Editorial



Par MELHEM KARAM 

LE PRÉSIDENT, UN GOUVERNANT ET UN HOMME

Deux expressions ont été innovées aux élections libanaises, dont le Liban est sorti plus perplexe qu’auparavant, car les Libanais ne cessent de s’interroger sur l’origine des vents ayant occasionné un changement qui a dépassé la vision des connaisseurs eux-mêmes. Même ceux-ci disaient que cinq visages tout au plus changeront dans la nouvelle législature, celle de la fin du second millénaire. Les connaisseurs ont pêché par méconnaissance. Le grand jeu aurait-il été pratiqué à l’insu de tous… au point que tous ont été surpris par le résultat? S’il en est ainsi, nous devons croire ceux qui disent qu’Oslo qui a duré près de huit mois, est resté un secret dans l’une des capitales d’Europe du Nord… la capitale de Norvège où les gens recherchent un prototype de probité, de justice et de  savoir qu’ils ont appelé “OMBUDSMAN” depuis la seconde moitié de ce siècle. Et nul ne sait s’ils y sont parvenus! 
La réalité des élections du Liban n’a été dévoilée qu’après la proclamation des résultats. Le dimanche 27 août 2000, les candidats ont utilisé les expressions vote “politique”, panachage “politique”, boycottage “politique”, la participation, aussi, étant “politique”. En plus de l’expression “logistique” chère au ministre de l’Intérieur qu’il a répétée non sans fierté!
Des élections “politiques”? Quand les élections ne l’étaient-elles pas? Aucune fois, les élections n’ont été “sociales” ou “culturelles”. Même à l’Académie française fondée par le cardinal Richelieu en 1635, les élections étaient politiques. Lafontaine, le poète connu pour sa carrure unique, n’a été admis parmi les “quarante Immortels” qu’à la suite de la lettre du cardinal leur disant “qu’il a promis d’être sage”.
Naturellement, le terme “politique” n’a pas été circonstanciel, ni éphémère et sans contenu. Il a été, qu’on le veuille ou pas, une preuve que les élections se sont déroulées sur une base... qui s’est clarifiée, le pays étant scindé en deux parties, chacune voyant les choses de base différemment de l’autre... quelque chose de nouveau a supplanté ce qui était auparavant.
Ceci est-il nouveau, effectivement? Il a cessé de l’être depuis 1976, date à laquelle avait commencé le jeu de la reconduction du mandat de l’Assemblée et, par la suite, parallèlement avec elle, de toutes les institutions, hormis celles qui ont refusé d’être immobilisées par le texte. Elles ont assuré les raisons de leur renouvellement, par voie d’élection. Depuis lors, tout a été immobilisé, la fournaise des événements ayant tout brûlé. Tout est resté immobile, sauf la mort. Seule elle a poursuivi sa marche routinière. La Chambre des députés s’est alors amenuisée. En 1991, nous avons comblé cet amenuisement du nombre par la nomination des députés, celle-ci ayant été, dans l’esprit des nommeurs, le prélude à la consécration des parlementaires nommés par l’élection en 1992 qui fut une sorte de dictée donnée à des élèves qu’ils ont accomplie sans fautes. Il en fut de même aux élections de 1996. Un autre devoir de dictée, également, accompli sans fautes. Aux élections de l’an 2000, les “fautes de dictée” se sont multipliées. Les élèves ont alors écrit ce qu’ils voulaient ou ce que veulent des instances autres que celles de 92 et 96.
Une fois de plus, cela est-il nouveau? Les bévues électorales au Liban sont-elles nouvelles? Pas du tout. Maintes fois cela s’est produit et des ministres faisant partie du gouvernement des élections avaient échoué. Cependant, ce genre de bavure provenait des organisateurs eux-mêmes quand ils constataient que les vents, généralement extérieurs, avaient modifié leur orientation.
Il en a été toujours ainsi. De la Chambre de 1943 à celle de l’an 2000. Il y a eu toujours loyalisme et opposition. Un loyalisme soucieux de se préserver et une opposition visant à le supplanter. Et le changement, qui ne le sait pas, était inspiré par le “Saint Esprit”! Il en fut ainsi dans le conflit entre le Bloc destourien et le Bloc national; entre le “Helf” et le “Nahj”. Entre les gens qui portaient le nom du maître du régime et ses détracteurs. Tout cela pour dire que le président de la République, la personne et l’instance, n’était pas étranger au conflit. Il en faisait partie. Il y était une présence organique: une fois en personne, quand le président était leader politique et, une fois, par personne interposée, lorsqu’il ne disposait pas d’un leadership populaire. Le président n’était pas l’Esprit-Saint, parce que le Pouvoir et l’Esprit-Saint sont incompatibles. Et comme tout le monde l’a vu, le président n’a jamais été épargné. Il a toujours été visé en permanence. Et en permanence, les gens tenaient deux langages: le premier disant que le président doit rester au-dessus des antagonismes et le protecteur de la Constitution: voir l’esprit partisan et s’armer d’abnégation; voir la partialité et s’armer de réalisme, voir la fraude et s’armer d’honnêteté. L’autre langage disait que le président est un homme et l’homme a l’esprit partisan par nature... le jour où il se classe lui-même,  en tant que partie et le jour où les adversaires du régime lui attribuaient ce qualificatif. Pourquoi donc, disait l’autre langage, est-il permis au président de la Chambre et au chef du gouvernement qui, après Taëf, préside le Conseil des ministres, d’être chacun un chef d’équipe ayant le droit de gouverner, de légiférer, et de se porter candidat, alors que le président de la République ne le peut pas?
