À LA GALERIE NATIONALE DU JEU DE PAUME
RÉTROSPECTIVE DES ŒUVRES DE GASTON CHAISSAC

Deux ans après une rétrospective, celle des Beaux-Arts de Nantes et celle du musée Fabrice Fabre de Montpellier, Chaissac bénéficie actuellement à Paris d’une monumentale exposition où ses inconditionnels découvriront plus de 350 compositions, ce qui a obligé un accrochage d’une densité parfois étouffante.
 

“Les Gémeaux”. Huile sur bois.

Chaissac n’offre rien qui puisse 
séduire l’amateur de sensationnel.
 

Le visiteur peut apprécier toutes les facettes d’un artiste qualifié par Dubuffet comme étant “un être pur comme du cristal” et ayant pâti d’une fausse identité. A cette importante manifestation, l’amateur d’art averti pourra se rendre compte par lui-même des diverses influences subies par ce “créateur maudit” tordant ainsi, définitivement, le cou à sa réputation d’artiste brut.
Chaissac récusait le terme d’artiste brut, préférant désigner son travail comme “une peinture rustique et moderne”.
Né à Avallon en 1910 dans une famille modeste, Chaissac est un écolier rétif. En 1936, il s’établit à Paris où il rencontre le peintre Otto Freundlich qui le pousse à dessiner et organise sa première exposition à la galerie Gerbo, en 1938. Dans les années 50, Chaissac souffrant erre de maison de repos, en sanatorium et fait la connaissance d’Albert Gleizes.
A Saint-Rémy, il croise des personnalités comme Aimé Maeght, le sculpteur  André Bloc. Il tire parti de toutes ces rencontres, subit l’influence de Kandisky, Klee, Picasso, mais en fait, son style ne ressemble à rien de commun.
 

Les objets ont une âme.

“Sans titre”.

Dans sa maison perdue au fond de la Vendée, il reste à 50 ans un homme curieux, inventif, un recycleur de génie des objets de notre quotidien. Loin de Paris qu’il a toujours fuie, la reconnaissance arrive, les expositions s’enchaînent, mais Chaissac est un homme désabusé, malade, hostile à toutes traditions, rebelle aux écoles comme aux théories. La légende entretenait jusqu’aux récentes expositions organisées par les musées de Nantes et de Montpellier, l’idée romantique d’un artiste mort dans la pauvreté à l’âge de 54 ans.
La réalité révèle un homme fantasque, un peu paranoïaque se méfiant des marchands, refusant souvent d’exposer et trouvant à partir de 1960 un début de reconnaissance en France, en Italie et même à New York, reconnaissance un temps compromise par une mort prématurée.
Durant notre visite, après les premières années abstraites, nous retrouvons son dessin naïf, ses aplats de gouache colorés cernés d’un épais trait d’encre noire, style qui changera peu durant un quart de siècle et s’abîme parfois dans des redites décoratives.
Chaissac, comme tous les précurseurs du siècle, est gagné par la nostalgie de l’archaïque, du primitif. Il regarde du côté des arts africains et préhistoriques, louche avec bonheur sur les dessins d’enfant et l’art populaire.
Il a appris à dessiner au milieu des peintures, des sculptures, des tapisseries, des mosaïques; ses voisins de palier sont, rue Henri Barbuse, le peintre expressionniste allemand Otto Freundlich et sa femme Jeanne Kloss.
Il se nourrit des œuvres de Braque, d’Ernst, de Baargeld, il a des liens épistolaires avec Jean Paulhan, Raymond Queneau, Michel Ragon.
Ainsi, naissant des compositions abstraites, réseaux d’écailles, de spirales, les rouges hurlent, les oranges deviennent sucrés.
Apparaissent aussi peu après, des personnages monstrueux au regard triste, au corps frêle... Un peu à son image.
Son œuvre est habitée des signes d’un Klee, de la liberté du geste de Miro, les aplats de couleurs se bousculent.
En 1946, il rencontre Dubuffet et le chantre de l’art brut l’embrigade dans son aventure...
Chaissac peigne sur n’importe quoi, des coquillages, des vieux bidons, en jouant avec les déformations naturelles, il colle, assemble, utilise l’empreinte d’objets familiers et, surtout, il vit entouré d’un incroyable bric-à-brac qui entretient son inspiration.
En 1963, un an avant sa mort, Jean Dubuffet, son ami, écrit: “Chaissac était trop informé de ce que faisaient les artistes professionnels pour qu’on puisse regarder ses travaux comme de l’art brut à proprement parler”.
Cette nuance définit peut-être le mieux l’œuvre de cet artiste en lui conservant son originalité, son caractère inclassable, la pureté et la simplicité de sa poésie.
L’exposition permet d’apprécier toutes les facettes d’un créateur à part, d’un artiste inclassable qui, déjà enfant, confiait: “Sans doute ai-je l’âme trop proche des artistes de cirque qui, comme moi, savent à peine écrire et ne sont instruits que par ce qu’ils ont vu...”

Par SONIA NIGOLIAN

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