SUR FOND DE CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE
CHIRAC, LE QUINQUENNAT ET LES “CONFESSIONS POSTHUMES”
Le 24 septembre, près de 70% des 40 millions de Français sollicités par le référendum, sont restés sourds à l’appel de Jacques Chirac qui avait souhaité “que tous les Français prennent les dix minutes nécessaires, dimanche, pour aller voter”. Sept électeurs sur dix étaient restés chez eux. Mais ceux qui avaient pris la peine de se déplacer avaient, avec une majorité de 73%, approuvé la réduction du mandat présidentiel de septembre à cinq ans. Ils perpétuaient ainsi la tradition du référendum pour la neuvième fois dans l’histoire de la Vème République et la douzième fois dans leur histoire.
 
Allocution télévisée de Chirac au soir 
du référendum: “Ne jamais se laisser 
dissuader d’interroger les Français”.
Baise-main de Chirac à une fillette 
après avoir voté à Sarran.

Le général de Gaulle qui prisait cette forme de consultation populaire l’avait utilisée à cinq reprises. La première fois pour faire adopter le 28 septembre 1958, la Constitution de la Vème République, la dernière fois, pour proposer la réforme du Sénat et mettre en jeu son mandat le 27 avril 1969 et quitter, à la suite du vote négatif, le pouvoir .
Le dernier référendum en date remonte au 20 septembre 1992 et portait sur la ratification du traité de Maastricht acquise par un oui de justesse. Mais celui qui avait battu les records d’abstention (63,11%), le 6 novembre 1988, était relatif au statut de la Nouvelle Calédonie. Etant donné l’indifférence générale dans laquelle s’est effectuée la campagne tardive et sans état d’âme en faveur du référendum, les analystes politiques s’attendaient le 24 septembre à un fort taux d’abstention, mais pas dans de telles proportions. Les Français étaient démotivés par l’absence d’un clivage gauche-droite, peu intéressés à un choix qui se fera avec ou sans eux et déjà mobilisés par les turbulences politiques de la rentrée (démission de Jean-Pierre Chevènement, les dissonances au sein de la majorité plurielle, la grève des routiers, etc...) qui avaient fait chuter de vingt points la cote de popularité de Jospin et de neuf points celle de Chirac. Si le quinquennat pouvait diminuer les risques de la cohabitation, mettre la France au diapason des divers pays occidentaux, leur permettre de s’exprimer plus souvent, il ne changeait en rien les principes républicains et les règles du jeu féroce que se livrent les hommes politiques.
Lancée par Lionel Jospin, reprise par Valéry Giscard d’Estaing, l’idée du quinquennat a été mise sur rails le 5 juin dernier par Jacques Chirac qui la soumettait par référendum au choix des Français. Cette idée, si elle était largement partagée par la classe politique française à l’exception du courant de Charles Pasqua, s’exprimait sur différents registres et marquait les limites de la convergence de vues entre le président et son Premier ministre. L’un optant pour un quinquennat “sec”, l’autre pour une révision constitutionnelle adoptée par le parlement réuni en Congrès.
 
Dominique Strauss Kahn a reconnu 
avoir possédé la vidéocassette de Méry,
mais qu’il l’a par la suite égarée.
Témoignage posthume sur vidéocassette 
de Jean-Claude Méry.

