Saturnale


Par MARY  YAZBECK AZOURY

LE PRIX DE LA PAIX!
Quel tribut devons-nous payer au plus fort, pour qu’on nous laisse en paix, pour qu’on nous laisse vivre? Pour qu’on laisse le Liban tranquille?
Le chancelier de la République fédérale d’Allemagne, Konrad Adenauer, était un partisan de la coexistence pacifique avec, toutefois, une grande réserve:
(...) “Il y a toujours, disait-il, une excellente façon de se mettre dans les bonnes grâces d’un crocodile; c’est de l’autoriser à vous dévorer.
“Je vous préviens, tout de suite, que ce ne sera jamais la mienne”.
Et nous? Et le Liban?
L’annexion, l’Anschluss, est-ce notre manière d’amadouer le crocodile?

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OÙ EST L’ANGE GARDIEN GÉOGRAPHIQUE?
Au Liban, quel bon sens préside à notre destinée?
Presque tout y est injustice et une nouvelle logique, semble-t-il, a dicté la réponse d’un haut responsable à un citoyen: “De quoi vous plaignez-vous? Ce n’est pas la seule injustice commise au Liban”...
D’où plusieurs injustices égalent une justice et un mécontentement général équivaut à une satisfaction personnelle. Circonstance aggravante: ce responsable (quelle responsabilité!) ne semble même pas conscient de l’incongruité de ses propos, ni des absurdités énoncées.
Il existe une légende finlandaise qui dit que “chaque pays a son ange gardien”.
C’est lui qui préside, au climat, au paysage, au tempérament des habitants, à leur santé, à leur beauté, à leurs bonnes mœurs, à leur bonne administration. C’est “l’ange géographique”.
Où est donc passé l’ange géographique du Liban? Il est temps qu’il termine ses vacances prises il y a un quart de siècle, qu’il hâte son retour et réintègre son poste.

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COHABITATION À LA SUÉDOISE:
MONARCHIE ET SOCIAL-DÉMOCRATIE
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le débat au Liban sur la cohabitation entre le président de la République et M. Rafic Hariri qui sera, sans doute, désigné Premier ministre, bat son plein.
Or, cette cohabitation qui fait couler tant d’encre, qui défraie toutes les chroniques, a été une réussite dans de nombreux pays à différentes périodes de leur Histoire, en créant une sorte d’équilibre. Cette cohabitation a réussi en France, en Espagne, mais l’exemple le plus frappant de cette cohabitation demeure la Suède où, pendant environ 70 ans (sauf quelques courtes interruptions), la meilleure harmonie a régné entre la monarchie et le Parti Social- Démocrate, souvent majoritaire depuis 1932.
C’est un leader social-démocrate, Tage Erlander, qui a été pendant des décennies Premier ministre social démocrate (prédécesseur d’Olof Palme) qui a expliqué l’attachement du peuple suédois à sa monarchie.
Avec un humour réaliste, il a un jour raconté, que se promenant avec le “roi-gentleman” Gustav VI Adolf, ce dernier eut cette boutade: - “Toutes les Constitutions présentent des avantages et des inconvénients. Aucune ne peut être moins coûteuse que la monarchie suédoise”.
Et Tage Erlander d’expliquer: “Ceci est vrai: imaginez à quelle instabilité, quelles surenchères, quelles ambitions, quelles luttes politiques, quelles dépenses nous aurions eu à faire face, si nous devions organiser, périodiquement, des élections présidentielles. Il faut ajouter que nous avons eu de la chance avec nos souverains, des souverains plus simples que nous. Le pouvoir ne leur est jamais monté à la tête.
“La monarchie est notre meilleure “public-relations”; elle se confond avec le peuple. Pourquoi changer”?
Ceci est valable pour des pays scandinaves civilisés, où le pouvoir n’est pas l’occasion de prendre sa revanche, comme cela l’a été ces deux dernières années chez nous.
Il est à espérer que le nouveau gouvernement ne tiendra compte que du seul intérêt du Liban.

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QUELQUE CHOSE DE POURRI
L’affaire Grégory fait encore couler beaucoup d’encre en France. Seize ans après la mort tragique de l’enfant, la justice française poursuit l’enquête.
Plusieurs des protagonistes sont morts, mais la Justice n’est pas satisfaite.
Au Liban, cela fait six mois qu’une bombe criminelle a enlevé à l’affection de leurs familles, David Ajaltouny et Alain Khalifé.
Où en est l’enquête?
Motus et bouche cousue, toujours la même pitoyable excuse: “L’intérêt supérieur de la nation exige le silence”.
On ne peut pas, ou on ne veut pas châtier le ou les coupables.
Or, les parents, l’ESIB et l’opinion publique sont en droit d’exiger une explication. Même si les parents ne se sont pas portés partie civile.
Un principe élémentaire de salubrité publique exige que les criminels ou les traîtres soient poursuivis et châtiés.
“Je vous en ai trop dit pour pouvoir m’en dédire...”
Reculer, hésiter, se taire, c’est se rendre complice du crime. Ce serait pire; ce serait, alors, avoir commis cette félonie qui consiste à aggraver aux yeux des Libanais, l’image de la misère, de l’impuissance et de la carence du Pouvoir.
C’est discréditer tout le pouvoir.
 
ROBERT SOLÉ ET “LA REVUE DU LIBAN”
Robert Solé, journaliste et romancier, sera au Liban pour la semaine du Livre français.
Il est bien connu en Egypte et au Liban. Dans son premier roman: “Le Tarbouche”, Prix Méditerranée 1992, il écrit aux pages 406 et 407: (...) “Toutes ces histoires, mon père ne voulait pas les entendre jusqu’à l’automne 1960. Mais sa perception des choses avait changé. Il s’était mis à acheter toutes les semaines “La Revue du Liban” et ne se lassait pas d’y parcourir les mondanités illustrées “Président Chamoun” par ci, “cheikh Pierre”, par là. Non seulement les chrétiens libanais jouissaient d’une entière liberté économique et politique, mais ils étaient aux commandes. Le travail ne manquait pas à Beyrouth et on pouvait y commercer avec les émirats du Golfe. Tous les Egyptiens installés au Liban semblaient enchantés. Même ce jean-foutre d’Alex avait trouvé le moyen d’ouvrir un garage dans la banlieue de Beyrouth. Sa mère, partie lui rendre visite, n’était plus rentrée au Caire... Le Liban apparaissait de plus en plus, comme la Terre promise”.
Robert Solé constatera de visu, si le Liban est toujours “la Terre promise”.


“SI”
A la demande de certains lecteurs, je complète la strophe de l’“IF” de Kipling, traduit par André Maurois.
J’en avais cité les deux premiers vers la semaine dernière.
“Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot”.


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