Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
DES HOMMES DE CHOC
Nous aurions bien voulu pousser un soupir de soulagement et nous écrier qu’après la pluie vient le beau temps. Malheureusement, il n’en est rien. D’abord, ce qui nous est tombé sur la tête n’est pas une simple pluie, mais une tornade. 
Quant au beau temps, le silence relatif qui a succédé au tonnerre et aux éclairs n’est pas une éclaircie, mais ce genre d’accalmie pourrie qui précède la tempête.
D’où soufflerait le vent, puisque Hariri, récolte engrangée, n’est plus en train de parcourir le pays, provoquant sous ses pas bruit et fureur? Se ferait-il discret, par hasard? L’imaginer serait méconnaître la dimension du personnage, son opiniâtreté, son goût pour le show, sa tendance à l’affrontement et ses méthodes de choc qui - assez souvent - choquent. Il ferait un piètre joueur de bridge; rien ne pouvant le convaincre de dire “passe” ou de faire le mort. Son truc à lui c’est le grand schelem. Ou tout ou rien et que le meilleur gagne! Et le meilleur de son point de vue ne peut être que lui.
En face - sans parler d’antagonisme - il y a un homme qui ignore ce qu’est un profil bas et dont l’obstination, devenue proverbiale, a donné des nuits blanches à Madeleine Albright, des cauchemars à Kofi Annan et au Liban 17 kilomètres de territoires arrachés, avec un rare acharnement, aux Israéliens auxquels personne n’a jamais pu rien arracher. C’est dire qu’Emile Lahoud ne serait pas facile à manier ni, à plus forte raison, à manipuler.
Les commentateurs et les analystes politiques prétendent que le chef de l’Etat pourrait être amené à composer. Je ne parierais pas là-dessus. Il est vrai qu’il a déclaré se tenir à égale distance de tous et affirmé qu’il appliquera les dispositions de la Constitution. Il est probable, aussi, qu’il restera fidèle à sa mission d’arbitre placé au-dessus de la mêlée. Mais il est également certain - sourcilleux comme il l’est de la sauvegarde du prestige de la présidence et de sa prééminence - qu’il occupera, jusqu’au dernier millimètre, la surface d’autonomie de décision qui lui sera concédée et usera toutes les prérogatives que lui reconnaît la Constitution.
Est-ce à dire que l’on se dirige vers une sorte de choc des titans? C’est une perspective évocatrice d’un tel désastre qu’il vaudrait mieux ne pas y penser, d’autant plus que les jeux - contrairement à ce que beaucoup pensent - ne sont pas faits.
Malgré la victoire fracassante du président Hariri, victoire qui en fait un interlocuteur incontournable du pouvoir, le problème ne se pose pas en termes d’être ou de ne pas être avec ou sans Hariri et rien n’est garanti même pour un homme qui, vu l’ampleur de cette victoire, se pose en leader incontestable d’une tranche essentielle de la population.
Il existe d’autres choix, dit-on, moins prestigieux sans doute, mais peut-être plus rassurants. Car, il faut avouer que l’ex-Premier ministre, non seulement n’est pas facile à vivre, mais à en croire ses récentes déclarations, ne semble pas avoir opéré le moindre virage depuis son précédent passage au pouvoir.
Il parle toujours de “ligne nationale” qui laisse supposer un tri entre les Libanais: les bons et les mauvais, les patriotes qui pensent comme lui et les traîtres qui se permettent d’autres idées. Il propose un gouvernement “homogène”. Que signifie “homogène”, alors que le pays presque unanime réclame un gouvernement d’union nationale? Homogène ne signifie-t-il pas: “un ensemble dont les éléments constitutifs sont de même nature”, autrement dit, un gouvernement monochrome?
Et dans ce cas, où trouveraient place les autres composantes de l’éventail politique national? Va-t-on poursuivre dans la voie de la marginalisation et de l’exclusion? Et qu’adviendra-t-il de l’économie de ce pays (pour ne parler que de cela), si devait se perpétuer cette politique du bord du gouffre?
Oui, les Libanais veulent Hariri. Ils l’ont exprimé à travers leurs bulletins de vote. Mais un Hariri revu et corrigé, régénéré, pourrait-on dire, par les espoirs que les électeurs ont placés en lui. Un Hariri qui connaît bien la  musique mais qui s’abstiendrait de jouer sa partition en solo.
Evoquer tous ces problèmes n’est pas tenter d’opposer la personnalité du chef de l’Etat à celle de l’ex-Premier ministre, ni poser une équation insoluble, ni jouer les cassandres en prophétisant une épreuve de force qui pourrait déboucher sur une crise de pouvoir, ni se complaire dans un scénario-catastrophe, mais essayer (dans la mesure de nos moyens) d’attirer l’attention des deux hommes forts de ce pays sur le fait (du moment que nous parlons scénario) que plusieurs réalisateurs ont coopéré - sans pour autant être “homogènes” - pour la mise en scène du très fameux AUTANT EN EMPORTE LE VENT et cela n’a pas empêché le film d’être un très grand chef-d’œuvre. 

Home
Home