LA PRESSE CRITIQUE...
Nullement décontenancé par le taux d’abstention record au référendum, le président français est intervenu le soir même à la télévision, rassurant les Français quant à la bonne santé de la démocratie et l’usage judicieux du référendum. “Il faut en faciliter l’usage, s’est-il obstiné, étendre les possibilités de référendum local et permettre le référendum d’initiative populaire”. Ce qui ne l’a pas épargné des flèches acerbes de la presse française: “grande claque”, “grève des urnes”, retentissant ratage proche de l’autodestruction”... Et ce qui a fait monter encore une fois au créneau Philippe de Villiers qui assène: “La dissolution a été une erreur stratégique payée cher. Avec 70% d’abstention, c’est un séisme dans la vie politique. Pendant ce temps, on ne dit rien sur la Corse, sur l’euro...” Tout aux antipodes, la Garde des Sceaux, Elizabeth Guigou, a estimé que ce référendum “est un exemple de démocratie apaisée”.
En fait, le référendum sur le quinquennat avait été éclipsé, quelques jours plus tôt, par une bombe politique: les confessions posthumes de Jean-Claude Méry publiées (14 mois après la mort de celui-ci des suites d’un cancer) dans l’édition du 21 septembre du quotidien “Le Monde” (et complétées par la suite). Elles avaient été enregistrées le 24 mai 1996 sur vidéocassette par les soins d’Arnaud Hamelin, un journaliste jouissant d’un haut degré de professionnalisme, propriétaire de Sunset Press. Le producteur de documentaires avait auparavant proposé de vendre la vidéocassette aux différentes chaînes de télévision et avait réussi après les révélations du “Monde” d’en livrer des extraits à hauteur de 200.000 à 200.000 F.
Ancien membre du comité central du RPR fondé par Jacques Chirac en 1976, l’homme d’affaires Jean-Claude Méry, un des “personnages-clés” du dossier des HLM de Paris dont l’enquête a été clôturée il y a un an, ayant fait cinq mois de prison entre 1994 et 1995, éclabousse par ses confessions d’outre-tombe presque toute la classe politique française et éclaire surtout le financement occulte du RPR, dans les années 80 à l’époque où Chirac était maire de Paris. Ayant bénéficié des marchés publics des HLM, “Méry de Paris” avait réussi à extorquer aux entreprises des fonds versés par la suite au RPR, ainsi qu’aux PS et PC. “Après plus d’un an et demi de bagarres, nous avons fini par arriver à une répartition des lycées (La Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux) et leurs filiales, révèle-t-il. Je les ai contraints à me verser un total sur cette opération, de 10 millions de francs que j’ai répartis moi-même à raison de 5 millions de francs pour le RPR, 1 million de francs pour le PC, 3,5 millions de francs pour le PS, le solde étant des commissions versées à gauche et à droite pour faire que le travail soit correct”. A noter qu’à l’époque, les partis politiques ne recevaient aucun financement public et que depuis, en vertu de la promulgation d’une loi à laquelle s’opposaient auparavant les Français, les campagnes électorales ont été soutenues par un financement légal et public.
C’est Chirac qui est le premier mis en cause puisque, de l’aveu de Méry, les 5 millions de francs avaient été versés en sa présence et celle de Michel Roussin, son ancien directeur de cabinet et conseiller à Matignon où il présidait en 1985 un gouvernement de cohabitation avec François Mitterrand.
C’est donc Chirac qui s’est indigné le premier, “indigné par le procédé, indigné par le mensonge, indigné par l’outrance (...) Il doit y avoir des limites à la calomnie. Hier, on faisait circuler une rumeur fantaisiste sur une grave maladie qui m’aurait atteint, sous-entendu, je ne serais plus capable d’assumer mes fonctions. Aujourd’hui, on rapporte une histoire abracadabrantesque. On fait parler un homme mort depuis plus d’un an, on disserte sur des faits vieux de quatorze ans.”


Photo d’archives du président Chirac (22 mai 1988)
le montrant au sud de la France avec l’ex-maire RPR
de Meymac, Georges Pérol, mentionné dans la seconde
partie des confessions de Jean-Claude Méry.

IMMUNITÉ PÉNALE
Le président de la République qui peut se prévaloir d’une immunité pénale le protégeant durant son mandat en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel arrêtée le 22 janvier 1999, a néanmoins demandé à la Justice de se saisir de l’affaire, étant entendu qu’il est difficile de faire parler un mort et de rendre définitivement crédible le témoignage d’une vidéocassette.
Les juges parisiens Marc Brisset-Foucault et Armand Riberolles ont saisi les “confessions posthumes” et interrogé les anciens avocats de Jean-Claude Méry pour retrouver l’enregistrement original de ces confessions et retrouver les traces des documents écrits dont elles annoncent l’existence.
Un nouvel élément est venu brouiller le paysage politique. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Economie, avait détenu l’original de cette cassette-testament, longtemps avant qu’elle ne soit révélée par “Le Monde” et a prétendu l’avoir égarée. Chirac a aussitôt demandé à Jospin qu’elle “soit diligentée, dans les meilleurs délais, une enquête au sein de l’administration fiscale, pour vérifier dans quelles circonstances et dans quelles conditions une transaction fiscale aurait pu être opérée” à l’époque où DSK avait reçu la vidéocassette. Selon Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR, l’entrée en ligne de DSK “est une affaire très grave, peut-être même d’ailleurs une affaire d’Etat”.
Le “timing” des révélations, les coups de boutoir lancés ces derniers temps au sujet de Chirac quant à sa santé, ses vacances coûteuses à l’Ile Maurice, prouvent que la campagne de la présidentielle de 2002 précédée des municipales au printemps prochain et des législatives, est bien lancée et que la bataille s’annonce féroce, voire cruelle. Les coups bas n’y manquent pas et pas une zone d’ombre du passé proche ou lointain n’échappera au scalpel des analystes.
En dépit de cette tempête politico-judiciaire, Chirac maintient, semble-t-il, la barre assez haut. Puisque selon un sondage BVA réalisé auprès de 954 personnes entre les 22 et 23 septembre, 78% des sondés affirment n’avoir pas changé d’opinion, à la suite des “confessions “ à l’égard du chef de l’Etat.

Par EVELYNE MASSOUD

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