LE BON ROI DAGOBERT
Par ALINE LAHOUD

Dire que tout chez nous, surtout dans les sphères du pouvoir, tourne à l’envers est ce que les Anglais appellent un “understatement”, c’est-à-dire, une affirmation en dessous de la vérité. Le mot correspondant en français serait “une litote” (quoique n’ayant pas le même impact) qui se définit par “une figure rhétorique consistant à dire moins pour faire entendre plus”. Bon. Inutile de se lancer dans les explications à propos de rhétorique quand, chez nous, la seule en cours est l’art de dire plus pour exprimer moins, ou pour n’exprimer rien du tout. Loin de moi l’idée d’insinuer que nos dirigeants parlent pour ne rien dire, ni qu’ils parlent tellement qu’ils ne s’entendent plus parler, ni que pour ce qu’ils ont à dire, ce n’est pas la peine de parler, ni que... Mais revenons à notre monde qui tourne à l’envers. Il s’agit, un parmi tant d’autres, du bon Dr Hoss pour lequel les Libanais gardent une certaine tendresse. Nul n’ignore que le Dr Hoss souffrait d’une sorte d’allergie à l’exercice de l’autorité et à la finalisation... de quoi? De tout. Il détestait, semble-t-il, prendre une décision et, par extension, s’abstenait de prendre position. Sur quoi? Sur tout. Ainsi, il était par tempérament et par principe contre la peine de mort, mais il ne l’a jamais dit. Il a tout simplement mis l’ordre d’exécution dans son tiroir qui débordait déjà de décrets, d’arrêtés, de formalités en attente. Il était choqué que “les pèlerins de la porte de Fatima” fassent leurs provisions de pierres pour aller les jeter de l’autre côté de la frontière, mais il n’a rien tenté pour les en empêcher, parce que cela aurait ressemblé à une prise de position. Il a été stupéfait et indigné d’apprendre que les “fantômes” avaient signifié au président Gemayel qu’il était indésirable dans son pays, mais il a fermé les yeux sous couvert d’une commission d’enquête bidon. Il s’est laissé entraîner dans une amorce d’épuration de l’administration, mais quand il s’est aperçu au passage qu’on avait écrasé pas mal de gros orteils, il a précipitamment battu en retraite, se barricadant dans un silence mi-coupable mi-boudeur. Il a conseillé avec insistance et avec beaucoup de cœur (car c’est avant tout un homme de cœur) à ceux qui s’étaient réfugiés en Israël de rentrer dans leur pays pour y vivre sans humiliations et dans la décence et il n’a rien fait pour empêcher qu’on les arrête (ce qui pourrait se défendre), qu’on les insulte, qu’on les torture, qu’on leur confisque leurs médicaments et qu’on les laisse crever comme des chiens errants. Au point de vue décence, il y a mieux! Il a compati à la grande misère des Libanais, pris dans une situation économique désastreuse et il a laissé son ministre des Finances se lancer dans un délire de taxes, les réduisant à la mendicité. Et jamais, au grand jamais, on n’a vu le Dr Hoss réagir contre cet état de choses et prendre position. Et, ne voilà-t-il pas qu’une fois en dehors du pouvoir, remercié à la fois par le chef de l’Etat et les électeurs, il secoue brusquement sa torpeur, passe à l’offensive et prend position. Cibles: les idées “saugrenues” et la politique économique “du bord du gouffre” de son prédécesseur et successeur, Rafic Hariri. Il faut dire que lorsque Hariri fonce, il est difficile, sinon impossible, de le stopper ou même de contrôler sa trajectoire. Et quand cette trajectoire touche à l’économie, le sang du Dr Hoss ne fait qu’un tour. Qu’est-ce que c’est que ce spectacle? C’est du cirque ou quoi? (Ce ne sont pas “ses” propres termes. C’est une interprétation libre, mais le sens y est). Alléger les barrières douanières est un saut dangereux dans l’inconnu, a-t-il déclaré. Les mesures prendront “un certain temps avant de se concrétiser. Pendant ce temps, les recettes du Trésor connaîtront une chute immédiate et brutale, entraînant une augmentation du déficit budgétaire et de nouveaux emprunts”.... Voyons Dr Hoss, n’avez-vous pas obtenu votre doctorat justement en économie et n’enseigniez-vous pas cette discipline à l’AUB? A ce titre, vous savez sans doute que, d’une part, l’abaissement des taxes (entre autres) favorise la croissance et ce faisant, entraîne une augmentation des recettes de l’Etat et, d’autre part, que ces mesures ne produisent pas leur effet dans les 24 heures qui suivent la signature du décret. Et d’ailleurs, n’est-ce pas mieux que la politique de la tirelire de M. Corm qui nous aurait menés momifiés, jusqu’aux portes du IVème millénaire? Un de mes confrères me voyant aux prises avec des problèmes de croissance et de budget m’a lancé, acerbe (les confrères en général aiment ce genre de sport): “ - Qu’est-ce que tu y connais en économie, toi?”. Pas grand chose, je l’avoue. Mais mon ignorance n’est pas une raison suffisante pour servir d’excuse à un docteur en économie.

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