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LE DERNIER TANGO
M. Barak, on le sait, est amateur de tango. En plusieurs occasions, il avait comparé la négociation de paix à un tango pour lequel il faut être deux, insistait-il. Il cherchait donc un partenaire. A défaut du Syrien qui se méfiait, M. Barak avait dû se contenter longtemps de M. Arafat qui lui paraissait toujours disposé à exécuter quelques pas. Les figures de cette chorégraphie à deux se succédaient donc mais tardaient à se terminer en un finale triomphal. C’est alors que M. Barak a commis une faute impardonnable: il a invité à le rejoindre M. Ariel Sharon. Ce n’était plus un tango, mais un tragique et sanglant jeu de croc-en-jambe, dont le gros Sharon est coutumier.
Après quoi, M. Barak s’est cru en position de récuser M. Arafat. En somme, il l’accusait de ne pas savoir danser.
Ainsi, il aura fallu une centaine de morts, des milliers de blessés, beaucoup de destruction et la mobilisation de la diplomatie du monde entier pour ramener ce fameux couple à se retrouver.
La rencontre de Charm el-Cheikh sera leur dernier tango sur une piste de danse jonchée de cadavres. Le risque de dérapage sur ce sol ensanglanté est considérable.
Il faudra d’abord nettoyer.

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Au moment où nous écrivons ces lignes, on ne sait pas encore comment cette opération sera conduite. Mais on peut faire un constat.
Pour la première fois depuis le début du “processus de paix”, c’est-à-dire depuis dix ans, le parrain américain n’est plus seul, comme l’exigeait Israël. Il a accepté d’être assisté aussi bien par l’Europe que par la Russie et par quelques pays arabes. Le plus remarquable aura été la rentrée en scène de l’ONU que Washington et Tel-Aviv avaient, pendant des années, tenue à l’écart de leur cuisine. M. Kofi Annan, dans ces circonstances, requinqué par son retour en grâce à l’occasion du retrait israélien du Liban-Sud, a joué un rôle inattendu. Mais il n’a pu le faire, notons-le bien, que dans le cadre de la diplomatie américaine et non pas sur la base des multiples résolutions de l’ONU qui sont censées être le fondement de la paix. Et du reste, il ne s’agit plus tellement de paix, mais d’un simple arrêt des affrontements.
On a vu avec quel soin le secrétaire général de l’ONU a souligné que la rencontre de Charm el-Cheikh se ferait “sans condition préalable”. Cet homme est réaliste et prudent. Il est apparemment conscient des limites de l’autorité et des pouvoirs de l’organisation qu’il représente. Le Conseil de Sécurité vient, pourtant, de voter une résolution condamnant le comportement du gouvernement israélien dans cette crise. Et les Etats-Unis ont dû remballer leur menace de veto (malgré les protestations de Mme Hillary Clinton!) et accepter cette résolution. M. Kofi Annan n’est pas venu ici pour en tirer les conséquences, mais seulement pour persuader MM. Barak et Arafat qu’il leur faut absolument exécuter ensemble un dernier tour de piste.
M. Clinton tenant le bandonéon.

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Mais trêve de plaisanterie. Ce que M. Barak et la classe dirigeante israélienne sont forcés aujourd’hui de mesurer, c’est la répercussion de leur politique sur la paix dans le monde. L’impact de leurs folles opérations militaires contre les Palestiniens est tel, qu’on se trouve devant une menace directe visant les “intérêts nationaux” de leur protecteur dans le monde arabe et musulman.
Les Etats-Unis ont dû fermer leurs ambassades dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique. Leur flotte de guerre a été attaquée à Aden. En France, il y a une résurgence violente de l’antisémitisme. Enfin, le prix du pétrole flambe de nouveau.
Au-delà des intrigues partisanes qui minent la position de M. Barak et des ruses qui caractérisent ses rapports avec M. Arafat, ce sont maintenant les effets moraux généralisés de cette crise dans le monde entier qu’il faut considérer. Il n’est pas exagéré de comparer l’intervention des chars et de l’aviation israélienne contre les populations palestiniennes à l’intervention des chars soviétiques dans les rues de Budapest en 1956. Alors, nul n’aurait osé accuser les Hongrois comme le fait, aujourd’hui, M. Barak en désignant M. Arafat.
Les effets se dissiperont très vite, si un accord de paix juste pouvait encore être conclu. Mais la paix est-elle envisageable dans ce climat de haine et de répulsion reconstitué brutalement entre les deux peuples?
Cette semaine cruciale devrait nous apporter une réponse. Si elle devait être négative comme cela semble probable, personne, nulle part, n’en éviterait les suites. M. Barak devrait, à cette occasion, méditer ces paroles de l’Ecclésiaste (x.8):
“On aura les conséquences. Celui qui creuse une fosse, y tombe. Celui qui rompt une haie, le serpent le mord”. 


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