Editorial



Par MELHEM KARAM 

LIBAN: LA “MÉMOIRE” ET “L’HISTOIRE”

Combien j’ai souhaité voir la binette de ceux qui ont dit, à un moment donné et réitèrent, aujourd’hui, la nécessité d’abolir le confessionnalisme au Liban! Le confessionnalisme politique, disent-ils. Comme si le confessionnalisme chez nous et chez les autres est une chose et la politique en est une autre. Il existe un confessionnalisme politique à Chypre, en Irlande et en Israël. Preuve en est la réaction à la proposition de Ehud Barak de doter Israël d’une Constitution laïque.
Le parti “Shass” son allié capricieux, lui a dit que le fait d’envisager une telle Constitution, est une guerre culturelle divisant le peuple d’Israël. Une guerre culturelle? Tel n’est pas le souci de “Shass”, mais la partie religieuse, confessionnelle, juive et raciste, partageant les gens entre “Sefaradim” et “Eshkenaze”.
Peu de temps auparavant, le jour où Moshe Katzav, membre du Likoud d’origine iranienne, a été élu président de l’Etat hébreu, il a tenu des propos juifs: “Nous avons battu Pérès, dit-il, parce que nous ne voulons pas la paix, ni le nouveau Proche-Orient ou l’évangile de ce Proche-Orient” écrit par Shimon Pérès... En s’arrogeant le titre de rédacteur d’évangiles à l’instar de Mussolini et affirmant: Nous ne voulons pas un pays éveillé, ni de la gauche, mais un pays juif. Une patrie juive. Toutes ces paroles raides, par dépit pour Barak, comme l’a été l’élection de Katsav? Non, ce sont plutôt les paroles de la conviction juive, prononcées par ceux qui ont assumé de grandes responsabilités en Israël. David Lévy a démissionné du gouvernement Netanyahu, parce qu’il ne s’est pas engagé dans la voie de la paix. Puis, il a démissionné du Cabinet Barak pour s’être fourvoyé dans le chemin de la paix. Cette perplexité angoissée jusqu’à l’indécision, affecte le peuple juif tout entier. C’est pourquoi, il approche du jeu de la paix, après que les cartes du jeu sont tombées de sa main, mais n’oubliant jamais le terme “concession”. Même Jérusalem, cité des religions célestes, il n’y a renoncé que pour... Dieu. Il s’est comporté dans l’incident de l’Esplanade des mosquées, comme si ce dernier n’était pas l’une des maisons de Dieu.
Confessionnalisme politique partout où il existe. Le patriarche Alexis, suivant l’Histoire russe de Staline jusqu’à Poutine, a pris de la chute du communisme une tribune pour plus que la béatification du tsar Nicolas II Romanof, prononçant des paroles qui étaient dans son esprit depuis le temps du tsar rouge. Des paroles d’un Parquet général s’exprimant ex-cathedra, disant avec une grande assurance, que l’Eglise - il est ainsi dans l’esprit des gens et du patriarche - a sauvé la Russie de l’enfer du communisme avec le moins de perte possible. Quel âge ont ces paroles dans l’âme du patriarche; comme les paroles de la révélation des amis d’Israël en Russie? Il les a dévoilés et dénudés. En 1991, ils les a dénommés et parmi eux Soljenitsine. Puis, il a révélé les juifs tueurs des tsars, sans épargner les catholiques qui continuent à prêcher pour indiquer aux “fidèles” le droit chemin.
L’abolition du confessionnalisme au Liban est bien plus qu’une volonté facilement accessible. Ceux qui s’expriment ainsi, parfois de bonne foi, ont oublié que la mémoire publique, la mémoire véritable, n’oublie pas, elle, parce que ce temps est celui de l’impossibilité de réaliser la réconciliation dans le Kosovo, l’Irlande du Nord, et en Palestine. Jusqu’à ce qu’a émergé l’adoration de la mémoire, qui empêche de voir les drames des autres. A ce moment, l’Histoire devient plus équitable que la Mémoire. Cette nouvelle pensée européenne, l’Europe semble ne pas la voir. Sinon, comment comprendre les paroles du ministre allemand des Affaires étrangères, à Evian, sur le devoir pour la famille européenne d’exercer des pressions sur Yasser Arafat pour l’amener à accorder des concessions, parce que lui, Joshka Fischer, est inquiet sur la situation de Ehud Barak?
Le confessionnalisme chez nous et chez les autres, est une maladie qu’il faut soigner en permanence. Nous ne devons pas croire en avoir fini, chaque fois qu’une circonstance appelle au calme après les remous. Le confessionnalisme est pareil au volcan, dont l’apaisement suppose une nouvelle explosion, l’apaisement n’étant pas la dernière ligne dans le livre du salut, comme l’avaient cru, par erreur, les Américains. André Fontaine attribue, à ce sujet, à Francis Fukuyama une réflexion selon laquelle “la guerre froide a fermé le livre de l’Histoire”.
Après le mandat, il y a eu 1943. Nous avons pensé que c’était fini! Pourtant, nous savons qu’on ne peut mettre fin aux séquelles des guerres et de leurs horreurs par des pactes de paix. Yalta et Versailles auparavant n’ont été, tous deux, plus qu’un espoir qui s’est estompé. Le nôtre s’est dissipé en 1958. Ne sommes-nous pas, aujourd’hui, dans une situation pareille? 1958, appelée “révolution” avait entre autres causes, comme maintenant, des élections, une ingérence extérieure et une réclamation de la souveraineté.
