Saturnale


Par MARY  YAZBECK AZOURY

A DIEU VA. MAIS OÙ VA DIEU AU LIBAN?
Derrière un seul discours que de malentendus!
Tous les responsables libanais - passés, présents et futurs - sont pour l’union sacrée. Tous chantent l’“Hymne à la Joie”, version “Koulouna lel watan” (tous pour la patrie). Tous veulent sortir de cette ornière et débloquer l’économie; tous sont à la recherche d’un “nouveau contrat social”.
Grâce aux médiateurs, Nabih Berri en tête, la cohabitation entre le “futur-ancien” Premier ministre et le président Lahoud semble possible, réalisable.
Du moins jusqu’à nouvel ordre.
Car au Liban, il faut s’entendre, d’abord, sur le sens des mots. Dans les pays arabes en général, quand on ne parle pas, c’est qu’on ne pense pas... Mais, aussi, on pourrait ajouter quand on parle, on agit. On admire ceux qui, dans cet art de la parole, montrent le plus d’assurance et de brio. On n’attend pas qu’ils se mettent à l’ouvrage. Il suffit que le propos soit bien tourné.
Déjà Grimm écrivait au XVIIIème siècle: “Pour gouverner un Etat, créer des ressources, il faut autre chose que de bavarder à perte de vue.”
Mais au Liban, on a tendance à dire A Dieu Va, en attendant de savoir où Dieu va au Liban?

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RÉCLAMER LA LIBERTÉ: “UN PASSE-TEMPS NOCIF”
Connaissez-vous le livre récemment paru: “L’Evangile selon Ponce-Pilate?”
Si vous ne l’avez pas lu, ce n’est pas grave, c’est qu’une association d’idées a surgi, en écoutant et en voyant le ministre syrien de l’Information, M. Adnane Omrane, qualifier la question du débat politique au sujet des relations libano-syriennes de “hobby nocif”.
Le ton dédaigneux, méprisant et arrogant du ministre est inacceptable. On a beau vouloir être diplomate et éviter un esclandre, de tels propos exigeraient au moins une excuse.
Ceci se passait sous le nez du ministre libanais de l’Information, M. Anouar el-Khalil, qui n’en est pas à une bavure près. Pourtant, ce ministère de l’Information exige de la diplomatie autant, sinon plus, que celui du ministère des Affaires étrangères.
L’Appel de Bkerké a fait l’unanimité chez les Chrétiens et a reçu l’appui d’autres responsables non chrétiens, à savoir, en premier M. Walid Joumblatt, qui n’a pas hésité à prendre fait et cause pour l’“Appel”, en termes particulièrement clairs. Il a souligné la nécessité d’entamer “un dialogue rationnel et serein autour des objections du patriarche”.
En revanche, le député du Chouf a déploré les “communiqués virulents en réponse à cet appel”. Selon lui, l’Appel au dialogue sincère et paisible aurait dû satisfaire les protagonistes. Même la réponse officielle aurait dû émaner, à la rigueur du Premier ministre libanais et non pas d’un autre, qui a perdu une belle occasion de prouver qu’il est réellement au-dessus de la mêlée.
Si la parole est d’argent, le silence est d’or. Ceci est valable tant pour M. Adnane Omrane... que pour d’autres.

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L’ANSCHLUSS? CONNAISSEZ-VOUS?
C’est le 13 mars 1938 qu’Arthur Syss-Inquart, chancelier d’Autriche, proclame l’“Anschluss”, c’est-à-dire l’union de l’Autriche à l’Allemagne, à la suite de l’entrée de l’armée nazie en Autriche.
Hitler était entré dans l’ancienne capitale des Habsbourg, le lendemain dans un grand concours d’enthousiasme “Spontané” (Cela rappelle-t-il quelque chose aux Libanais?)
L’Autriche à qui le Traité de Saint Germain avait interdit toute union avec l’Allemagne, avait d’abord porté au pouvoir le chancelier Dölfuss.
Ayant dissous, en 1934, tous les partis sauf le sien et écrasé à coups de canon la cité ouvrière de Vienne, celui-ci avait été assassiné le 25 juillet 1934. Son successeur, le Dr Kurt Schuschnigg du Parti Chrétien Social tentait de rallier l’opinion autrichienne en faveur de la restauration monarchique, lorsque Mussolini l’avertit que l’appui italien lui était désormais retiré.
La Petite Entente - la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie - ainsi que la France lui ayant mesuré le leur et s’étant montrées assez molles, Schuschnigg se tourne vers Hitler cherchant à négocier.
Hitler refuse et envahit l’Autriche, sans rencontrer grande résistance.
L’Histoire est un éternel recommencement.
Les Libanais connaissent bien les “manifestations d’enthousiasme spontané” avec lancement de riz... et de fleurs.

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LE 15 MAI 1955: L’AUTRICHE REDEVIENT SOUVERAINE
Au Palais du Belvédère, le Traité d’Etat qui restitue à l’Autriche sa pleine souveraineté et prévoit le retrait de toutes les forces d’occupation est signé le 15 mai 1955. Le chancelier autrichien est Julius Raab.
Depuis l’écroulement du Reich allemand, il y a dix ans, le principe de la restauration d’une Autriche indépendante avait été proclamé par les Alliés.
La tension qui se produisit au lendemain de la guerre entre les Occidentaux et l’URSS, avait jusqu’ici empêché l’accord sur les conditions du Traité d’Etat et l’évacuation des troupes d’occupation.
Premier symbole d’une nouvelle politique de détente, satisfaction a été donnée à l’Autriche qui retrouve sa souveraineté, à condition d’observer une politique de stricte neutralité.

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NE PAS MENDIER AUX PORTES DES ÉGLISES ET DES MOSQUÉES
Il ne s’agit pas d’une enquête au sens propre du terme. C’est juste une question posée au hasard de nos rencontres à de nombreux Libanais et Libanaises.
“Quelles sont, à votre avis, les priorités du moment?”
Les réponses les voilà:
- En premier lieu, la sécurité, c’est-à-dire l’ordre, la confiance, la tranquillité.
- La prospérité. Se savoir à l’abri du besoin. Savoir que sa famille ne manque de rien, qu’en cas de maladie, de chômage, on n’aura pas besoin de mendier aux portes des églises et des mosquées. Au fond, le Libanais cherche ce qui semble ailleurs, le minimum.
- La justice. Vivre dans un Etat de droit. Etre sûr qu’il n’est pas à la merci du bon plaisir de qui que ce soit.
- La liberté. Etonnant que la Liberté soit si mal notée.
Quand on en fait la remarque à notre interlocuteur, la réponse fuse: “La Liberté pourquoi faire, quand on a peur, quand on a faim, quand on n’est pas tranquille, quand on n’a pas le minimum assuré? La liberté c’est beau quand on en a les moyens. C’est un luxe!”
Ce qui précède n’a d’autre prétention que de fournir une liste provisoire, à la suite d’un sondage rapide parmi un certain nombre de Libanais, toutes professions confondues.
Il est possible que cette liste provoque chez le lecteur une réaction indignée qui le poussera à établir sa propre liste... tout aussi discutable!


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