tribune
POUR MÉMOIRE
C’est une infirmité commune à tous ceux qui se mêlent de politique: ils ont la mémoire courte. Beaucoup invoquent souvent “les leçons de l’Histoire”; en réalité, ces leçons-là on préfère les oublier. C’est pourquoi on peut retomber toujours dans les mêmes erreurs la conscience en paix. C’est ce qui permet à d’autres de prétendre que “l’Histoire est un éternel recommencement”...

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Nous venons d’avoir des élections générales. Ce n’est pas la première fois. Nous en avons eu aussi il y a quatre ans, en 1996.
Au lendemain de toute élection générale, on se préoccupe de former un nouveau gouvernement. Dans les pays de tradition démocratique, ce changement ministériel est la conséquence d’un changement de majorité parlementaire. C’est ainsi qu’on prend acte du vote populaire. Au Liban, nous avons cette singularité que les majorités parlementaires ne précèdent pas la formation des gouvernements mais les suivent. Autrement dit, la composition et le profil de la majorité parlementaire sont déterminés par la composition du Cabinet ministériel. L’inverse n’est pas vrai, car il n’y a pas de majorité parlementaire issue des élections.
C’est ce qui permet aujourd’hui à un Michel Murr de jouer sur les mots et de contester la présentation par la presse du résultat des élections. Les journaux annoncent “victoire de l’opposition” et M. Murr de répondre: “Il n’y avait pas de candidats gouvernementaux pour parler d’opposition. Il y avait des ministres-candidats, mais l’Etat était neutre.
Fort bien! Qui a gagné? Qui a perdu? Des individus. Certains étaient associés dans des listes.
A partir de là, faites-nous un gouvernement. Les coalitions électorales gagnantes offrent-elles maintenant une base pour une formule ministérielle?
On aura beau souhaiter un “gouvernement homogène”, il faut se rendre à l’évidence: au Liban, le pouvoir ne peut être, valablement tenu, que par une coalition plus ou moins large et toujours hétéroclite.

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Or, au vu des résultats des élections qui font apparaître un Hariri comme le chef d’une vaste coalition parlementaire, il est bon de se souvenir de la précédente accession de M. Hariri au pouvoir, au lendemain des élections de 1996.
A cette époque, bien que son succès électoral n’avait pas l’ampleur de celui d’aujourd’hui, il n’avait pas de concurrent pour former le gouvernement. Il l’a donc formé. Il le voulait “homogène”, alors que le président de la République, M. Hraoui, préconisait une coalition représentative de plusieurs tendances. Finalement, le nouveau Cabinet a été l’exacte réplique du précédent. De l’expérience passée, on n’avait rien retenu, rien appris.
Aujourd’hui encore, les amis de M. Hariri, sinon lui-même, multiplient les déclarations pour souhaiter un Cabinet “homogène” avec M. Hariri à sa tête.
Qu’est-ce qu’un Cabinet homogène au Liban, alors qu’il n’existe pas ici un parti majoritaire avec un programme déclaré? Ce qu’on semble donc réclamer, c’est un gouvernement composé de ministres entièrement aux ordres de son chef.
Ce débat est la répétition exacte de celui qu’on a connu au lendemain des élections de 1996. Alors, il n’a mené à rien et il ne mènera à rien aujourd’hui.
A l’époque, la gestion du précédent Cabinet Hariri était très contestée. Un Joumblatt, par exemple, qui était alors ministre, accusait le chef du gouvernement d’occulter le Conseil des ministres. Les problèmes économiques et financiers étaient devenus alarmants. Les journaux faisaient état d’un rapport du Fonds Monétaire International et d’un rapport de la Banque Mondiale très critiques du plan de reconstruction et du gonflement de la dette publique qualifiée de “bombe à retardement”. Le plan “Horizon 2000” était jugé trop ambitieux et irréaliste, etc... M. Hariri, dans divers discours, montrait qu’il était conscient de cette situation et c’est pourquoi il réclamait une équipe plus homogène. Mais ce n’était qu’une attitude, une pause devant les caméras.
En réalité, “l’ordre des priorités n’est plus celui des besoins de l’Etat et du citoyen, comme nous le notions ici-même, mais celui d’un chef d’entreprise, dont les plans dépassent les possibilités du pays. L’ambition de l’actuel et futur chef du gouvernement est une belle ambition. Encore faudrait-il qu’elle tienne mieux compte du facteur humain et des contraintes administratives dans un pays que 17 ans de guerre ont profondément désorganisé”.
Et on en arrivait à cette question: “Est-ce trop tard? En attendant la formation du gouvernement, la visite cette semaine de M. Hariri à Washington apportera peut-être une réponse”.

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C’était le 19 octobre 1996. Alors, on espérait beaucoup de la réunion, deux mois plus tard, des “Amis du Liban” pour des investissements et des prêts. Il n’y a pas eu de réponse. Et la situation a continué de se dégrader jusqu’à la tentative de remise en ordre entreprise par M. Salim Hoss et qui vient maintenant d’être sanctionnée par le vote populaire. Et c’est à Beyrouth que se réunira bientôt la conférence internationale pour aider à la reconstruction du Liban-Sud. Comment les puissances amies pourront-elles se déterminer devant tant d’incohérence et d’incertitudes politiques?
Les leçons de l’Histoire ne sont jamais retenues. Il y faudrait une très grande dose de modestie et ce n’est pas la caractéristique de ceux qui sont sortis triomphants des urnes.
Quant à interpréter le vote populaire comme une condamnation de la politique de M. Hoss, c’est donner une image tout à fait fausse du déroulement de la campagne électorale. Elle n’avait été marquée par aucun débat d’idées pour venir prétendre maintenant que l’électeur donnait à son vote une signification de politique générale. 


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