Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
UN PRÉTEXTE COUSU DE FIL BLANC
C’est à la limite du ridicule. Chaque fois qu’un chrétien a le malheur d’aventurer le bout de son nez hors de la zone marginale de “haute sécurité” où les profiteurs de Taëf l’ont confiné et de hasarder une opinion si timide soit-elle, la nomenklatura taëfiste hurle à la lune et l’accuse d’être à la solde du “Mossad”. Mais quand c’est le patriarche maronite et la communauté des évêques qui s’arrogent ce genre de liberté, la claque de service se dresse comme un seul homme pour leur opposer la suppression du confessionnalisme politique.
A dada sur mon baudet! C’est la menace suprême: ou tu rentres dans les rangs, ou tu te vois transformer en zombie. Lamentable! On oublie - ou on fait semblant d’oublier - que c’est à Bkerké que l’on doit un pays qui s’appelle le Liban. Que c’est un patriarche maronite qui l’a arraché à Clémenceau au lendemain de la Première Guerre mondiale et que, sans le patriarche Hoyek, le Liban ne serait aujourd’hui qu’un nom poétique uniquement mentionné dans le Cantique des Cantiques.
Mais tel n’est pas notre propos. Notre propos est de comprendre ce que l’on veut bien signifier par “confessionnalisme politique”. En principe, cela désigne un système de gouvernement qui répartit entre les diverses confessions les postes et les sièges à la fois dans les corps exécutif, législatif, administratif d’un Etat, dans le cas d’un “conglomérat” de minorités, afin que nul ne soit lésé et que le gros poisson ne mange pas le petit.
Effectivement, pour le Liban, composé de dix-neuf communautés différentes, ce système avait marché presque sans à-coups depuis la proclamation de l’Etat du Grand Liban par le général Gouraud. Il a été repris et consacré, pour ainsi dire, par le pacte de 43, passé entre les présidents Béchara el-Khoury et Riad Solh.
Sous l’impulsion - entre autres - des Américains, qui n’ont jamais rien compris au Moyen-Orient, à part les gisements pétrolifères et le prix du baril, Taëf est venu parler de la suppression du “confessionnalisme politique”. Dans quel but? Celui de faire surgir du cataclysme libanais une société égalitaire? Certainement pas, quand on sait que l’atomisation des droits des minorités ne pouvait déboucher que sur l’hégémonie du nombre.
S’imagine-t-on, vraiment, que le fait de troquer un président maronite contre un président chiite allait opérer un véritable brassage dans la population, supprimer le fanatisme et le sectarisme, abolir les différences et propulser le pays en plein XXIème siècle?
Nous avons eu un échantillon de ce que pourrait être la loi du nombre au cours des dernières élections. Nous avons vu l’alliance chiito-chiite dans le Sud et la Békaa imposer des députés chrétiens, dont aucun chrétien ne voulait. Nous avons vu à Jezzine, par exemple, (à part Samir Azar), l’élection d’un maronite et d’un grec-catholique qui, en temps normal, n’auraient pu rassembler cinquante voix et qui doivent leur siège au fait d’être les hommes-liges du Hezbollah et de Nabih Berri. Et que personne ne nous dise que les électeurs du Hermel et ceux de Baalbeck se languissaient de Nader Succar et de Marwan Farès!
Enfin, pour parachever cette mainmise, M. Berri réclame que le Liban tout entier soit transformé en une circonscription électorale. Ainsi, les rares élus chrétiens (sans parler des Druzes) seraient tous des Nader Succar et des deux et cetera de Jezzine.
Et si l’on tient tellement à une démocratie exemplaire, pourquoi refuse-t-on la laïcité et la circonscription uninominale? Pourquoi cette levée de boucliers quand le président Hraoui a avancé son projet de mariage civil? Un projet qui, même facultatif, a fait se précipiter aux remparts le ban et l’arrière-ban de l’Islam libanais...
Il est temps qu’on cesse d’agiter l’épouvantail du confessionnalisme politique à la moindre occasion. Ce n’est pas la distribution des postes et des sièges qui éloignent les Libanais les uns des autres. Ce sont les statuts personnels qui constituent une véritable cause de division et une barrière infranchissable.
Où serait l’égalité des chances, si n’importe quel Libanais pouvait devenir président de la République, sans pouvoir épouser la femme qu’il aime, ni léguer ses biens à ses enfants d’une autre communauté?
En un mot, tant que certains se barricadent derrière leur religion pour voir dans la laïcisation une émanation du démon, la suppression du confessionnalisme politique     - devant réaliser un prétendu brassage de la population - n’est qu’un leurre, un prétexte cousu de fil blanc, un marché de dupes, dont personne n’est dupe, surtout ceux qui embouchent aujourd’hui les trompettes du jugement dernier. 

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