LA FLAMBÉE DE L’OR NOIR PARALYSE L’EUROPE ET MENACE LA CROISSANCE

Après les Français, les Belges ont éprouvé le plaisir de marcher à pieds et de rouler à bicyclette dans les principales artères de certaines de leurs villes habituellement bloquées par des bouchons interminables et polluées par l’incessant mouvement des véhicules. Ils ont été suivis par les Britanniques, les Néerlandais et ont donné des idées aux Suédois, Allemands, Polonais, Irlandais et Espagnols. Mais rapidement, le plaisir a tourné au cauchemar avec des pompes à sec, des files d’attentes interminables et la perspective d’un recours à la force, notamment en Grande-Bretagne. Enfin, c’est presque la panique aux portes de l’hiver.


Réunion des ministres de l’Opep à Vienne décidant de l’augmentation de la production pétrolière.

Ce sont les importantes concessions consenties par le gouvernement de Lionel Jospin (dont la gestion de la crise a été critiquée par les ministres de l’Economie de l’U.E. réunis à Versailles) aux patrons routiers et aux paysans, de l’ordre d’un milliard de francs selon les autorités, de 6,4 milliards de francs selon les quotidiens “Le Monde” et “Le Parisien”, mettant fin à une semaine de blocus des dépôts de carburants, qui ont encouragé leurs congénères à faire le siège des raffineries, provoquer des opérations-escargot, paralyser le trafic dans plus d’une ville d’Europe et réclamer une réduction des taxes  sur le fuel professionnel, soutenus par une opinion favorable, critiqués par les écologistes, dans un contexte de crise internationale.


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Camions bloquant les voies à Bruxelles.

Chauffeurs de taxi protestant à Liverpool.

Les cours de l’or noir flambent. Ils  ont atteint des niveaux jamais égalés depuis l’invasion du Koweit, il y a dix ans. Alors que la fourchette du prix du brut fixée par l’Opep est de 22 à 28 dollars le baril, celle-ci a été largement dépassée pour osciller entre 34 et 35 dollars. Ce qui représente non seulement une charge considérable aux transporteurs routiers, mais une menace sérieuse pour la croissance de l’économie mondiale bien partie sur sa lancée. La facture s’alourdit d’autant que l’euro connaît des accès de faiblesse et a perdu depuis son lancement 25% de sa valeur par rapport au dollar.


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Sous la pression de l’Occident, les ministres de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole, fondée à Bagdad le 14 septembre 1960 ayant Vienne pour siège et comprenant onze pays qui assurent 40% de la production mondiale) réunis le 10 septembre à Vienne, ont décidé d’ouvrir leurs vannes pour la troisième fois cette année (après mars et juin) et d’augmenter leur production, à partir du 1er octobre, de 800.000 barils par jour (bpj), soit de 3% à 26,2 millions de bpj, laissant espérer qu’ils pourraient revoir à la hausse cette proportion lors de leur réunion du 12 novembre, tout en conseillant les pays concernés de réduire la fiscalité frappant le carburant.
 

Au centre de Bruxelles, c’est le désert 
devant le siège du Conseil de l’U.E.

Bouchons sur les autoroutes d’Allemagne.

LES PRIX FLAMBENT
Contrairement à ce qui était escompté, les prix ont continué à flamber pour atteindre 34,50 dollars le baril sous l’effet de la spéculation mais, surtout, des besoins du marché. Car il faudrait au moins un million de barils supplémentaires par jour pour les satisfaire. Même si cela était le cas, il faudra attendre un an pour en ressentir les effets. D’ailleurs, de tous les pays producteurs de pétrole qui ont atteint le plafond de leur production à court terme, seuls l’Arabie saoudite, le Koweit et les Emirats seraient en mesure d’accroître leur pompage. La tendance des cours du brut ne serait donc pas actuellement à la baisse.


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Ce qui durcit les mouvements de protestation qui font tâche d’huile et s’expriment avec une intensité variable à travers l’Europe. Depuis dimanche, les principales artères de Bruxelles sont paralysées, la contagion risquant de gagner Liège. Les transporteurs routiers ont dressé des barrages et renforcé le blocus de nombreux dépôts et raffineries de pétrole à travers le pays gagné par la panique sans, toutefois, ébranler la ministre écologique des Transports, Isabelle Durant qui rejette toute révision des taxes, laquelle “donnerait un très mauvais signe aux pays producteurs de pétrole”.
 

Camions-citernes devant le parlement à Oslo.

Tony Blair: On ne mettra pas le pays à genoux.

En Grande-Bretagne, six des neuf raffineries du pays sont bloquées, le mouvement des routiers ayant gagné les agriculteurs et marins-pêcheurs. C’est le nord-ouest de l’Angleterre qui est particulièrement affecté. En début de semaine, la moitié des 250 stations-service manquaient déjà de carburant. Sur les 13.000 stations du pays, près de 300 avaient été contraintes de fermer. A Londres, c’était déjà la ruée vers l’or noir dans les stations-services déjà à sec.  Devant la gravité de la crise, Tony Blair qui avait tenu un langage musclé (“Nous ne pouvons et ne modifierons pas la politique gouvernementale sur le carburant sous la pression”), a dû annuler un déplacement dans le nord de l’Angleterre pour tenir une réunion de crise avec ses ministres. Il n’exclut pas un recours à la force, d’autant que les compagnies pétrolières se déclarent prêtes à distribuer l’essence sous protection policière.
Tony Blair refuse que l’on mette “le pays à genoux” et se montre disposé à relever le défi. Mais au Royaume-Uni comme partout ailleurs, la sortie de la crise est forcément liée à des concessions.

Par EVELYNE MASSOUD

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