Editorial



Par MELHEM KARAM 

LA LIBERTÉ BOITEUSE ET CONTRADICTOIRE

Rien ne se contredit comme la liberté individuelle dans un temps où on insiste à affranchir les libertés publiques. Comme si la liberté d’expression, de croyance et de pensée était une chose et la liberté du comportement personnel en était une autre. Partout dans le monde et nul ne sait dans quelle mesure cela s’applique au Liban, il est devenu interdit à l’individu de se comporter à sa guise dans sa maison, sa chambre à coucher et même dans sa salle de bain, car son comportement intime se voit et est perçu à travers des équipements confectionnés par la technologie moderne, proche davantage du jeu commercial que de celui de l’homme. Surveillance malveillante allant du fait d’espionner les individus jusqu’à la pratique systématique de l’espionnage interétats.
De là, l’Occident est responsable de la catastrophe du “Koursk”, à l’instar de Vladimir Poutine, parce que l’incartade mutuelle a entraîné la perte de vies humaines; les marins qui ont péri au fond de l’océan, sans que le peuple le sache. Comme si le secret de la surface et celui des profondeurs sont devenus à égalité. Il est vrai que la Presse a parlé ce jour-là. Mais elle n’est pas, dans le processus de la liberté en Russie, l’exemple et le modèle. Combien il est erroné d’affaiblir la Presse dans les politiques totalitaires. Poutine est sorti vaincu du choc, privé de la prestance du chef d’Etat et des qualités de l’homme fort, la rencontre du millénaire au palais de verre ne lui ayant pas permis de récupérer ce qu’il a perdu. Seuls si les titres entre Clinton et Poutine sont tombés. Oui, “Bill” a dit à “Vladimir” que la Russie méritait d’être un grand Etat et de prendre place dans les organisations internationales là où sa grandeur et sa culture lui permettent de s’asseoir. Comme si les grandes rencontres abondent en petites choses. L’arrangement de l’image du millénaire a pris plus de temps que la rencontre elle-même. Elle a occupé le protocole international durant des semaines. Et en dépit de toutes les démarches du protocole international pour assurer la présence de tous les Etats, le siège du président iranien est resté vide au second rang, parce que sa place était derrière Chirac placé près de Bill Clinton. Le président américain n’avait qu’à tourner la tête pour se trouver face à face avec son homologue iranien. La poignée de mains aurait été inévitable et un pas vers la réconciliation; elle en fait partie et, tout au moins, elle y ouvre la voie. Bien que l’Amérique ne soit plus, de l’avis de l’Iran de la réforme, le grand satan.
A ce point s’éclipse la liberté individuelle des présidents, comme des individus ordinaires. Les actes des présidents leur sont comptés. Abdel-Aziz Bouteflika a nommé son chef de cabinet président du Conseil. Le Khédive a amené Boutros Ghali et le roi Farouk a pensé, aux derniers jours de son règne, à faire appel à Khalil Pacha Tabet, propriétaire d’Al-Mokattam et à le nommer chef du gouvernement. Comme s’il n’avait pas tiré la leçon de ce qui était arrivé à Boutros Ghali. François Mitterrand a nommé Edith Cresson Premier ministre, tout en étant concerné, avec beaucoup d’autres de sa coterie, dans l’affaire “Elf”. Comme Jacques Chirac et Lionel Jospin sont impliqués dans l’histoire de Jean-Claude Méry, le financier occulte du Rassemblement pour la République.
Les présidents ne sont pas libres. Jacques Chirac a passé ses vacances aux îles Maurice où l’ont suivi les enquêteurs et les photographes pour lui réclamer des comptes sur le prix des tapis qu’il a achetés et la facture de son séjour, plus de vingt-et-un mille francs français par jour. Ils sont allés jusqu’à lui rappeler - qu’ils sont durs! - Georges Pompidou, sa maladie et son traitement au cortisone! François Mitterrand a rendu compte de son temps pour le pouvoir de “Vichy”... dont on ne pouvait pas dire qu’il n’était pas la France. Car l’Allemagne, dans l’argument de ceux qui le soutiennent, a gouverné la France, le jour où celle-ci était à Londres et à Alger représentée par le général De Gaulle. Les photos de Mazarine, fille illégitime de Mitterrand, étaient la propriété de “Paris Match” longtemps avant leur publication. Parce que “Paris Match” avait signé un accord de gentleman avec l’Elysée à propos des affaires intimes... s’engageant à n’en parler qu’en coordination et avec l’agrément du gouvernant.
La liberté est une réclamation chère. De la liberté individuelle, à la liberté publique et aux libertés fondamentales. La poignée de mains entre Bill Clinton et Fidel Castro a été exploitée contre Hillary dans la bataille de New York. Et son shake-hand à elle avec Souha Tawil, épouse de Yasser Arafat, a été, également, exploitée contre elle. Les démocrates ont trouvé une image illustrant la poignée de mains cordiale entre son adversaire républicain, Rick Lazio et Yasser Arafat. Il y a eu la bataille des photos et, en définitive, s’est engagée la bataille des limites à la liberté individuelle...
Le président Emile Lahoud sait cela. Il sait, aussi, que la liberté individuelle celle de l’humeur, est prohibée à un autre, comme elle l’est pour lui. C’est pourquoi, il recherche des solutions et des positions dans la Constitution, pour rester à égale distance de tous et les maintenir dans leurs positions, celles que leur garantit la Constitution. Le président Lahoud sait que les crises à venir sont énormes d’où sa prudence. L’implantation est la grande crise faisant partie de la question du Proche-Orient.
