Au moment où le président Nabih Berri annonçait
aux membres de l’Assemblée le retour de M. Rafic Hariri à
la présidence du Conseil, le “communiqué des archevêques”
a produit un choc, car il soulevait des questions particulièrement
délicates, en tête desquelles le dossier relatif à
la présence militaire syrienne au Liban, invoquant à ce sujet
la résolution 520 du Conseil de Sécurité qui exige
le retrait de “toutes les forces étrangères”.
Le communiqué mentionné évoque bien des points
qui sont au centre des préoccupations et des obsessions des citoyens,
notamment la prolifération de la main-d’œuvre syrienne, la concurrence
faite aux produits libanais par ceux exportés de Syrie. De plus,
il réfute l’allégation des pro-Syriens selon laquelle “un
retrait des forces syriennes aurait pour conséquence de provoquer
une sédition interne”.
Selon des sources politiques de haut niveau, le fait le plus grave
réside dans l’évocation de la résolution 520, ce qui
donne à penser que Bkerké disposerait de données régionales
ou internationales lui ayant permis d’adopter à ce sujet une position
ferme.
A ce propos, l’uléma Hussein Fadlallah a accusé les Etats-Unis
“de fomenter des réactions hostiles à la Syrie sur la scène
libanaise”.
Ces réactions ont entretenu un climat enfiévré,
rappelant celui ayant précédé les douloureux événements.
Aussi, une tendance s’est-elle dessinée dans les milieux officiels
et politiques en faveur d’une action en profondeur destinée à
prévenir de nouveaux dérapages. Et ce, à travers un
Cabinet d’entente permettant d’associer la plus large frange possible de
la nation à la prise des décisions concernant les questions
vitales.
DÉBUT DE DÉTENTE
D’ores et déjà, on détecte un début de
détente, preuve en est le ton plus modéré des dernières
déclarations de cheikhs Mohamed Rachid Kabbani, mufti de la
République et Abdel-Amir Kabalan, vice-président du Conseil
supérieur chiite (en l’absence de l’imam Chamseddine qui se trouve
à Paris).
Les dignitaires religieux s’en tiennent à la prise de position
du chef de l’Etat qui, en qualifiant la présence militaire syrienne
en territoire libanais de “légale et de provisoire”, a dénoncé
la surenchère, appelant à un dialogue avec un sens poussé
de la responsabilité nationale. Aussi, laissent-ils à l’Etat
toute latitude de traiter cette affaire dans le cadre de ses responsabilités
constitutionnelles et de manière à préserver l’intérêt
supérieur de la nation.
On a constaté que cheikh Bahjat Ghaith, chef spirituel de la
communauté druze, n’a pas été invité à
la rencontre de Dar el-Fatwa, en même temps que cheikhs Kabbani,
Chamseddine et Kabalan, sans doute afin de ne pas remuer certaines susceptibilités
communautaires.
Pour en revenir au “communiqué des prélats maronites”,
il sied de signaler la réplique faite, indirectement, par S.Em.
le cardinal Sfeir, à travers sa dernière homélie dominicale,
dans laquelle il a posé cette judicieuse question: “Est-il préférable
de s’en tenir aux forces (armées) sans la confiance ou à
la confiance sans forces? Toute la question est là”.
Fait à signaler: la riposte la plus virulente au communiqué
de Bkerké a été celle de M. Sleiman Frangié.
Le député nordiste a mis en garde “contre le danger qu’il
y aurait d’engager le Liban dans les labyrinthes sombres par des cléricaux
que manipulent des services de renseignements étrangers” (sic).
“Nous en avons la preuve, ajoute-t-il, dans le fait que l’excitation des
passions sectaires ou confessionnelles est suscitée au moment où
l’opération de paix trébuche et où apparaît
la nécessité de disposer d’une carte de pression sur le Liban,
en vue de servir les desseins d’Israël et, aussi, d’embarrasser la
Syrie”.
