La
question des rapports libano-syriens, telle que Bkerké l’a soulevée
plus solennellement que d’habitude, a donc suscité immédiatement
une réponse qui se voulait compréhensive et nuancée,
des autorités religieuses sunnites et chiites. La voie semblait
ainsi s’ouvrir pour un dialogue sérieux. La prise de position du
chef de l’Etat est alors venue couper court à ce genre de débat.
Les parties sont renvoyées dos à dos. La question des rapports
avec la Syrie ne relève que de la compétence de l’Etat, c’est
à cela que semble se résumer la réplique présidentielle.
Cela n’a pas empêché les sections libanaises des partis
politiques syriens (Baas et PSNS), ainsi que le Hezbollah et autres groupements
islamistes de s’indigner et de se voiler la face devant “l’audace” des
évêques. Les commentaires de la presse officielle de Damas
leur ont apporté des encouragements. Et c’est à peine si
on a évité une franche accusation de collusion avec Israël!...
Ainsi, on en arrive à cette conclusion que si, pour Bkerké
et pour les Muftis sunnite et chiite, le sujet peut être l’objet
d’un dialogue, en revanche, il n’est pas à l’ordre du jour des responsables
de l’Etat, ni à Beyrouth, ni à Damas.
On est donc prié de parler d’autre chose.
***
Or, on se trouve dans une période de mise en place d’une nouvelle
Assemblée nationale élue et de l’élaboration d’un
nouveau gouvernement issu de cette Assemblée.
Pour la formation de ce gouvernement, beaucoup de voix se sont élevées,
particulièrement parmi ceux qui préconisent le silence sur
les relations libano-syriennes, pour insister sur la nécessité
de choisir les membres du gouvernement en fonction du programme à
réaliser. En même temps, on parle d’un Cabinet largement représentatif
et d’équilibre national à respecter.
Sur la base de cette orientation, si illusoire qu’elle puisse paraître,
on pose un principe qui mène nécessairement à l’inclusion
dans le gouvernement projeté, des représentants des principales
tendances qui se sont exprimées sur ce sujet controversé
des relations avec la Syrie.
S’il doit en être ainsi, comme logiquement cela devrait être,
il ne sera plus possible d’éviter le débat. Et ainsi que
le chef de l’Etat vient de le préconiser, ce débat pourra
alors se dérouler dans le cadre des institutions représentatives
et non plus sur la place publique.
Autrement dit, pour être plus clair, le nouveau gouvernement
devra faire figurer dans son programme la révision des rapports
libano-syriens; faute de quoi, aucun des partisans de cette révision
ne pourrait y figurer, particulièrement les plus notables parmi
ceux qui se sont rendus à Bkerké pour manifester leur appui
au patriarche. Sans eux, on ne pourra plus prétendre à un
Cabinet largement représentatif et équilibré.
Il faut savoir ce qu’on veut.
***
Dans l’état actuel des choses, les rapports libano-syriens, tels
qu’ils fonctionnent depuis plus de dix ans, sont la conséquence
d’une situation de fait issue de la guerre civile et du rôle que
la Syrie y a joué. On peut, difficilement, soutenir qu’ils résultent
du libre choix des responsables de l’Etat libanais, quels qu’ils soient,
qui se sont succédé au pouvoir depuis 1990. L’orientation
était donnée par Damas et les responsables libanais lui ont
trouvé assez de justifications pour s’y conformer.
L’heure est venue de dresser un bilan et d’en tirer des conclusions
pour l’avenir dans un esprit de collaboration et de fraternité,
comme il se doit, selon Bkerké. C’est possible, ont répondu
le Mufti de la République et le vice-président du conseil
chiite, pourvu qu’on demeure fidèle au principe des “relations privilégiées”.
De son côté, le leader druze, M. Walid Joumblatt, qui est
censé participer à toute combinaison ministérielle,
a exprimé des idées dans le même sens, allant jusqu’à
invoquer la mémoire de l’émir Fakhreddine. Pourra-t-il se
dédire?
“C’est une affaire d’Etat”, a enfin proclamé le président
de la République.
L’essentiel est là. Si l’on veut bien ne pas s’appesantir sur
les réflexions accessoires qui, dans ces divers discours (et dans
beaucoup d’autres moins responsables) sont de nature à créer
le trouble dans les esprits, on s’emploiera, désormais, à
choisir les personnalités qui peuvent participer à un gouvernement
au sein duquel le dialogue sur l’évolution nécessaire des
rapports libano-syriens pourra s’engager et conduire à des propositions
satisfaisantes pour tout le monde.
Sur ce sujet, qui n’est pas nouveau dans l’Histoire agitée des
deux pays, il est temps de faire preuve de maturité politique, de
lucidité et d’honnêteté intellectuelle.
L’intérêt commun l’exige. |
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