Naturellement, le second langage n’a jamais été le nôtre, parce que le président est le premier Libanais. Il assure la protection de la Constitution.  Il est le seul à prêter serment présidentiel; ainsi, il devient l’exemple et le modèle. Mais est-il permis d’adresser des paroles dures au président, directement ou par ricochet, alors que lui se contente de garder le silence et d’accepter ce qu’on dit de lui? Le jour où il assuma le portefeuille de l’Information, Alain Peyreffite demanda au général de Gaulle de faire de la télévision l’un des moyens de l’information échappant à l’Etat. Le général s’y opposa en disant: Comment voulez-vous que je renonce à la télévision, alors qu’il ne me reste aucun autre moyen à travers lequel je m’adresse au peuple pour l’entretenir des problèmes de la nation? Les mass-médias écrits et audiovisuels sont détenus par la gauche qu’elle oriente dans la ligne de son choix. Puis, vous me le demandez au nom de la démocratie. La démocratie consiste-t-elle à laisser votre adversaire dire à votre sujet tout ce qu’il veut, alors que vous gardez le silence et lui donnez raison?
Le président est un homme, une opinion et une tendance. Il n’est pas permis d’en faire un prisonnier et un otage de la Constitution, rien que  parce qu’il doit en être le protecteur. Et puis, comment le président peut-il protéger la Constitution, s’il ne peut pas protéger sa propre position? Le président est prestige qu’effacent le silence et l’incapacité de répondre. Mais la réponse doit être d’un niveau élevé d’orientation. Le jour où il se ravale de ce niveau, il porte atteinte à la présidence et au président. 
Le président est un “homme” et un “gouvernant” et l’homme en lui ne doit pas éclipser le gouvernant. C’est pourquoi, il est engagé vis-à-vis de la démocratie, de la Constitution et de la haute discipline. Mais on ne doit pas toutefois imposer au “gouvernant” et à l’“homme” des gens avec qui l’équilibre du Pouvoir est rompu. En France, le temps de la “cohabitation” n’a pas été le plus heureux. Car, là, le “gouvernant” impose à “l’homme” ce qui dépasse la capacité  de l’homme à supporter. Au Maroc, Hassan II a appelé Abdel-Rahman Al-Youssoufi à présider le Cabinet et bien que l’une des deux personnes ne portait pas l’autre dans son cœur... et, au surplus,  des distances séparaient les deux hommes et quel “succès”!
Par ces propos, nous ne voulons pas faire du président de la République, quel qu’il soit, le leader de sa communauté comme d’autres présidents. Nous avons beaucoup pâti de cela. Le président est le pouvoir; demandons-lui un Pouvoir réussi. Bien plus, imposons-lui la condition du succès du Pouvoir quitte à lui réclamer des comptes, au lieu de lui imposer des personnes qui ne peuvent s’entendre avec lui... et alors c’est le Pouvoir, chargé de veiller sur le sort de la patrie et les intérêts des gens qui paiera le prix d’une alliance difficile.
La démocratie est engagement, non soumission et les consultations parlementaires sont une obligation, non une contrainte. Mettons de côté les principes constitutionnels, rien que pour la discussion, car la Constitution et la loi sont, en définitive, la voie de recours. Imaginons, un instant, le président de la République et le chef du gouvernement parler sur deux diapasons. Qu’en serait-il, alors? Comment pourrait-on traiter avec les moyens d’information? Et quel pouvoir serait ce pouvoir?
Puis, pourquoi tout cela? Le président a-t-il renié son serment? Ou le discours d’investiture? A-t-il adopté une position non nationale... avant et après la libération? Avant et après les élections? On pourrait dire que le Pouvoir est au-dessus de cela. Il est l’attention persévérante du responsable sur la sécurité du citoyen, sur l’école, les soins médicaux et toutes les garanties: de l’hospitalisation, au médicament et à la vieillesse finissant par procurer l’état optimum au citoyen.
Le Pouvoir fonctionnerait mieux entre des gens qui s’entendent. Le président n’impose pas et on ne lui impose rien. Que la démocratie, chez les gouvernants et les opposants à la fois, soit affranchie de l’humeur et du dépit. Nous en sommes encore à la seconde année d’un régime ayant à sa tête un chef courageux, probe, jouissant d’une haute moralité, ayant une vision futuriste et un esprit d’initiative, c’est le général Emile Lahoud.
Le dépit, s’il est toléré, c’est au début de la sixième année ou à la fin de la cinquième, comme avec tous les présidents. L’intérêt des gens et le destin national restant bien au-dessus de l’humeur et du dépit... 

Photo Melhem Karam

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