Il s’agit moins d’une décision locale qu’internationale. Et, partant de là, si des considérations majeures violent la Constitution libanaise, le rejet de l’implantation étant consigné dans le texte de la Constitution, le protecteur de la Constitution peut-il être interrogé, s’il agit en vue d’empêcher sa violation?
La liberté est une illusion, comme le sont sa réclamation et sa réalisation. Mais elle reste malgré tout l’une des assises de base du Droit. Slobodan Milosevic a élaboré une loi électorale, susceptible de le maintenir au poste de responsabilité, parce qu’il était condamné à y rester, étant devenu prisonnier yougoslave parce qu’incapable de réaliser la Grande Serbie.
Vojislav Kostunica, devenu président, n’est pas moins serbe que lui. Bien que de l’avis de Vidosav Stefanovic, l’écrivain serbe exilé à Paris, il n’a pas ce halo de la vue exhaustive malgré son désintéressement et sa spiritualité. L’Occident a-t-il fait, à lui seul, le virement yougoslave? Peut-être. Et chez nous, l’Occident, spécialement l’Amérique, était-il éloigné des résultats des législatives inattendues dans certaines région, même par les fins connaisseurs du jeu électoral libanais?
Aux Etats-Unis, il existe des institutions qui s’imposent à l’homme jusqu’à lui faire perdre sa liberté. Hollywood impose aux gens une Histoire que l’Histoire renie. Comme si elle est habilitée à écrire l’Histoire en dehors de l’Histoire. Comme si McDonald est autorisé à prescrire leur nourriture et Microsoft, titulaire d’une licence lui permettant de les dominer par le cerveau électronique.
Dans quelle mesure Yasser Arafat et Ehud Barak sont-ils libres surtout après la rencontre du Charm el-Cheikh? Tous deux redoutent en tant que chef, ce qu’ils ont admis en tant que négociateurs. Jusqu’à quel degré, deux négociateurs palestinien et israélien sont libres de revoir l’histoire de Jérusalem, de décider du retour des réfugiés et des déplacés... des réfugiés de 1948 et des déplacés de 1967, des colonies, de l’implantation et des autres histoires complexes et épineuses?
Même les livres scolaires, ils ne sont pas libres d’y changer quoi que ce soit. Le Palestinien continue à enseigner dans des manuels qui disent que la Palestine est restée la même, comme avant 1948. Et l’Israélien enseigne dans les livres que la Palestine est inexistante... Ni avant, ni après 1948.
Puis, pourquoi tout cela s’est passé en Palestine? Pour faire pressions sur qui? Sur l’Amérique? L’Amérique de Clinton est à sa fin, comme le second millénaire. Sur les Palestiniens? Israël sait qu’il peut les frapper avec un bras arrogant et récupérer tout Jérusalem par la force, ainsi que la terre qui a été “libérée”. Mais, il sait, également, qu’il ne peut porter le négociateur palestinien à signer ce qu’il n’est pas en mesure de signer. Yasser Arafat n’avait pas l’intention de se rendre à Camp David. Il a dit “non” à Madeleine Albright et a imposé ses conditions, dont la souveraineté palestinienne sur des quartiers-est de Jérusalem et la banlieue arabe. Il a continué à dire “non”, jusqu’à ce que lui parvint l’invitation du “César” américain Bill Clinton à qui on ne peut rien refuser.
Puis, l’Amérique a dans cet Orient une double visée: stratégique, basée sur le fait que Washington a une stratégie de sécurité avec Israël et une stratégie de pétrole avec les Arabes. Ainsi, disait Zbegnew Brezinsky à la fin des années soixante-dix. La veille du premier Camp David entre Carter, Sadate et Begin. Et après la guerre de 1973. C’est ce qui lui a insinué de monter la stratégie de Camp David... dans l’espoir que cela garantirait la stratégie américaine, d’un côté et le libèrerait, lui Brezinsky, du complexe de Henry Kissinger, de l’autre. Kissinger était pour lui un défi. A tel point que lorsqu’il s’est rendu en Chine, il a posé cette question devant la Grande Muraille. Jusqu’à quelle marche Kissinger a-t-il gravi? Ils le lui ont montré et il a dit: Je monterai une marche en plus, au moins. Il est vrai que le début des négociations, de toutes négociations, suscite les radicalismes. Il en fut ainsi après Oslo. Aujourd’hui, on y retourne, sans oublier que l’obsession des Arabes et ce, depuis longtemps, réside dans la nécessité de transposer l’équation de la peur et de la quiétude existant entre eux et Israël. Car, on ne peut négocier avec Israël, le vainqueur permanent. Cela s’est passé le 16 octobre 1973 et l’équation a été transposée, au point de provoquer un déséquilibre. Et peu de choses ont changé. En ce sens que la négociation avec l’Etat hébreu reste le nœud de base, parce qu’il ne veut pas la paix. Et les Palestiniens, dès qu’ils se calment, se voient face à un mur.
Comment, après cela, pourraient-ils être libres dans le jeu de la confrontation politique avec Israël, alors qu’avec sa puissance et l’accroissement de sa confiance en lui-même il paraît comme ayant perdu sa liberté, chaque fois qu’il lui est demandé de s’asseoir à la table des négociations?
Et le sommet arabe attendu, est-il un sommet de guerre ou de paix ou un sommet du cessez-le-feu, seulement, à l’instar de celui qui s’est tenu à Charm el-Cheikh? Est-il, toutefois, possible, dans la fumée de la poudre de canon, de parler de paix? Peut-être.
Liberté? Nul n’est libre comme il le croit: le riche est prisonnier de sa fortune et le pauvre est enlisé dans sa misère... alors que les gosiers se gargarisent de paroles sur... les Libertés! 

Photo Melhem Karam

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