eu de triche au niveau des urnes, ni de falsifications, ni d’arrestations abusives, ni de brutalités, à part l’étalage de muscles de Bourj-Hammoud. En fait, le pouvoir a su éviter les implications directes, pour procéder à ses manipulations dans la période pré-électorale.
C’est au niveau des alliances préfabriquées qu’ont eu lieu les pressions pour la formation de listes faites de bric et de broc, dont les membres, rassemblés, malgré eux, tiraient à hue et à dia.
Cette malencontreuse mise en boîte a été précédée, d’abord, par une loi électorale aberrante; ensuite, par un découpage de circonscriptions psychédéliques, noyautées par les parrains et les dinosaures, où l’électeur le plus téméraire et le plus averti n’oserait se risquer sans une bouée de sauvetage. C’était bien mal connaître cet électeur. Car, acculé dans ses derniers retranchements, sa réaction a été aussi violente qu’inattendue, prenant tout le monde de court et débouchant sur des résultats qui représentent un véritable pied-de-nez aux apprentis-sorciers.
Reste à analyser le vote de dimanche. Les stratèges de la république devront s’y atteler en faisant travailler un peu plus leurs méninges. Ils pourraient découvrir ainsi certaines réalités qu’ils s’acharnent jusqu’à présent à nier. Et d’abord, le fait que les méthodes en honneur chez nos frères arabes n’ont pas cours chez nous; ensuite, qu’il est malsain de vouloir faire l’impasse sur des personnes représentatives mais peu dociles, au bénéfice de pions amorphes et sans répondant populaire.
En troisième lieu, il est impossible dans ce pays de marginaliser la partie la plus vivante de la population. De plus, il est impératif de rectifier la trajectoire actuelle, en mettant sur pied un gouvernement de véritable union nationale, dont la première tâche consisterait à voter une nouvelle loi électorale assortie d’un découpage basé sur la représentativité, autrement dit: des circonscriptions uninominales dans la mesure du possible.
Enfin, à l’attention de ceux qui, à l’Est, ont appelé au boycott, qu’ils se demandent s’ils n’ont pas fait une boulette. Les résultats de la Montagne ne sont-ils pas là pour prouver que s’ils s’étaient jetés dans la bataille, ils auraient pu bouleverser le paysage politique et faire pencher la balance des forces dans le sens d’un meilleur équilibre?
Faut-il croire que l’Histoire des Chrétiens du Liban, comme celle du reste du monde arabe, n’est faite que d’occasions manquées? 

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