M. Frangié en arrive à soutenir que “le dossier de la
présence militaire syrienne est un sujet que l’Etat libanais seul
est habilité à traiter et, spécialement, la Chambre
des députés qui représente la volonté du peuple”.
En revanche, le Conseil des ministres siégeant sous la présidence
de M. Salim Hoss, s’est limité à demander aux instances politiques
et religieuses “de prendre conscience de la gravité de l’étape
présente, lourde de pressions qui sont exercées sur le Liban
et la Syrie, pour servir les intérêts de l’Etat hébreu”.
Dans le même temps, le Conseil des ministres a mis l’accent sur
“l’importance des relations libano-syriennes, celles-ci devant reposer
sur des constantes de nature à sauvegarder les intérêts
communs aux deux pays”. En conséquence, il invite toutes les parties
à prendre conscience de la gravité de l’étape actuelle,
en s’abstenant d’adopter des positions extrémistes qui affecteraient
la paix civile et la sécurité du citoyen.
LAHOUD: DES INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
Le président de la République est intervenu pour clarifier
la nature des relations entre Beyrouth et Damas, affirmant que “le moment
auquel nous devrons nous prononcer sur la présence militaire syrienne
est commandé par des considérations en rapport avec nos intérêts
stratégiques, alors que l’ennemi israélien continue à
rejeter la paix juste et globale, tout en manœuvrant à l’effet d’implanter
les réfugiés palestiniens sur notre territoire.
“Toutes les prises de position proclaméees dernièrement,
a dit le président Lahoud, ne traduisent pas le climat du dialogue
national véritable; il leur manque la sérénité
et le réalisme, d’autant qu’elles ravivent les passions confessionnelles
et sectaires, ce qui ne sert en rien l’intérêt supérieur
de la nation”.
La prise de position présidentielle a eu pour objectif de décrisper
l’atmosphère et de rassurer les citoyens quant à l’avenir.
Le président de la République a blâmé, indirectement,
sans les citer nommément, les surenchérisseurs et ceux qui
soulèvent la question de la présence syrienne, en brandissant
des slogans ou en exprimant leurs craintes quant aux risques qui menacent
les libertés publiques, les droits de l’homme et la démocratie
au Liban.
Cela dit, les concertations sont déjà entamées,
en prévision des consultations parlementaires devant désigner
le nouveau Premier ministre et la formation de la nouvelle équipe
gouvernementale, celle-ci devant être, jusqu’à nouvel avis,
“politique et d’entente”.
Les milieux proches du palais de Baabda s’interrogent sur les raisons
qui incitent certains cercles politiques à plaider en faveur d’un
“Cabinet homogène” et y voient une tentative de pression en vue
de la constitution d’un gouvernement monochrome très peu recommandé
dans les circonstances présentes.
Il y a lieu de faire état, également, du manifeste diffusé,
la semaine dernière, par le “groupe de l’expiation et de l’immigration”,
dans lequel ce dernier menace d’assassiner huit députés
nordistes, si les prévenus impliqués dans les incidents de
Dennieh n’étaient pas élargis.
QUID DU SOMMET LIBANO-SYRIEN?
De même, la question de l’amnistie dont bénéficierait
le Dr Samir Geagea et le retour du général Aoun de l’exil
ne semblent pas devoir faire l’objet d’un examen rapide, pour le moment,
le régime étant préoccupé à redonner
un nouvel élan à son programme, dont les grandes lignes s’inspirent
du discours d’investiture.
En ce qui concerne la tenue éventuelle d’un sommet libano-syrien
et bien que l’idée en soit écartée à l’heure
actuelle, il n’est pas impossible que les présidents Lahoud et Bachar
Assad se rencontrent, incessamment, pour débattre de problèmes
d’intérêt commun. Dans ce cas, les chefs spirituels des communautés
religieuses seraient appelés à y prendre part, ainsi qu’un
certain nombre de personnalités politiques. Et ce, en marge des
réunions à huis clos que tiendraient les deux hommes d’Etat.