M.
Barak, on le sait, est amateur de tango. En plusieurs occasions, il avait
comparé la négociation de paix à un tango pour lequel
il faut être deux, insistait-il. Il cherchait donc un partenaire.
A défaut du Syrien qui se méfiait, M. Barak avait dû
se contenter longtemps de M. Arafat qui lui paraissait toujours disposé
à exécuter quelques pas. Les figures de cette chorégraphie
à deux se succédaient donc mais tardaient à se terminer
en un finale triomphal. C’est alors que M. Barak a commis une faute impardonnable:
il a invité à le rejoindre M. Ariel Sharon. Ce n’était
plus un tango, mais un tragique et sanglant jeu de croc-en-jambe, dont
le gros Sharon est coutumier.
Après quoi, M. Barak s’est cru en position de récuser
M. Arafat. En somme, il l’accusait de ne pas savoir danser.
Ainsi, il aura fallu une centaine de morts, des milliers de blessés,
beaucoup de destruction et la mobilisation de la diplomatie du monde entier
pour ramener ce fameux couple à se retrouver.
La rencontre de Charm el-Cheikh sera leur dernier tango sur une piste
de danse jonchée de cadavres. Le risque de dérapage sur ce
sol ensanglanté est considérable.
Il faudra d’abord nettoyer.
***
Au moment où nous écrivons ces lignes, on ne sait pas
encore comment cette opération sera conduite. Mais on peut faire
un constat.
Pour la première fois depuis le début du “processus de
paix”, c’est-à-dire depuis dix ans, le parrain américain
n’est plus seul, comme l’exigeait Israël. Il a accepté d’être
assisté aussi bien par l’Europe que par la Russie et par quelques
pays arabes. Le plus remarquable aura été la rentrée
en scène de l’ONU que Washington et Tel-Aviv avaient, pendant des
années, tenue à l’écart de leur cuisine. M. Kofi Annan,
dans ces circonstances, requinqué par son retour en grâce
à l’occasion du retrait israélien du Liban-Sud, a joué
un rôle inattendu. Mais il n’a pu le faire, notons-le bien, que dans
le cadre de la diplomatie américaine et non pas sur la base des
multiples résolutions de l’ONU qui sont censées être
le fondement de la paix. Et du reste, il ne s’agit plus tellement de paix,
mais d’un simple arrêt des affrontements.
On a vu avec quel soin le secrétaire général de
l’ONU a souligné que la rencontre de Charm el-Cheikh se ferait “sans
condition préalable”. Cet homme est réaliste et prudent.
Il est apparemment conscient des limites de l’autorité et des pouvoirs
de l’organisation qu’il représente. Le Conseil de Sécurité
vient, pourtant, de voter une résolution condamnant le comportement
du gouvernement israélien dans cette crise. Et les Etats-Unis ont
dû remballer leur menace de veto (malgré les protestations
de Mme Hillary Clinton!) et accepter cette résolution. M. Kofi Annan
n’est pas venu ici pour en tirer les conséquences, mais seulement
pour persuader MM. Barak et Arafat qu’il leur faut absolument exécuter
ensemble un dernier tour de piste.
M. Clinton tenant le bandonéon.
***
Mais trêve de plaisanterie. Ce que M. Barak et la classe dirigeante
israélienne sont forcés aujourd’hui de mesurer, c’est la
répercussion de leur politique sur la paix dans le monde. L’impact
de leurs folles opérations militaires contre les Palestiniens est
tel, qu’on se trouve devant une menace directe visant les “intérêts
nationaux” de leur protecteur dans le monde arabe et musulman.
Les Etats-Unis ont dû fermer leurs ambassades dans de nombreux
pays d’Asie et d’Afrique. Leur flotte de guerre a été attaquée
à Aden. En France, il y a une résurgence violente de l’antisémitisme.
Enfin, le prix du pétrole flambe de nouveau.
Au-delà des intrigues partisanes qui minent la position de M.
Barak et des ruses qui caractérisent ses rapports avec M. Arafat,
ce sont maintenant les effets moraux généralisés de
cette crise dans le monde entier qu’il faut considérer. Il n’est
pas exagéré de comparer l’intervention des chars et de l’aviation
israélienne contre les populations palestiniennes à l’intervention
des chars soviétiques dans les rues de Budapest en 1956. Alors,
nul n’aurait osé accuser les Hongrois comme le fait, aujourd’hui,
M. Barak en désignant M. Arafat.
Les effets se dissiperont très vite, si un accord de paix juste
pouvait encore être conclu. Mais la paix est-elle envisageable dans
ce climat de haine et de répulsion reconstitué brutalement
entre les deux peuples?
Cette semaine cruciale devrait nous apporter une réponse. Si
elle devait être négative comme cela semble probable, personne,
nulle part, n’en éviterait les suites. M. Barak devrait, à
cette occasion, méditer ces paroles de l’Ecclésiaste (x.8):
“On aura les conséquences. Celui qui creuse une fosse, y tombe.
Celui qui rompt une haie, le serpent le mord”. |
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