1958 ayant pris fin de la manière que l’on sait, fut un prélude à 1973. A l’instar d’aujourd’hui, une “contre-révolution” ajoutée à la “révolution”, parce que le chrétien doit se révolter, ne serait-ce qu’en brûlant des pneus en 1958, pour aboutir à “ni vainqueur, ni vaincu”.
La messe du 14 septembre est quelque chose de cela. Puis, celle de Mayfouk. Afin que le communiqué de Bkerké tente de récupérer l’initiative des manifestations des “églises”, le président de la République étant venu s’emparer de l’affaire avec vitalité, équité et longueur de vue.
En termes francs, les manifestations des églises étaient la conséquence de contraintes prolongées. Car le fait d’empêcher les âmes d’extérioriser ce qu’elles ressentent en leur for intérieur, ne les empêche pas de s’y implanter. Pour, ensuite, se défouler d’une façon artificielle et non naturelle. Des fois, ceci est juste et parfois injuste. Le sentiment similaire auquel a fait face Salim Hoss, parce que, dit-on, il a renoncé aux droits des sunnites et au porphyre de la 3ème présidence. Ceci n’est pas exact. Salim Hoss s’est comporté avec Emile Lahoud, comme l’exige l’accord de Taëf devenu Constitution. Il était compréhensif et est resté président du Conseil, car la présidence du Conseil n’est pas et ne doit pas être dans l’expression “je suis l’Etat”; il en est de même pour la présidence de l’Assemblée et, également, de la présidence de la République. L’accord de Taëf a fait du président de la République, un président constitutionnel et rendu le président du Conseil des ministres responsable, avec le Conseil des ministres, des erreurs gouvernementales. Il a fait du président de la Chambre des députés une entité stable dont la présidence ne se termine qu’avec la fin du mandat de la législature qu’il préside.
De là, le président du Conseil est le fils de la majorité parlementaire, sans être le père de la majorité ministérielle dont le nombre atteint, parfois, un chiffre excédant les deux tiers, afin d’empêcher le tiers d’exercer son droit d’entrave. Même lorsque cela est dans l’intérêt du pays. Non, ce n’est pas cela que veulent nos frères sunnites, parce que ce sont des gens équitables, ne se laissant pas prendre au jeu des “bras de fer”, même en apparence, que le chef du gouvernement pratiquerait contre le président de la République. Les maronites, eux aussi et les chrétiens ne veulent pas d’un président de la République croisant le fer avec le chef du gouvernement.
Les sunnites, les maronites et tous les Libanais doivent vouloir et non se laisser guider. Que les présidents soient constitutionnels, toutes les présidences devant se conformer aux textes de la Constitution dans l’exercice de leurs prérogatives et dans la manière de traiter l’une avec l’autre.
Puis, en termes francs, toujours... est-ce avec la mentalité de la “vengeance” du sunnite Salim Hoss pour “l’instance sunnite” qui est la présidence du Conseil, que tout cela s’est passé? Non, non et non. Ce qui s’est produit au Liban aux dernières élections, doit être considéré comme la conséquence d’un changement de faits survenus au Liban et au Proche-Orient. Le retrait d’Israël du Sud. Et la venue de Bachar Assad en tant que président, en succession à son père, a été le second phénomène. Le troisième phénomène sont des erreurs ayant placé le gouvernement dans l’embarras et la perplexité... Ajoutons à celà un confessionnalisme qui nous a transposés dans le climat de 1958. Le climat de la “révolution” et de la “contre-révolution”.
De là pourquoi disons-nous de la Syrie et à la Syrie, ce qui se limite aux erreurs? Pourquoi restons-nous deux gens: les uns hostiles tout en étant dans leurs foyers et des gens qui vont à elle, ayant sur leurs lèvres des expressions autres que le blâme? Asseyons-nous avec les Syriens d’égal à égal et rappelons-leur les engagements et les pactes. Disons-leur que la Syrie a un rôle et une présence temporaires au Liban. Que nous sommes pour le Golan, comme pour le Sud et Jérusalem. Et que la critique n’est pas interdite, surtout la critique du gouvernant. Sinon, à qui les gens adresseront-ils leurs critiques?
En paroles plus franches, si la Syrie exerce une pression, pourquoi les Libanais acceptent-ils la pression? Parce que les gens ont peur? Quiconque craint la Syrie, craint d’autres qu’elle. Car, pour reprendre les termes de Karam Melhem Karam, il en est parmi les gens, certains qui ont peur, mais pas des gens qui ne font pas peur. Nos frères druzes, de Bani Maarouf disent: “Qui redoute des gens comme lui est dominé par eux”. La peur est dans les âmes.
Un dernier mot: que les instances temporaires et religieuses conservent leur droits à la parole. Qu’elles aient leur opinion dans les questions vitales. Qu’elles assument la responsabilité de leurs paroles devant la “mémoire” et devant “l’Histoire”. Si l’Etat est l’ultime recours, il n’est pas permis qu’il soit l’unique. Et il n’est pas permis que l’autre parole soit lourde pour lui. Quelle que soit cette dernière. Car nous aurions fui de la non-démocratie et aurions fait fuir la démocratie pour en échapper. 

Photo Melhem Karam

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